Un rite de naissance : enterrer le nombril

La naissance a toujours été au centre des préoccupations des peuples parce qu’elle est le garant du renouvellement des générations. Sa régulation et son contrôle pour des raisons socioéconomiques ont recouverts d’oubli les rituels autour de cet évènement surtout en milieu citadin, rites de préservation de la santé pour la femme enceinte, rites de protection pour l’enfant à naître.

Le lien pensé entre l’humain, le cosmos, les divinités : « C’est Dieu qui donne un enfant, c’est une bénédiction divine » ont orienté les attitudes en leur donnant sens.
L’importante mortalité infantile, les femmes accouchant à la maison, a convaincu la médecine qu’il fallait une nécessaire surveillance à partir du troisième mois et dans la régularité. La grossesse s’est ainsi muée petit à petit en maladie. Dès lors, les appareils médicaux ont pris le relais de la geste traditionnelle moins visible à l’ère du numérique, mais encore présente du fait de la transmission.

Aujourd’hui, en 2020, on observe une reprise des rites, pas de manière généralisée, mais dans une tentative de comprendre leur fonction. L’assouplissement du suivi des femmes par des sages-femmes à domicile, l’accouchement dans des maisons de naissance, ont permis le surgissement d’un acte naturel celui de mettre au monde un enfant.

Grossesse et rites de préservation de la santé

Le mal, entendu comme force destructrice, est une menace permanente. Aux aguets, il a comme objectif de briser les âmes, d’imposer de la souffrance et d’en jouir. Les infernaux (incubes et succubes) à l’image du diable agissent pour leur propre compte et sont aussi sollicités par des humains animés par la jalousie et la méchanceté. Ainsi, trois mois de gestation, pas avant, ouvre la bouche sur l’aveu d’un heureux évènement. L’œuf est accroché et continuera à croître. La période de fragilité est passée, nul ne pourra détruire le fœtus ni mettre à la place un petit « monstre » qui s’évaporera dans les flatulences du cinquième mois. Le ventre s’arrondit, la femme doit respecter certains interdits :

Les interdits alimentaires. Diminution du sel (rétention d’eau, crise d’éclampsie) bannissement de l’alcool et du piment. Ingestion d’aliments favorisant le passage (gombo),

Les interdits sexuels. Pas de rapport à partir du moment où le ventre s’arrondit et s’aperçoit. Une ancienne croyance africaine dit que l’homme a un œil au bout de son pénis qui pourrait apercevoir le bébé, ce qui est à proscrire avant la naissance,

Les interdits émotionnels. Refus des moments de tristesse (enterrements), évitement de surprise désagréable (sursauter face à un crapaud risque par analogie de conditionner l’aspect physique du bébé). Par-contre, l’entourage sait qu’il faut acquiescer aux désirs les plus incongrus. Les envies, ces marques de dépigmentation sur la peau de l’enfant, en sont la preuve. Dès le souhait édicté, il faut le satisfaire avant que la demandeuse ne touche une partie de son corps. Le décryptage de la forme, de la couleur de la tâche permet de lire l’indifférence de l’environnement. Une atmosphère apaisante est recommandée.

Le futur nourrisson n’est pas oublié dans cet accompagnement maternel. Sa nourriture est pensée d’abondance par l’absorption de bière noire à base de malt, favorisant la montée laiteuse. Une fois né, une soupe composée de lentilles et de queue de morue salée gorgera les seins nourriciers d’un lait intarissable.

 

Rite de naissance : enterrer le nombril

Les premières douleurs rassemblaient la mère, la matrone (ancienne sage-femme) autour du bain dans lequel on avait ajouté des feuillages qui n’empêchaient pas l’écume du savon d‘aider au massage du ventre. Le conjoint partait en compagnie d’une autre personne à la recherche du médecin à la campagne. L’accompagnant devait veiller à ce que le futur père en proie au stress ne s’égare, surtout la nuit. Les femmes dans la chambre, les hommes dans une autre pièce ou dehors, attendaient les premiers cris.
Le cordon ombilical coupé, le placenta était traité avec respect, jamais assimilé à un déchet. En Afrique, il est reçu comme le jumeau inanimé, il doit avoir la même de considération qu’un double qui meurt qui regagne le royaume de l’au-delà, donc des dieux : il est sacré. Dans toutes les civilisations il subissait des pratiques liées aux éléments.

       La terre : une femme ou un homme l’enterrait près de la maison à l’abri des regards afin que la sorcellerie ne l’atteigne. Planté sous un solide cocotier ou dans un trou sur lequel était planté un arbre il devait protéger l’enfant. En Malaisie, de moins en moins, le placenta nettoyé recouvert d’épices était mis dans un linge et enterré dans l’entrée de la maison. Selon les ambitions familiales on y ajoutait de quoi écrire, une aiguille et un texte afin que l’enfant soit manuel et intellectuel. En France sous un chêne pour le garçon, sous un rosier pour la fille, la différence transparaissait entre force et beauté.

       L’eau. En Chine il était enfoui à proximité d’un cours d’eau ou dans le lit de la rivière.

       Le feu. En Amérique latine le recueil des cendres après l’avoir brûlé était destiné à soigner. On lui conférait un pouvoir bénéfique. En Guadeloupe, collé sur le devant du crâne du nouveau-né, ses lambeaux desséchés sont pulvérisés et ajoutés au biberon. Ainsi l’enfant dit né-coiffé n’apercevra pas les invisibles et ne fera pas profession de gadé zafé.

       L’air. Certaines tribus d’Amérique du Nord le suspendait à un arbre. Devenu sec, il était pilé et donné à boire à l’accouchée.

Les vertus du placenta sont reconnues pour l’accélération de la montée laiteuse, la prévention des escarres et des brûlures à l’hôpital, mais aussi en cosmétiques. Le VIH (sida) a obligé l’abandon de son utilisation. La découverte des cellules souches réactive l’intérêt médical autour de ses possibilités de vie.
L’accouchement à l’hôpital ne pose plus la question de son devenir. Il est mis au crématorium ou congelé. Mais depuis peu, dans les projets de naissance, il est réclamé par la parturiente comme un besoin de réappropriation d’une partie d’elle-même. C’est nouveau et pas suffisamment représentatif pour en faire une analyse.

Les styles de vie ont transformé le tout en une partie. Le morceau de cordon ombilical s’est substitué au placenta. Ce cordon relie le placenta à l’enfant durant la grossesse, il l’alimente, filtre les microbes, lui permet de respirer. Il est coupé lors de la naissance signant la séparation avec la mère dans une autonomie nouvelle. Un pansement posé après la coupure sur la cicatrice tombe après 6 ou 10 jours, laissant voir le nombril. Par extension, ce bout, s’appelle aussi le nombril. Le passage en maternité ne durant que 4 jours au plus, le nombril tombe à la maison. Selon l’habitat, il est mis dans du coton et rangé dans une boîte, enterré, mais jamais jeté. Au bout de quelques années, les mères interrogées sur sa place dans l’appartement, ignorent où il se trouve. Le temps amène l’oubli. Quand il est enterré, l’enfant sait qu’il a un lien avec l’arbre, une partie de lui le côtoie. Il ne s’en occupe pas particulièrement, mais l’évoque comme un repère, un ancrage à la terre qui est sienne. Cette restitution sert à la féconder davantage, à donner vie à ceux qui l’habitent. Le cocotier, arbre quasi indestructible, arbre roi, lui confère un rôle de protection, de conservation de la santé. L’attachement au sol natal s’exprime par : « là où mon nombril est enterré. » Enterré à l’abri des regards par une personne âgée, jugée sans passion et mauvaise intention envers l’enfant. Les périodes de fragilité nécessitent des rites de passage, naissance, adolescence, mort, traversée d’un état à un autre, que les malfaisants peuvent exploités. Les rites de naissance érigent une barrière contre la mort et les forces des ténèbres.

Les enfants avant d’être baptisés, (le baptême est un rite religieux de naissance), étaient considérés en grand danger parce que leurs âmes n’avaient pas encore rencontré Dieu. Leur corps était ouvert à toute maladie : protection, acte purificatoire, la religion assurait bien-être et sécurité. Aujourd’hui les maladies infantiles maîtrisées, les enfants rentrent en marchant à l’église pour y recevoir ce sacrement.

Certaines coutumes africaines considèrent que le bébé est un être venant du monde invisible et que la mère revient du pays de la mort, et qu’il est nécessaire de les réintroduire dans le monde des vivants à l’aide de pratiques rituelles. Naissance et monde surnaturel sont intimement liés. L’enjeu réside dans cette interrelation entre la mère et l’enfant : enjeu de vie, enjeu de mort. L’un peut être accusé de la mort de l’autre. D’autres croyances qualifient de sorcier le bébé qui se présente par les pieds, le siège ou les épaules, ou le visage face au sol. Sorcier aussi celui qui ne fait pas ses dents à temps, avant huit mois ou si la première dent apparaît sur la mâchoire supérieure. Tout bébé non conforme aux attentes, à la norme, est mis en accusation dans les régions où les infanticides sont en grand nombre en Afrique.

Les peurs liées au cordon ombilical s’expriment moins. Quand il est enroulé autour du cou, la famille pense à un acte de sorcellerie commandité par une ennemie afin que l’accouchement se passe mal. En Corée et au Cameroun, la femme enceinte ne doit pas enjamber quelque chose qui ressemble à un cordon, car le bébé risquerait de s’étouffer avec (magie analogique.) En France, ne pas dérouler ou enrouler du fil ou un collier évite au bébé d’être pris au piège du cordon. En Inde, la femme doit essayer de ne pas se retourner trop souvent dans son sommeil, cela pourrait enrouler le cordon autour du cou de l’enfant.

Un rite de préservation de la santé en voie de disparition est le bain de serin. La mère tôt le matin, avant de parler à personne s’enfonce dans la campagne, dénude le bébé, l’élève au-dessus de sa tête comme pour le présenter au ciel. La rosée (serin) du matin devient symbole de purification. Rentrée à la maison, elle le frotte de bay-rhum pour le réchauffer, le nourrit, le couche toujours sans parler à personne.

Les modifications de l’habitat, l’absence de transmission, ont atténué ce rite du nombril enterré qui commence à susciter un intérêt auprès des jeunes générations. Les Antillais, nés en France, venant accoucher en Guadeloupe, par souci d’identité de leurs progénitures souscrivent à ce rituel, désireux de les rattacher à la terre maternelle et paternelle. La lonbrik aw téré 

Fait à Saint-Claude le 22 octobre 2020

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