Belle-mère

 

Publié dans Le Progrès social n°2617 du 16/06/2007

Rien qu’à prononcer le mot, quelques femmes se cabrent : une image a traversé la mémoire et laissé dans son sillage du déplaisir. Les hommes sont partagés sur leur relation à cette belle-mère qui somme toute rend service pour la garde des enfants mais est cause parfois de zizanie dans le couple. Chaque conjoint a tendance à s’accrocher à la sienne, bonne mère, la meilleure. Celle de l’autre est souvent engluée dans l’incompréhension.

C’est quoi une belle-mère ? Un rôle, une fonction, un évènement ? Elle est surprise quand la recomposition familiale la met face aux enfants non préparés à la recevoir. Le couple reformé dans un désir à deux se soucie peu de la gêne occasionnée par le remplacement d’un parent dont on se sent solidaire. Ce serait trahison que de faire alliance. Seule une guerre déclarée ou une indifférence profonde venge la place conquise. Puis quand elle occupe l’habitat où la mère avait disposé les objets, habillé les fenêtres, l’insupportable submerge. La médiation subtile d’un père arrive à estomper les ombres, encore faudrait-il qu’il intervienne régulièrement. Les week- ends boudeurs ou houleux créent des fossés difficiles à combler. Selon l’âge, le sexe, la présence d’enfants étrangers de la même grandeur, la naissance d’un demi-frère, d’une demi-sœur, l’approche de la belle-mère se négocie de façon différente. Sa position critique entre sa progéniture amenée et celle de l’époux, exige du tact et un doigté à toute épreuve. Elle est celle qui dans l’imaginaire empêche l’accès au père, et par définition le bouc émissaire responsable des maux, surtout ceux de la mère perdue dans les embrouilles d’aventures successives. Le grand beau-fils va s’essayer à séduire une jeune belle-mère : prendre ce que le père possède, le tuer rituellement, constante oedipienne trouvée chez la fille se mettant d’emblée en position de rivale dans la tentation d’accaparer son père. Difficile dans ces deux cas de garder la tête froide et l’amour en offrande.

Plus tard, la mère de l’époux conditionnée par la représentation va occuper le devant de la scène. Dans le registre des préoccupations se retrouvent : l’ingérence, les sollicitations, les critiques, la protection.

L’ingérence dans les affaires du couple concerne les conflits d’ordre économique et relationnel. L’aide financière accordée au fils est une arme contre la bru dépensière, mauvaise gestionnaire qui autorise les conseils de prudence en soulignant ses incompétences. Seules les femmes sont des gouffres financiers, elles ne savent pas gérer l’argent du ménage ! Les conseils se prodiguent de vive voix, là où personne ne peut se dérober : chez les mariés. Un pas se franchit vite, celui de l’inspection des lieux ( discrètement), histoire de contrôler la tenue de la maison et se rendre compte de la destination de l’argent donné. Un tapis de prix, une cuisinière de marque, un réfrigérateur américain ? Le sien est classique et démodé. Toutes ces jolies choses ont été achetées avec les menus sommes concédées au fils ! L’aide autorise à dire comment s’agencent  les pièces, se préparent les repas, se vêtir décemment, se plier aux habitudes de la famille par alliance. Dire sans gentillesse, de façon arrogante, empreint  de suffisance, vécu comme une intrusion dans l’intimité des nouveaux mariés. La bru rouspéteuse ou réticente est une ingrate à dédaigner.

La seconde préoccupation tourne autour des sollicitations innombrables. Ce besoin de fils à tout moment ne saurait être remis en question. Le cyclone dénonce sa priorité : d’abord la fermeture des volets de la mère, puis celle de son amie vieillissante sans enfants protecteurs. L’amitié n’a pas de prix. Son coût ? Le maintien des liens du passé grâce à l’amabilité des enfants et des services rendus. Les yeux fatigués du père ne conviennent plus à la conduite de nuit ? Une veillée mortuaire, une cérémonie de mariage, une assemblée de confrérie, pas un concert de musique, non pas cela, mais les obligations officielles nécessitent un chauffeur accompagnateur. Une place lui est réservée pas deux. La tension dans le jeune couple se nourrit de non-dit. L’innocente mère dispose de son enfant : c’est le sien, celui pour lequel elle a souffert en le mettant au monde. Elle n’a jamais pardonné à sa propre belle-mère son attitude de supériorité, de main mise, de rejet. Les rares fois où elle a demandé quelque chose, c’est parce qu’elle ne pouvait faire autrement. Elle n’exagère pas comme l’autre mauvaise et exécrable. De toute façon elle avait pleuré bruyamment à l’église lors de la cérémonie des anneaux. Sa belle-fille à elle, elle l’avait préféré à cette pimbêche qui la prenait de haut. Cependant si son garçon passait chaque jour prendre sa gamelle, c’est que la cuisine de sa femme n’égalait pas la sienne. Elle en mettait pour deux.

La complicité mère/fils, chaque année à la même période s’offre une croisière en tête-à-tête. Le père n’a jamais aimé le bateau ou trouvé la dépense inutile. « L’occasion de se retrouver et de communiquer » : comme si les alentours gênaient. La première fois la rouspétance s’est entendue, l’épouse n’ayant pas le profil de Pénélope. La seconde fois elle s’est murée dans un mutisme d’un mois. La troisième fois devenue habitude, la raison l’a emporté. Le budget du ménage n’était pas mis à contribution. Tout compte fait, la mère de son mari n’était pas méchante. Elle ne « soutirait » pas chez elle les filles afin de tenter l’homme casé et rangé. Des jalouses se servaient de ce stratagème pour assujettir une rebelle et profiter du même coup pour établir un rapport de domination sur une maîtresse à leur service. Etre voituré pour les courses, les cadeaux, les travaux ménagers en coup de main, sont des tributs à payer à la fréquentation de la maison de la mère d’un homme marié. La belle-fille n’y mettant jamais les pieds. Ce choix enorgueillit la clandestine connue, persuadée d’un triomphe proche sur une rivale absente.

En vis-à-vis la belle-mère de l’époux en tout début de la relation amoureuse le déifie. Homme idéal, il correspond parfaitement à ce qu’une femme peut prétendre de mieux. Quand sa situation sociale est convenable, de grandes gentillesses lui sont accordées. Un nuage assombrit les amours ? On gourmande un peu la fille. L’apaisement sera total jusqu’au mariage. La bouche s’allonge sur la vision d’un long cheveu, peu attractif professionnellement, jamais invité. « A chacun ses mauvais goûts. » Les attitudes sont différentes et en rapport avec les espérances de sécurité et de bonheur d’une fille cajolée sur laquelle on avait  projeté ses rêves de réussite. Les enfants aussi sont acceptés différemment. Les grands-mères ont parfois un cœur calculateur, même si leurs bouches disent le contraire. Un gendre est l’égal d’un fils. Attentionné, il en tire bénéfice. L’indifférent ou l’insoumis ne récolte que sanctions et prédiction de désunion. Dans ce cas la maison de la belle-mère devient le refuge de la fille au cœur en écharpe. Deux femmes contre un homme : l’équilibre est rompu. La lutte des pouvoirs se termine par des ruptures, des blessures longues à cicatriser. Que dire de l’affrontement des mères de part et d’autre ? Rien qui ne tombe sous le sens. Les conflits les mettent dos-à-dos comme si elles se devaient de choisir un camp, de protéger des enfants adultes depuis longtemps. « On est parent sa vie entière ! » Cela signifie que ce statut est un rempart contre la solitude. Ne pas se laisser remplacer, ne pas se laisser oublier. Amour et confusion.

Existe-t-il une belle-mère acceptable qui saurait se tenir à distance de la vie du couple et qui en même temps l’aiderait à se construire ? A parler de la leur, les femmes, toutes les femmes sont-elles conscientes qu’elles assumeront un jour ce rôle ?

 

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