Le suicide de l’adolescent

Publié dans Le Progrès social, n° 2500 du 19/02/2005

La traversée du temps d’adolescence peut être sujette à des remous plus ou moins bien contrôlés qui dépendent de certains paramètres : les composantes de la personnalité, l’environnement familial, les types de société.

L’âge de la puberté situé à 13 ans s’assortit de désagréments hormonaux minimes ( acné, mue, sensation de transformation corporelle) qui entraînent une « sensibilité psychologique » : se sentir embarrassé de son corps, être transpercé par les regards, avoir l’impression d’être godiche, sans compter avec l’imaginaire empreint de désir pour le parent du sexe opposé et de l’envie d’évincer celui du même sexe, sans compter avec la toute puissance du fantasme d’immortalité qu’interrogent les conduites ordaliques (conduites à risque pour prouver sa survie aux dieux et au monde.)

Cette période facilitatrice d’une fragilité psychique exacerbe les comportements. Le suicide de l’adolescent intervient quand l’émotion submerge et que la tension n’arrive plus à être contenue. Cette tension dans les sociétés traditionnelles est rigoureusement codifiée par les rites de passage organisés en direction des garçons plus préoccupés par l’incertitude d’une sortie de l’enfance tandis que les menstrues signalent aux filles le franchissement de cette étape.

Chez les Masaï du Kenya par exemple, la tradition offre la possibilité aux garçons de bénéficier d’une initiation rituelle. Les jeunes Moranes partent au fond de la forêt en compagnie d’un maître qui dirige, contrôle, parfait l’apprentissage du groupe à l’endurance, au courage, à la souffrance. Une fois l’initiation terminée, ils réintègrent la tribu et peuvent prendre femme. Se noue là une relation sécurisante avec le monde des adultes, mais aussi une harmonie corps/psyché indispensable à l’équilibre du sujet.

Sa rupture va déclencher l’usage de la réalité externe pour contre investir les dangers d’une réalité interne : on retrouve ce paradoxe du mourir pour vivre ; le suicide est considéré comme essai de survie grâce à la mort du corps. La culture pourtant l’interdisait. Il était tu au sein des familles, caché à l’entourage, méprisé par l’église qui n’accordait pas à la dépouille mortelle  le droit d’entrer dans la maison du Seigneur pour un au revoir chanté religieux sauf exception pour les nantis dont le cercueil recevait sur le parvis une aspersion d’eau bénite et un peu de fumée d’encens.

Le suicide au grand jour dont il faut différencier les tentatives, plus fréquentes chez les filles, les décès plus nombreux chez les garçons et les actes répétitifs (deux fois et plus), pose aussi la question de l’insertion de l’adolescent dans son propre groupe selon une symbolique culturelle donnée.

Quelles peuvent être les raisons des tentatives de suicide ?

  • Les traumas successifs. Certains ne sont pas jugés graves par l’entourage tels les déménagements, le divorce des parents, l’humiliation en cas d’échec à l’examen, la crainte de décevoir, mais celui qui les subit n’en a pas la même perception. La souffrance est démesurée ; à la mort n’est envisagée aucune autre alternative.
  • L’impossible communication. Le sentiment de n’être pas entendu, pas compris des parents, la parole en parallèle, sont des éléments favorisant l’incompréhension.
  • La déception amoureuse. Quand elle est première frustration, la famille ayant toujours tout accordé, elle est vécue comme un abandon. Le sujet se trouve confronté au retrait du désir de l’autre et refuse de faire l’apprentissage du travail de deuil. L’amour de soi (narcissisme) subit un rabaissement trop important.
  • Le désespoir témoigne de la violence des sentiments contradictoires envers les parents dans l’essai de maintenir leur présence physique et l’impossibilité de se séparer d’eux, accentué par l’impression d’être séparé d’eux physiquement même lorsqu’ils sont présents.
  • Les attouchements et les abus sexuels. L’inceste plonge l’adolescent dans une honteuse confusion par sa violence et son absence de loi.
  • La déprime avec l’ennui, l’impression d’inutilité et de vide, le vague à l’âme, procurent une fascination pour la mort : « Je n’ai pas de souffrances particulières mais je n’ai plus envie de continuer » disent quelques-uns uns. Ne plus croire en rien annonce une période dépressive.
  • La personnalité impulsive est un facteur aggravant qui associé à un ou deux éléments pré cités, va faire basculer dans le passage à l’acte. Certains essaient très tôt entre 10 et 13 ans de mettre fin à leurs jours sous des formes variées, chute grave du haut d’un arbre ou d’une balustrade : « Quel enfant étourdi et maladroit il est passé à travers du balcon », accidents multiples, début de noyade. Le silence des parents souligne le refus de comprendre de manière inconsciente la souffrance exhalée. La répétition quelques années plus tard d’un scénario nouvelle mouture est rarement reliée aux «  accidents » de l’enfance. D’autres à la recherche d’une solution recommencent deux ou trois fois. La tentative d’autolyse procure un soulagement, permet d’abaisser la tension, maintient l’adolescent dans une situation de dépendance parce qu’il n’a jamais essayé un autre moyen de résolution des conflits. Les cas de chantage affectif sont plutôt Les suicides sont des appels à l’aide.

La majorité des suicidants absorbe des médicaments, la phlébotomie (coupure des veines)  est peu pratiquée ainsi que la pendaison. L’empoisonnement (rubigine, over dose alcoolique, produits toxiques), participe d’un choix d’une «  mort propre » ; l’adolescent évalue sa possible mortalité.

Des signes avant coureurs sont très peu observés par un entourage qui méconnaît la violence des sentiments pubertaires : les fugues, les changements de comportement, les colères injustifiées ou le visage lisse aux yeux tristes s’arrêtant longuement sur un lointain illimité, la gentillesse soudaine et les «  mercis pour tout. » Tant d’indices réels effacés par l’accusation d’exemple suivi.

L’annonce d’un suicide serait responsable de suicides en cascade : l’influence. C’est vrai et ce n’est pas vrai. Peu de jeunes suivent leurs idoles dans la mort ; le phénomène de groupe et sa problématique sous jacente mérite une autre analyse. Le «  départ » exerce une fascination sur des sujets fragilisés par des brisures internes.

Le suicide affecte toute la famille parce qu’il demeure un mystère, une chose non palpable relevant de l’incompréhension et en même temps de la recherche d’un coupable. La parole est retenue sur un fait qui doit rester secret à l’intérieur de quelques groupes, alors que d’autres considèrent qu’une double ou triple ration d’amour devrait suffire à sa guérison. Le suicidant lui-même mal informé pense pouvoir s’en sortir seul.

La rencontre avec un spécialiste, psychologue ou psychiatre, lors du passage aux urgences doit être prolongée dans un suivi psychologique au Centre Médico Psychologique ( CMP) du secteur de la personne soignée, – chaque commune possède un CMP qui dispense des soins gratuits -, ou dans un cabinet en ville, s’il fait le choix de son psychologue.

Les parents affectés par le passage à l’acte peuvent se faire aider de la même manière. Afin de prendre en charge valablement l’adolescent suicidant et son entourage, il serait souhaitable que quelques lits d’hospitalisation soient crées au sein d’un service spécialisé pour cette tranche d’âge longtemps négligée et qui commence à questionner les adultes avec les moyens qu’ils ont.

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