Les demis apparentés

La famille antillaise dont la structure s’est accommodée tant bien que mal de la progéniture laissée au seul soin des femmes dehors, non assimilables aux différentes épouses de la culture africaine, sur une base de tolérance récente, banalise la réalité des demi-sœurs et frères en affirmant qu’il n’y a que des sœurs et des frères.

Les situations des demis sont au nombre de trois dans la catégorie reconnue par le père. Nous avons : les enfants d’un premier lit vivant avec la mère, les enfants ayant en partage un parent et vivant au sein du foyer (famille recomposée), les enfants ayant un partage le père célibataire vivant seul, de deux mères différentes. Puis les enfants non-reconnus.

Les enfants du premier lit vivant au sein du foyer sont en général des enfants de la mère de la famille recomposée, confrontés à la réalité d’un beau-père au quotidien. Leur comportement varie en fonction de leur âge quand naît le bébé du couple reconstitué. Cette fille où ce fils aîné de la mère est en butte au statut inconscient du fraternel, lien qui le ramène au vif de la conflictualité inconsciente au point d’articulation du narcissique et de l’œdipien. L’intrusion de la jalousie sont des motifs de tension. L’éruption d’un nourrisson dans la maison apparemment accepté, va déconstruire tout un édifice parfois en voie de consolidation : adaptation à la nouvelle vie, acceptation du mari de la mère, occupation d’un territoire gagné par une constante résistance. L’accaparement de l’attention maternelle et la fusion des premiers mois avec le bébé, génère parfois un sentiment d’abandon, ressenti même par le père. L’expérience de la jalousie ramène au conscient des pulsions fratricides qui s’aperçoivent dans le biberon arraché et bu rapidement- la privation de nourriture est une mise à mort par inanition- les pincements du corps tendre et les coups. Une mère a été inquiétée pour cause de fracture des deux tibias d’un bébé de 2 mois jusqu’à ce que l’enquête révèle le passage à l’acte de la fille aînée âgé de 7 ans. Rivalité et jalousie sont des chemins obligés qui ne débouchent pas toujours sur des drames fratricides.

Les conflits plus tard se cristallisent autour de la question de la place. L’aîné s’arroge des droits de substitut parental dans une démonstration d’autorité surtout quand le parent l’inclut dans la sphère de protecteur suppléant. « Fais attention au petit, surveille-le, accompagne-le. » Comment ne pas en profiter pour asseoir son hégémonie en dévalorisant le puîné, surtout dans cette période d’adolescence ou le doute taraude ? La maltraitance signale un refus aussi d’en être le gardien, de lui apporter de l’aide, lui qui en aurait aussi besoin. « J’ai déjà élevé 2 enfants et je n’ai que 15 ans et demi » L’impression du sacrifice de sa vie après la négligence d’amour maternel, le plonge dans l’embarras. Certains jours, face à la désobéissance réitérer des petits, il les aurait bien abandonnés en prenant la fuite. « Leur père qui n’est pas le mien, dont je soulage la charge ne m’est pas reconnaissant ». L’’effort considérable recouvert d’indifférence met en exergue le manque : « Lui à son père sa mère et moi, moi je n’ai que ma mère et encore si peu depuis que cet autre existe ». Le constat du manque débouche parfois sur une régression, ou sur des accès de violence et son corollaire de posture de rivalité. Parfois une surcompensation des capacités intellectuelles mise en parallèle avec cet intrus jugé menaçant sert de pare-excitation, souvent insuffisant. Le plus beau, le plus fort, le plus intelligent se sent tellement mal aimé. La jalousie est accrue quand la différence d’âge n’est pas grande. Elle se calme parfois mais resurgit à l’occasion de discussions houleuses dans le partage de l’héritage comme si les gens n’avaient pas grandi. En toile de fond, les écarts de niveau de réussite et de mode de vie les justifient. Les choses se compliquent quand du côté des deux parents il y a des demis. Vivant avec la mère et le beau-père, le droit de garde impose un demi issu d’une femme du beau-père. Tolérance, adaptation, sentiments contradictoires animent l’adolescence quand les perturbations ne les déstabilisent pas trop. Le risque de collusion est inévitable dans le cas de syndrome d’aliénation parentale. Cela consiste en l’emprise d’un parent sur l’enfant qui cultive sa haine contre l’autre parent. L’agressivité en cas d’absence de ce dernier, se dirige contre un objet particulièrement affectionné ou contre une personne aimée de lui. En l’occurrence, la belle-mère ou le beau-père ou la demi-sœur ou le demi-frère. La similitude des mots proférés par le parent outré, les reproches formulés témoignent de la profondeur de l’emprise. L’enfant sous influence exprime la légitimité de son passage à l’acte en argumentant sans culpabilité les raisons de son comportement. Sa cible de prédilection est l’enfant préféré. L’enfant préféré et vécu comme un privilégié parce qu’il est le reflet de la jouissance maternelle et du secret de cette jouissance. La pluri-paternité est un marqueur en ce sens qu’il dévoile ses lieux de l’imaginaire ou les critères phénotypiques sont en jeu. L’enfant préféré est issu d’un père préféré, modèle du choix inconscient entre « sauvé et chapé » de la peau et de la chevelure. Les autres subissent la discrimination bouche fermée sur la haine. Le préféré n’est pas en si bonne posture que cela puisqu’il ne doit pas décevoir. Souvent c’est de la haine des autres qu’il tire son accomplissement comme pour donner raison au choix du parent : il devient le meilleur.

Quand un préféré est remplacé par un autre, deuil fait ou non, ce dernier est soumis à toutes les exigences d’une comparaison oppressive. Lorsqu’il n’y arrive pas il en subit les conséquences par le rejet. Aucun parent n’accepte de reconnaître faire une différence entre les enfants. « Certes chacun a de grandes qualités, celle-là est plus câline, celui-là plus vif et plus serviable, cet autre plus individualiste ». La diversification des attitudes n’en écarte aucun de l’amour total : « Ce sont mes enfants » jusqu’à l’évidence d’une flambée de colère dans le « tu ne m’as jamais aimé, parce que tu n’aimais pas mon père ». Le mal-aimé en cas de besoin et de soutien est présent jusqu’à l’intrusion comme pour mieux comprendre la non-préférence teintée de culpabilité. Le sentiment d’être mal-aimé est empreint de la certitude d’être responsable de cet éloignement de l’affect parental. Pas assez beau pas assez intelligent pour être un bon choix. Sa présence constante est un essai de réparation doublé d’une volonté de reconnaissance et de gratitude. « Finalement cet enfant est mon meilleur enfant » aurait-il aimé entendre. Le préféré quand il n’est pas le dernier né de la famille recomposée parce que l’aîné est brillant se trouve dans un état identique. Il se sent écrasé par ses aptitudes qui le mettent en difficulté. Il est envahi par le doute d’établir une égalité et son besoin d’affirmation de soi le conduit à une alternative : ou essayer d’asseoir une domination par un mépris affiché, ou malgré son admiration pour l’aîné essayer des tentatives de déstabilisation par le dénigrement. On évoque beaucoup les difficultés des seconds augmentées de ce demi apparenté. Un petit nombre s’ancre dans un statut d’enfant fragile et/ ou malade à surprotéger qui occupe beaucoup de place.

Le lien sœur/ frère

Le lien entre sœur et frère est différent. D’abord parce que la rivalité fraternelle implique d’écarter le père en lui ravissant sa place, ensuite parce que la fille est traitée en personne faible, de toute façon moins hardie, enfin parce que le garçon se pense protecteur potentiel à remercier. L’affrontement du corps-à-corps dans l’enfance qui a pour fonction un essai de socialisation est aussi un test force/faiblesse. Pour le garçon, la demi-sœur ne constitue pas d’emblée une rivale surtout qu’elle tente de l’imiter quand il est l’aîné dans un but de dépassement de soi. Plus tard à la puberté de la sœur la jalousie fera son apparition sous couvert de son rôle de grand frère il la mettra en garde contre les copains, agissant comme s’il était sa chose. C’est à cet instant que la lutte contre le désir incestueux ce traduit par un rejet, mépris qui dissimule la culpabilité envers une relation interdite. Ce schème de pensée se retrouve aussi chez les sœurs et les frères de sang qui transgressent l’interdit jusqu’à concevoir un enfant auréolé d’une double caractéristique fille- nièce, fils-neveu. Cette relation incestueuse ne peut éclore que dans un groupe familial incomplet et dysfonctionnel : mère morte, autoritarisme paternel, atmosphère froide et lourde de la maison. Quand elles existent les relations sexuelles commencent assez tôt vers 6 7 ans et durent jusqu’à l’adolescence. Mutisme, culpabilité sont de mise même s’il n’y a pas de pénétration. La conscience des jeux interdits distille un malaise avec comme conséquence un blocage dans la vie sexuelle future. Devenu adulte, en cas de viol, le secret comme s’il pouvait se détecter oblige à pratiquer l’évitement des conjoints respectifs, presque autant que la rencontre des corps désirant. Passion secrète entre frères et sœurs relation passionnelle femme et homme.

Pour la sœur, le frère intervient au croisement de la ligne de réseau. Il est le préféré supposé de la mère dès lors qu’il devient rival enjeu d’un défi. Il est l’objet d’investissements incestueux, étant un l’objet il est l’enjeu d’un désir, donc il détient le phallus. La fille peut être prise entre aversion et fascination de ce qu’il représente et un amour indicible. Le frère est celui qui fait obstacle comme supposé détenteur de ce qu’elle n’aura jamais le phallus et l’amour de la mère et celui qui n’aura jamais été à la hauteur de sa possession. Il est un heureux possesseur et un avantageux en même temps un sot qui ne sait pas ce qu’il possède. Donc il est méprisable. L’amour de la mère pour son héros ne se mérite pas. Reste à la sœur de crever de jalousie ou d’être reconnu ailleurs pour survivre. Être célèbre fait barrage à la mère en supplantant le frère bien-aimé par le phallus de la célébrité.

L’énamoration fraternelle pourrait bien trouver sa clé dans une fascination pour la mère. Et le lien se cristallise entre frère et sœur comme effet d’élaboration à deux du deuil maternel, mélancolie partagée. C’est à bien regarder la mélancolie maternelle qu’ils ont soutenu dès l’origine et qui les attachent l’un à l’autre, les exclut du monde.

Le lien sororal

Ce qui se joue entre deux sœurs apparaît plus complexe qu’une simple rivalité : soit une insécable jouissance. On le voit bien dans ce qui place une femme, membre d’une fratrie dont elle régule au reste avec foi les idéaux en porte-à-faux avec une sœur concurrente, sans que l’aveu en parvienne à sa connaissance autrement que par le symptôme quelquefois. Le beau-frère, ce frère par alliance, mari de la sœur s’avère faire le bonheur de sa sœur, mais aussi fait partie d’un problème inavouable, au titre inconscient d’un désir réprimé. L’introduction de l’élément extérieur à la fratrie, le beau-frère, révèle le lien d’affinité conflictuel entre les deux sœurs. Il ne tire son attrait que parce qu’il occupe l’espace de l’entre-deux sœurs. Le spectacle de la jouissance amoureuse de sa sœur, -dont le beau-frère est l’objet- précipite par l’effet de l’identification la cristallisation de la jalousie inconsciente. Le charme du beau-frère se nourrit sans doute fondamentalement de ce qu’il est supposé combler le désir de sa sœur et c’est de cela qu’en sa personne l’autre s’éprend. Elle se réjouit du bonheur de cette sœur mais elle y coapte sa propre jouissance en sorte qu’elle aspire à le lui voler. Il y a au-delà de la jalousie relative à l’homme, cette capture imaginaire à cet objet qui vient combler le désir de sa sœur, cet alter ego. C’est aussi cet objet dans lequel il y a lieu d’identifier le fantasme de la manne maternelle, objet d’une complétude profondément enviable dès lors. En simple et clair, la sœur semble être aimée d’un homme aussi intensément qu’elle a voulu l’être, originairement d’une mère. « Le désir de l’homme, c’est le désir de l’autre » dit Lacan. Nous désirons parce que l’autre l’a en sa possession. Ici depuis la nuit des temps, des familles se sont établies dans la même ville, dans des logements séparés au non sur cette base. Deux sœurs ou demi-sœur faisant autant d’enfants l’une que l’autre avec un même homme. Les enfants qui fréquentent la même école ne s’adressent pas la parole.

L’expérience des parents hors lien de sang.

La rencontre avec une parentèle hors lien de sang renvoie à cette tension d’un trajet du refus. La famille s’ordonne autour d’un rapport singulier à soi et aux autres. L’accueil d’un frère et d’une sœur devrait être au même niveau même s’il est hors filiation par la parentèle élargie. La fonction de la rencontre est d’attester ce réel qui ne correspond à aucune nécessité d’un droit de sang mais d’une nouvelle constitution aimante. Quand tel n’est pas le cas, la frustration augmente les tensions et complique les séquences de rivalité. Le rôle des grands-parents n’est pas négligeable. Quand le manque d’attention n’assoie que le petit enfant sur les genoux, celui du fils, ignorant le regard désirant de celui de la bru qu’on appelle parfois du prénom de la précédente- les brus sont émotives- on ne sait à quel point la béance de la blessure sera difficile à suturer. Les grands-parents devraient avoir deux bras et deux genoux disponibles en même temps ou à tour de rôle, un fond de faitout à confiture à gratter à deux et surtout un distributeur à caresse équitable. Rares sont les demis apparentés qui reçoivent des compliments quand la comparaison met l’enfant de sang sous le vocable d’imbuvable. La parentèle élargie peu soucieuse de ces considérations ne comprend pas que l’on puisse pointer du doigt ces futilités puisque les demis apparentés ont aussi leur grands-parents. Réussir ce tour de force de désamorçage de l’hostilité est l’exemple rare d’un père célibataire vivant seul, ayant trois enfants reconnus avec deux femmes. Bénéficiant des droits de garde, il les recevait ensemble et les écoutait petits accuser la mère de la dernière d’avoir détourné le père de la leur. Au fil des ans, leur rencontre régulière autour de ce père référent a renforcé les liens et aboli tout ressentiment.  Ils s’entendent mieux que la plupart des gens, entretiennent des relations fortes. 

La souffrance du non-reconnu.

Longtemps le silence s’est fait autour de la souffrance de l’enfant né d‘une relation adultérine quand le nom du père lui était refusé, à l’instar de celui qui découvrait que la déclaration en mairie en cachette, le gratifiait d’une lignée à cause d’une réussite scolaire ou professionnelle. La fierté d’avoir un fils brillant dont on ne s’est jamais occupé. Parfois le fils était reconnu, pas la fille qui n’assurait pas la continuité de la filiation, elle prendrait le nom de son mari. Le témoignage reproduit ici montre combien le malaise de la non-légitimation peut être perturbant.

« Je suis le fruit d’une relation adultérine avec ma petite sœur.

Petite, il m’était interdit de parler de mon père à des étrangers, encore moins de prononcer son identité. Aucune photo de lui ni de nous dans les albums de famille. Je m’en souviens comme si c’était hier. Mes souvenirs remontent jusqu’à la maternelle (je devais alors avoir 5 ans). 

Mon père était très grand, mince. Un beau chabin qui ne passait pas inaperçu selon les dires de ma mère et de ses amis. Discret, il était apprécié par tous.

Nous vivions à la campagne ; ce qui arrangeait les choses car il passait nous rendre visite en cachette. Vivons heureux vivons cachés !

Il avait une voiture marron toit au vent. Au son du moteur, je savais que c’était lui alors j’accourrais l’accueillir en criant Papa Papa ! Il était toujours heureux de nous voir. Il nous installait alors dans sa voiture à l’arrière et ma mère à l’avant. Quelle joie d’y être ! Les rares fois où il venait nous voir, il sillonnait les rues du quartier. Ces courts instants paraissaient pour nous une éternité tant nous étions contentes de le voir. Et si nous étions sages, il découvrait le toit et nous permettait d’avoir la tête à l’air.

Il me vient en mémoire cette fameuse grande croix que j’ai appris à faire très rapidement. Oui ! Oui, à chaque rentrée scolaire, quand il fallait remplir les fiches d’inscription à l’école, à la rubrique « père », je devais faire une très grande croix. A chaque fois, mon cœur d’enfant se déchirait. Comment peut-on garder des souvenirs aussi lointains ? 

Jusqu’au collège, j’ai dû faire cette croix. Au lycée, je me suis rebellée et j’écrivais toute son identité et même son adresse que j’avais récupéré dans l’annuaire téléphonique. Je la connaissais par cœur et me faisais la promesse de m’y rendre un jour.

Finalement, je me rendais complice de cette relation à mes dépens.

Un autre souvenir marquant est celui de la recherche de mon père au travers des autres pères qui venaient récupérer leurs enfants après l’école. Je me revois encore devant cette barrière blanche guettant un homme qui lui ressemblerait. Et quand c’était le cas, ma vivacité et mon innocence me poussaient à courir vers lui et à m’agripper à son pantalon en criant Papa Papa ! Il fallait que la directrice vienne m’arracher de ce pantalon afin de laisser ce papa qui n’était pas le mien s’en aller !

Mais, quand on le croisait en réalité, il m’était interdit également de manifester une quelconque joie ou tout autre signe qui pourrait trahir notre lien de parenté.

Dès notre plus jeune âge, nous étions ainsi habituées à des rituels : nous savions qu’à chaque grand évènement qu’il serait présent. Il se faisait un devoir de ramener à ma mère un cabri, de la viande de porc et des racines pour tous nos sacrements et les fêtes de fin d’année.

Les années se sont ainsi écoulées jusqu’à ce qu’elles ramènent de la maturité, de la retenue, de la colère, un sentiment d’injustice, de la honte mais surtout ce sentiment de rejet qui est devenu ma blessure du rejet (qui peine à guérir)alors que je sais qu’il m’aimait profondément. Mais, les circonstances n’ont pas permis que nous vivions une relation père/fille au grand jour comme mes amies.

Ma mère avait pris le soin de nous montrer l’épouse de mon père ainsi que ces trois filles donc nos demi-sœurs. Quand on lui posait mille questions sur ce terme demi-sœurs, elle nous répondait « Cela veut dire que tes demi-sœurs ont à peu près le même sang que vous ». Comment, enfant, comprendre cette équation ?!

Ordre nous avait également été donné « Interdiction de les regarder et de leur parler ». Toutes les fois où je les croisais cet ordre fut respecté !

Je les regardais alors curieusement « an bak al a zié » – en cachette mais avec tant d’envie de leur dire que nous existons aussi et que surtout leur père était le nôtre aussi. Qu’en conséquence, nous étions leurs demi-sœurs et que nous pouvions alors jouer ensemble. C’était l’un de mes rêves.

A l’adolescence, mon amie de classe Monique m’avait conviée chez elle et à mon arrivée qui y était ? Une de mes demi-sœurs, celle qui avait le même âge que moi. J’étais super contente. Enfin, nous pourrions parler. Mais, je crois que ma peur a pris le dessus et je devais garder précieusement ce secret. 

Je n’ai donc rien dit à ma demi-sœur mais en ai parlé à mon amie qui ne m’a pas cru un seul instant car je suis noire et ma demi-sœur chabine. Aucune ressemblance donc ! Bien tenté pour me faire connaître mais la couleur de peau posait problème. 

Ma petite sœur, elle, était chabine comme mes demi-sœurs et se ressemblent comme deux gouttes d’eau ; ce qui était plus plausible pour elle.

Me concernant, mon père et ma mère me disaient souvent « Toi, tu as tout pris du côté de ta grand-mère paternelle, ses traits et sa couleur de peau ». Était-ce là aussi compréhensible pour une adolescente en pleine crise ?! J’en doute fort. Cela ne faisait qu’alimenter ma colère.

La seule source de discussion que j’avais à cette période avec mon père était l’argent. Hardie, je me rendais à son travail à la fin de chaque mois pour lui réclamer de l’argent. Nos relations devenaient alors conflictuelles. Ma mère tentait de m’interdire d’y aller en vain. C’était pour moi un moyen de revendiquer ma filiation. Je me souviens que je le menaçais de tout dévoiler à son épouse tant ma colère était grande.

A l’âge de 18 ans, je quitte mon île pour les études en France. Mes relations avec mon père se pacifient. Je l’appelle à son boulot de temps en temps toujours pour lui réclamer de l’argent car ma mère a refusé de lui demander une pension alimentaire. Je n’ai alors que la bourse pour vivre. Il comprend ma situation et donne à ma mère 150 francs de temps en temps afin que j’arrête de le harceler.

Et me voilà adulte rempli de cette colère contre la vie mais je devais apprendre à vivre avec.

La chance que j’avais c’était que mon père était alcoolo-dépendant. Oui ! la chance car je savais où le trouver quand j’avais envie de le voir quand je venais chaque année en vacances : dans les lolos ! Je me revois faire tous les lolos de la Basse-Terre à sa recherche. Il se laissait trouver !

De retour définitif au pays, cette chance m’a accompagnée puisqu’il avait fait le choix de fréquenter un lolo qui était dans mon quartier, à deux minutes de ma maison. Quelle chance !!! Alors qu’enfant, nous ne pouvions nous voir régulièrement, là, je l’avais sous la main !

Chaque jour que Dieu faisait, je m’arrêtais le saluer. Nous passions des heures dans ce lolo à discuter, à rigoler et à refaire le monde. Il était fier de me présenter à chaque client. Plus besoin de se cacher, tout le monde savait maintenant que j’étais sa fille. Il aimait surtout dire « C’est ma seule fille qui s’occupe de moi ».

Ce lolo était devenu notre maison. Mon père avançait en âge et se négligeait. C’était un homme élégant toujours en chemisette. Il ne prenait plus soin de sa personne. C’était à moi à le faire. Alors, je lui faisais la barbe et les ongles trop souvent encrassés. Pour ses cheveux, je lui prenais rdv chez son coiffeur et l’y emmenait. Nous ne nous cachions plus ! Gwan mou pa ka wont !

Mais, les belles choses ont toujours une fin dit-on.

Un jour, sous l’emprise de l’alcool, il a fait un accident. Il a été jugé et condamné. A plus de 75 ans, adieux volant – permis de conduire au feu. C’était alors le début de la fin de notre relation. En effet, ne pouvant plus se rendre au lolo, il était condamné à rester chez lui. Alors nous avions convenu ceci : qu’il resterait le plus longtemps possible assis sur sa véranda et qu’à mon passage en voiture qu’il viendrait de rejoindre. C’est ainsi  que pendant de longs mois, je le récupérais. Je ne peux compter le nombre de fois qu’il a ainsi fugué ! Cela nous amusait ! Nous profitions pour lui faire des courses, aller chez le coiffeur et rester chez moi avec ses petits-enfants.

Mais, cela m’était en colère son épouse jusqu’au jour où elle a décidé de se venger en nous punissant. Elle le privait alors de pantalon le laissant en petit caleçon. Plus moyen de quitter la maison. Il ne s’installait plus sur sa véranda. Cela a duré ainsi une bonne année jusqu’au jour où j’ai décidé de frapper à sa porte et de me présenter « Je suis S. la fille de X ».C’était la fin de tout ; à ce jour précis, je n’ai plus jamais revu mon père. Toutes les fois où je me présentais à sa porte, son épouse me répondait « Il n’est pas là ». Pendant, une bonne année, j’ai du me contenter de cette réponse alors que je savais pertinemment qu’il était enfermé dans cette maison. J’aurai dû défoncer cette porte pour le voir.

J’ai omis de dire qu’il avait promis de nous reconnaître. Promesse tenue puisqu’il nous a reconnu alors que nous étions déjà adultes Jour inoubliable pour moi : courbé, avec des difficultés énormes à la mobilisation, il s’est présenté en mairie avec nous pour cette reconnaissance tant attendue par moi. Cela importait peu à ma petite sœur. Mais, pour moi, c’était un jour de fête ! C’est ainsi que je porte avec fierté le nom de ma mère accroché à celui de mon père ! C’est pour moi une belle vengeance et victoire sur la vie. Mais, c’est surtout la seule chose qui me reste de lui.

Ma relation avec mes 2 demi-sœurs plus grandes que moi.

Il y a une qui refuse catégoriquement de nous connaître. Et l’aînée qui a fait le premier pas car nous sommes collègues.

Elle m’a raconté que mon père a toujours nié notre existence. Elle y a cru quand elle a vu mon nom de famille sur l’ordinateur au travail. Il n’y avait plus de doute nous étions bien des demi-sœurs.

Nos relations ne sont pas régulières.

Fin octobre 2020, en pleine crise sanitaire, alors que j’étais sur le piquet de grève, ma demi-sœur, j’ai reçu un appel téléphonique de ma demi-sœur m’informant du décès de notre père. Le choc de ma vie. J’ai été privée de lui alors qu’il souffrait d’un cancer foudroyant.

La descente aux enfers pour moi : Son épouse a décidé d’interdire toute visite mortuaire chez Arca. Nous, ses enfants, n’étions pas autorisées à lui dire au revoir.

Elle n’a fait aucun avis de décès. Personne ne savait sa mort alors que mon père avait des amis qui l’aimaient.

J’ai dû faire appel à un avocat et menacer la responsable des pompes funèbres pour voir la dépouille de mon père lui présentant m fiche d’état civil mentionnant bien ma reconnaissance. Elle a dû contacter l’épouse de mon père qui a été contrainte d’accepter notre présence à la levée du corps. Nous étions donc 4 chez Arca (ma petite sœur, ma demi-sœur, sa mère et moi-même).

Ma demi-sœur m’a ensuite dit qu’elle ne peut entretenir de relations avec nous ne voulant pas blesser sa mère !

Quand elle est seule et que l’on se rencontre, elle tombe dans mes bras et m’embrasse. Quand elle est avec sa mère, elle m’ignore par respect pour sa mère.

Des relations adultérines qui créent une telle souffrance pour les demi-frères et sœurs.

Toute une vie marquée par cela.

Les enfants portent souvent le poids de l’histoire de leurs parents.

Des demi-frères et sœurs qui se détestent pour certains.

Enfin, même face à la mort, les personnes continuent à se faire du mal laissant la haine s’installer dans leur cœur.

Ces histoires sont d’une extrême violence psychologique, invisible mais bien réelle.

Ce sujet est encore tabou alors que la plupart des familles antillaises y sont confrontées.

Merci d’avoir osé mettre les demi-frères et sœurs à la lumière. »

Conclusion

La famille renvoie chacun à son rapport singulier à soi et aux autres. La fonction de l’alter ego est justement d’attester ce réel de l’autre qui ne correspond à aucune nécessité pour le Moi. C’est une opportunité qui affole l’imaginaire et qui se déploie selon la dimension du narcissisme (image identificatoire) et de la dimension de la séduction vectrice de l’objectivité. Sœurs et frères sont donc tout d’abord en position de joute et leur relation ne prend sens qu’en égard de la donnée parentale. Mais comment vivre ensemble ? On se déteste en famille parce que l’on ne trouve pas sa voie et on accuse l’autre de nous déposséder d’un bonheur qui nous revenait et de nous empêcher de réussir notre vie. Vivre ensemble implique un cadre que doivent établir les parents à condition qu’ils ne règlent pas leur compte avec leurs propres fratries dans les rivalités fraternelles. Ils doivent intervenir pour désamorcer les conflits en essayant d’être équitable. Admettre les caractéristiques de chacun en valorisant tout le monde. Ne pas laisser place au dénigrement des uns et des autres, instaurer très tôt l’idée de partage, énoncer le permis et l’interdit. Pour désamorcer la violence sœur frère il faut la reconnaître et lui permettre de se dire. Les demi-apparentés dont les relations sont parfois satisfaisantes, se déchirent lors de l’énoncé de l’héritage estimé discriminant. La souffrance surgit à cette occasion démontrant qu’elle n’avait jamais été totalement dissolue. 

Aujourd’hui, le contrôle des naissances et les diverses formes de contraception rappellent à l’ordre de la conscience qu’une femme ne peut tomber enceinte. Le slogan un enfant quand je veux doit reléguer aux oubliettes les perturbations dues à la non-reconnaissance paternelle. Reste à la mère d’assumer son choix de l’identité de la filiation de son enfant et de pouvoir l’expliciter le moment venu.

Fait à Saint-Claude le 30 septembre 2023

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