Communication et famille (partie 2)

Publié dans Le Progrès social n°2585 du 28/10/2008

Tout groupe pour durer, pour satisfaire ses besoins, pour être plus efficace adopte  une organisation de communications. La volonté de ne pas communiquer utilise des stratagèmes complexes pour réduire ou brouiller l’information. Le blocage des échanges peut se faire à l’échelle intra psychique ( à l’intérieur de l’individu) et intra individuel ( entre les personnes) par des mécanismes classiques :

  • D’obstruction, par une prise de parole interdisant son usage par les autres, non pas forcément par un interdit autoritaire pesant sur la réponse mais par un interdit implicite échappant à toute contestation explicite : « Ce n’est pas vous tous ici présent qui contesteront ce que je dis. »
  • De disqualification directe ou indirecte de l’auteur du message blessant : « tu ne sais pas ce que tu dis, tu ne comprends jamais rien. »
  • D’auto disqualification souvent préventive mais qui paralyse ou prévient l’attaque : « Je me trompe souvent mais…. »
  • De dramatisation afin de neutraliser soit le message blessant lui-même, soit son auteur : « Il est fatigué, déprimé », soit les règles du discours : « On ne parle pas la bouche pleine. »

Ces manœuvres défensives dépendent pour beaucoup de la capacité d’analyse de la relation et de l’élaboration verbale. Ceux qui maîtrisent le mieux la parole sont moins menacés que les autres à l’intérieur du système.

Les enfants portent la responsabilité des messages quand les parents ne communiquent plus : « Va dire à ta mère que… » et vice versa. Cette situation intermédiaire induit des sensations de malaise qui par ricochet va générer de l’agressivité envers l’un et l’autre parent.

Des enfants/messagers utilisent le stratagème pour envenimer les relations, ne faisant passer qu’une partie du message ou le modifiant totalement. Certains dysfonctionnements apparaissent dans les mots allusifs comme : « Je t’aime mais… tu es intelligent mais.. » en direction des enfants ou du partenaire.

Le désaveu de filiation maternel : « Je ne suis pas ta mère… » est moins grave que le désaveu paternel qui ne met pas seulement en doute la paternité mais rappelle que la fonction de père nourricier  a droit à des égards plus grands que celle de géniteur et en passant, souligne la trahison de la mère acceptée par amour ou par honneur. Plus tard  le : « Je ne veux pas que tu restes seule avec ton père » fera écho à cette parole entendue et enfouie. Les membres de la famille vivent alors avec les interprétations refoulées sans qu’aucune formulation ne donne l’occasion d’une confrontation entre réalité psychique et réalité externe.

La parole confisquée à un enfant où le parent parle à sa place, la parole croisée qui s’adresse à celui avec qui elle n’a rien à voir comme dans « La femme du boulanger » de Marcel Pagnol à travers la séquence avec Pomponette, la parole insultante faisant allusion au défaut physique, la parole autoritaire interdisant la réponse, ruinent au sein de la famille une capacité de s’assurer, de sauvegarder son estime de soi, son amour-propre.

Mais que dire du « babyé » des mères ? Est-ce une communication ou une manifestation anxieuse d’une situation qui leur échappe ? Le « babyé » s’adresse aux choses et aux gens, à tous et à personne. Il est l’indice d’une forme  archaïque de relation où l’autre est présent/absent – le « babyé » n’exige pas de réponse- dans un enchaînement infini de pensées souvent disparates, semblables à des ruminations.

Certaines familles l’acceptent comme un fond sonore, d’autres le vivent avec plus ou moins d’agacement. Le malaise qu’il exprime relève plus d’un malaise individuel que collectif. Il se présente sous une forme occasionnelle qui est expression de colère ou de déplaisir dissemblable de ces marmottements quotidiens et incessants du lever au coucher. Rares sont les pères sujets à cet état. Son utilisation de leur part est ponctuelle et ciblée, sensible au qualificatif de père « matadô. »

Autrefois la communication était inexistante au niveau de l’enfant à qui aucun avis n’était demandé. L’évolution de la société n’a pas fourni les outils nécessaires  à la tolérance de la passion puisque la densité des liens est susceptible de déclencher de la haine, susceptible aussi d’établir des relations froides, objectives, fonctionnelles, susceptible encore d’éviter une promiscuité prétendue dangereuse et violente en imposant des espaces familiaux quasi désertiques.

A l’observation, certaines familles possèdent plusieurs postes de télévision dans ces espaces privés que sont les chambres, regardant parfois la même émission en solitaire. Un enfant de six ans a-t-il besoin d’une télé dans sa chambre ? Quel contrôle exerce le parent sur ces chaînes interdites et tardives ?  Voir ensemble, permet d’abord une entente dans la gestion du désir de chacun, puis une communion dans le respect de l’écoute de l’autre, enfin fournit l’opportunité d’une discussion favorable au débat contradictoire. Les conflits non exprimés verbalement éclatent à l’extérieur dans l’espace social.

On décrit ces criminels dont les actes teintés de sadisme surprennent un entourage habitué à les voir au sein de leur famille manifester leur attachement affectueux ; ces bons pères de famille tortionnaires à l’occasion d’une guerre.

Un amour débordant, rempli de prévenance, anticipant les besoins et les désirs peut être un amour pathogène éventuellement dangereux pour un être aimé trop fragile qui ne peut ni ne sait défendre son identité.

Communiquer est quelque fois une opération hasardeuse et risquée ; toute la stratégie éducative passe par là. Les parents comblent les besoins d’amour de soi et d’estime de soi de l’enfant en lui signifiant les limites de sa toute-puissance ce qui lui permet d’émettre des signaux qui traduisent ses désirs. La distribution des rôles est organisée comme une fonction vitale : on sait qui est qui, qui désire quoi et qui désire quoi pour qui.

L’art de communiquer s’apprend au quotidien. Quelques règles s’imposent. En choisissant arbitrairement dans le lot en voilà sept essentielles :

  • Savoir écouter est la donnée de base primordiale de toute bonne communication.
  • S’asseoir pour parler face à face et choisir le moment qui convient le mieux.
  • Dire son ressenti en employant le « je » en essayant de ne pas être en permanence en situation d’accusation.
  • Avoir la possibilité de dire ce que l’on pense en des termes non blessants pour autrui mais ne pas en être obligé, condition de la libre expression : il n’y a pas de liberté quand il y a obligation d’être libre, pas droit à la parole s’il s’agit d’une obligation.
  • Accepter l’idée d’une distribution équitable de la parole.
  • Ecouter le message et le reformuler afin d’être sûr d’avoir bien compris en cas de doute.
  • Ne pas hésiter à demander de l’aide quand il y a rupture de la communication ou dysfonctionnement.

Confort et réconfort s’ajoutent à la communication acceptable, nourrie d’un lien d’amour et de confiance unissant les membres d’une même famille.

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