La drépanocytose : un mal mieux connu

La drépanocytose est une maladie héréditaire du globule rouge du sang atteignant une proportion relativement importante des populations noires. Sa transmission dépend de deux gènes : un gène d’origine maternelle, un gène d’origine paternelle. Les transmetteurs représentent environ 10% de la population en Guadeloupe où le dépistage à la naissance est quasi systématique. En dix ans, elle a subi une augmentation de 50% ce qui sous-entend qu’elle est en passe de devenir un enjeu de santé publique en France.

         La méconnaissance des manifestations de la maladie enferme l’être drépanocytaire dans un sentiment de malaise né non seulement de l’incompréhension de l’environnement, mais aussi des difficultés sociales réelles auxquelles s’ajoute la crainte de l’engagement amoureux.

Sur le plan socioprofessionnel : La drépanocytose affecte des parties différentes du corps : l’œil, le foie, les reins, que complique la douleur. Les hospitalisations répétées obligent certaines fois à interrompre la scolarisation ou les études, créant un retard que seules les bouchées doubles permettent de rattraper. Les moments d’accalmie se succédant bon an mal an, la volonté d’atteindre un objectif, les efforts décuplés pour ce faire, se soldent par une réussite pour quelques uns. D’autres, avec amertume subissent l’abandon des projets, se contentent de formation au-dessous de leurs potentialités. Le choix professionnel devient un pis aller, car il n’est point épanouissement attendu. Le sentiment d’injustice affleure en cas de difficultés relationnelles.

         La fatigabilité, la sensibilité à la pollution, taxent de dérangeant celui qui réclame un poste plus adapté à sa condition physique comme pour celui qui se plaint de mal au dos. Cela ne favorise pas la communication dans l’entreprise surtout si l’absentéisme est important et mal vécu par l’ensemble des collègues qui mettent souvent en avant l’appréhension à gérer des dossiers avec une personne en butte à la douleur même contenue à travers les mimiques de la face, quand elle est présente. Le sentiment d’être laissé pour compte diminue l’enthousiasme à partager les tâches : « Mets toi à côté, tu es château branlant », cingle une volonté de faire. Même dit sur un ton enjoué ou protecteur, l’image de l’handicap remonte à la surface. Comment ne pas être blessé quand tout rappelle la différence ?

         En cas de complicité et de bonne entente, la maladie est bien comprise par l’environnement, mais la crainte de la pitié est toujours là. Elle s’étale en couches épaisses quand on s’enquiert de la santé, chose banale en soi, elle ouvre les fenêtres de la contrariété quand on évoque les congés de maladie des autres avec forces commentaires, elle fait une brèche au doute de la compétence quand personne ne relève les manquements dus à la surcharge de travail. Elle est subjective bien sûr, cependant elle n’accepte aucune dénégation. Comment être comme tout le monde alors qu’on se sent à part ? Marqué par cette histoire de maladie compliquée à saisir : aujourd’hui la grande forme, demain le teint rayonnant, après-demain les plaintes et les torsions qui tiennent haletant au fond d’un lit comme une sensation imaginaire mais mobilisant de l’énergie, des affects selon l’intensité de la rechute, l’incompréhension des autres, le doute qui traverse leur regard, l’envie contrastée de rester chez soi et d’être dans la vie active, une pierre portée à l’édifice social, le questionnement du bien fondé de l’existence.

         Certains jours, l’ocre rosé des premiers rayons du soleil s’apparente au gris annonciateur de pluie. La déprime guette. Certains jours, la tête sous l’oreiller, l’âme en déconfiture ne s’autorise aucune révolte, elle se liquéfie dans un corps de plus en plus douloureux.

Sur le plan affectif : Heureusement que le suivi constant aide à la reconstruction et laisse entrevoir une perspective de bonheur. Le corps est en fête, il négocie avec le désir. Elle ou il est semblable à tout amoureux. Passée la frénésie de la rencontre, arrive le moment de la découverte réciproque, l’histoire de sa vie avec ou sans maladie, que dire, comment le dire ? L’aimé est-il disposé à entendre ? Comment il ou elle réagira ?

         Annoncer sa maladie c’est encourir le risque de l’incompréhension, de la fuite, de la pitié ou de la preuve d’amour espérée. La spéculation de la réaction sera torture, la pensée est en ébullition. L’inquiétude met aux aguets du moindre signe de surprise, d’incrédulité, de refus sur le visage en vis-à-vis. L’interprétation va donner lieu à des malentendus parce que le désarroi fausse la réalité. Le « Explique moi ce que c’est » sera compris comme « Est-ce que c’est contagieux ? » Les comportements sont multiples, chaque individualité fera appel à sa capacité à gérer les émotions. Quelques-uns uns se tairont ulcérés, d’autres battront en retraite, d’autres encore essaieront d’évaluer l’intensité de la pitié. La voila qui refait surface la pitié, celle qui mériterait d’être écartée définitivement car elle est souvent le fruit de l’imagination. Insidieuse, elle s’enracine dans le doute de soi qui interdit de croire que l’on peut être aimé comme on est. Soi : c’est un tout avec des qualités et des faiblesses.

Par peur de l’abandon, la maladie peut être dissimulée. L’utilisation de stratagème auréole de mystère une disparition de quelques jours, le refus constant de passer un séjour hors d’un périmètre déterminé, le prétexte du besoin de nombreuses heures de sommeil limitant les virées nocturnes. L’amour aveugle n’a qu’un temps.

Quand arrive le désir d’enfant, le dilemme se fait déchirement. La notion de transmission devient hantise. Faut-il renoncer à la procréation ? Les explications claires et précises du spécialiste seront d’un grand réconfort au début, mais souvent ce temps de la grossesse est vécu avec angoisse. Ne sait-on jamais ! Tout le monde peut se tromper ! Puis tous ces antalgiques absorbés !

En plus : Les loisirs seront sélectionnés en fonction de critères telle la proximité d’une structure d’hospitalisation (en cas de douleurs intenses), de plaisirs physiques nécessitant un moindre effort : ce sont ceux-là qui sont les plus onéreux, l’équitation c’est pour les riches, le golf aussi. Les petits moyens apprécieront le privilège de jeux de société avec la famille et les amis. Un rêve de vacances dans un corps oublié, car on ne sent son corps que quand il est souffrant, il crie son existence sans qu’on puisse le faire taire. Il est à surveiller comme un ennemi quand il risque de s’effondrer sans crier gare dans ces lieux publics où les longues files d’attente mettent à rude épreuve la position verticale, sans un banc, une seule chaise. Pour les personnes âgées on répondra : « Il y a les heures creuses. » Mais une belle fille avec un corps superbe, un jeune homme d’une stature avantageuse : « Vraiment les gens naissent fatigués, cette jeunesse n’a pas de résistance. »

Faut-il renoncer à une vie sociale où le besoin de contempler l’autre, de sentir son parfum font goûter à la sensation de vivre et de partager le même air ? Faut-il renoncer à s’occuper de ses dossiers ouvrant des droits à la sécurité sociale où il manque toujours une pièce à fournir : le fait d’en ramener une justifie la demande d’une autre non mentionnée la fois précédente ? Faut-il renoncer à rêver qu’un vaccin mettra fin à cette maladie sabotant les projets du jour ?

Il ne faut renoncer à rien, surtout ne pas renoncer à obliger les spécialistes à se battre avec soi et vaincre les réticences à tenir compte des difficultés rencontrées par les drépanocytaires. Ces pensées porteuses d’espoir agrémentées de périodes de non-souffrance, permettent d’apercevoir l’ocre rosé des premiers rayons de soleil à la place du gris des nuages annonciateurs de pluie. Certains jours un sourire illumine le visage.

Le congrès de janvier 2024 appelé le congrès de l’espoir a réuni des chercheurs d’horizons divers, venus ici présenter les avancées de la science. Mais l’évolution s’est faite de manière graduelle avec le centre de drépanocytose intégré, qui par le biais d’informations continues a sensibilisé la population sur la complexité de la maladie. Par ricochet, les drépanocytaires ont bénéficié de cette forme d’éducation populaire qui a modifié et même changé le regard des autres, les éloignant de l’inconfort de la dissimulation. Ainsi, le milieu professionnel a modulé son intransigeance, offrant à la demande des postes adaptés aux conditions de vie (fréquence des hospitalisations, fatigabilité) combien même il n’y aurait pas de systématicité selon les différents employeurs, une ouverture est aujourd’hui possible sans que l’employé ne se sente en situation d’handicap. Le mal vient surtout de l’impression d’une discrimination, ce sentiment d’être à part alors que les efforts sont redoublés pour s’intégrer à un groupe professionnel. De temps en temps, des témoignages affleurent soulignant une différence de posture de l’environnement au fil des années, une amélioration du contact et une confiance retrouvée grâce au jugement positif porté sur la qualité du travail de l’employé et non plus sur ses absences. Les personnes ne sauraient être considérés par rapport à leur maladie mais par rapport à leur compétence.  Pour ce faire, elles doivent se dégager de la honte, en familiarisant leur psyché avec le slogan : tous semblables, tous différents. Ce n’est pas chose aisée. En commençant dès l’enfance, la parole devrait être facilitatrice de compréhension.

  • L’explication dans les classes primaires de la maladie qui oblige un camarade à garder sa bouteille d’eau alors que c’est interdit, lui permet de se sentir à sa place, entouré des autres qui lui accorderont une protection bienveillante quand une frénésie de galopade risque de lui enfler les chevilles durant la récréation.
  • L’échange avec les collègues concernant la distribution des tâches, les possibilités de faire autrement en ne créant pas de dysfonctionnement au sein de l’entreprise, la discussion sans détours d’une possible rechute et ses aléas pour l’organisation du travail, vont donner lieu à une acceptation et même à une aide quand surgiront les difficultés. Point de rivalité au sujet de l’aménagement d’un poste spécifique.

Parler, expliquer, faire reculer les préjugés, éviter l’isolement, sont du ressort du drépanocytaire auxquelles les avancées scientifiques promettent une vie meilleure et plus longue. Les antidouleurs et autres médicaments autorisent actuellement d’avoir plus foi en l’avenir, augmentant une estime de soi souvent en dégringolade. On doit savoir que l’être douloureux est dans l’incapacité de se concentrer, englué dans une lutte sans fin qui amenuise ses défenses, érode sa résistance. Il symbolise la souffrance sans perspective d’entrevoir une issue. Quand vient le répit, il reste incrédule, attendant le retour de cette chose torturante qui l’a anéanti.

S’agissant des enfants, la culpabilité des parents est grande. Chacun dans un mutisme croit voir l’accusation dans le regard de l’autre, faute rejetée, quand surgit les conflits, sur la lignée dans sa transmission.

Aujourd’hui, les analyses sanguines signalent le risque seulement dans un projet de mariage. La monoparentalité n’est pas suffisamment sensibilisée aux conséquences de l’hérédité génétique, elle ignore les examens prénuptiaux, les conséquences pour les enfants, malgré les campagnes du centre intégré de la drépanocytose en Guadeloupe. Reste à penser l’édification de plus d’instituts de prévention et de programme de dépistage, véritables ripostes contre la maladie. On sait qu’un diagnostic précoce contribue à améliorer la qualité de vie des personnes atteintes. Le soutien psychologique demeure un atout non négligeable dans les parcours de vie. L’intégrer aux programmes de prise en charge de la drépanocytose constitue une aide à proposer.

 

Fait à Saint-Claude le 20 janvier 202

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