Rendez au peuple ses soignants

La menace va être mise à exécution. A partir du 15 octobre, les médecins non vaccinés devront fermer leur cabinet. La lettre de notification signée par l’ARS est déjà parvenue à quelques-uns. Les soignants, toutes catégories confondues, qui ne justifieront pas au moins d’une dose de vaccin seront licenciés après la fin de la quatrième vague de la pandémie.

En France depuis le 15 septembre le personnel hospitalier a subi cette sanction sans reniement pour certains de leur prise de décisions. 18 sages-femmes de la maternité du CHU de Pointe-à-Pitre n’auront pas le droit de mettre au monde les bébés dont l’apprivoisement a commencé depuis la préparation à la naissance des mères. Les décès soudains ayant pour cause des arrêts cardiaques posent la question du suivi des patients et de leur prise en charge. La télé médecine de cardiologie si indispensable a été supprimée dans l’option de soins. Ainsi, même mal outillé, l’hôpital se permet de manière arbitraire de priver les personnes d’une espérance de vie. L’accès au soin pour tous semble être un slogan vide de sens quand l’analyse dévoile l’absence d’une politique de santé cohérente. Le taux de comorbidité et son cortège de diabète, d’obésité, d’hypertension, signalent que la prévention est quasi inexistante, elle qui devrait commencer depuis le plus jeune âge, à l’école, pour familiariser les enfants à une hygiène de vie nécessaire à la conservation de la santé. Les gouvernements qui ont énoncé des priorités tels l’enseignement (zone d’éducation prioritaire), la santé, l’emploi, ont oublié l’Outre-Mer en ne tenant pas compte de l’état de délabrement du système de soins.

L’incendie du CHU ne justifie en rien ses manques, ni le danger de l’hébergement dans des locaux non nettoyés comme l’avaient préconisé les experts venus évaluer l’ampleur des dégâts. Toujours les emplâtres qui tiennent de moins en moins, toujours les discours des directions comme tentative de se disculper en permanence, toujours l’acceptation et le dévouement des soignants obligés de faire au mieux avec moins que le minimum du minimum. Puis leur silence, leur fatigue, leur lassitude, leur déprime de plus en plus visible. Garants de la survie de la population, ces soignants sont poussés dans leur retranchement, mis le dos au mur, menacés d’éviction des lieux où ils ont accompli leur mission, donnés le meilleur d’eux-mêmes jusqu’à être contaminés par le coronavirus quand les dirigeants ne leur avaient pas fourni les protections nécessaires, ignorants des risques.

Quelles seront les conséquences de la perte d’emploi des soignants ?

Depuis le début de la pandémie, la première vague avait contraint l’hôpital à activer le plan B qui est un dispositif d’urgence sanitaire servant à planifier la mise en œuvre rapide et rationnelle des moyens humains et matériels en cas d’afflux de patients. Le Plan B, permet aux établissements de Santé de faire face à la flambée épidémique. Appelés à la rescousse, les réservistes étaient venus prêter main forte gonflant les rangs de ceux qui avaient déjà renoncer à leur jour de congé, leur jour de repos, négliger leur vie privée, désireux de juguler ce phénomène nouveau, effrayant, inexpliqué, mortel. Ces réservistes de la première vague n’ont pas été appelé lors de la quatrième vague.

Les renforts sont venus de France, ceux-là qui commencent à dénoncer leur incompréhension, leur confrontation à une réalité insoupçonnée, leur étonnement s’agissant de leur utilité croyant venir en aide médicale et se retrouvant affecté aux statistiques, aux chiffres non porteurs de virus, à leur sentiment d’inutilité. Les renforts partis, le pourcentage de soignants n’a pas augmenté. Comme avant il est encore insuffisant. La mise à pied du plus grand nombre aura un retentissement psychologique aggravé, la pression de la menace allant crescendo. Les désagréments seront multiples :

  • Les blessures narcissiques profondes venant du sentiment de rejet. « Vous avez été indispensables mais votre entêtement à ne pas obéir aux ordres ne méritent que la mise au rebut ». L’effet kleenex : terrible impression de n’être qu’un objet jeté à la poubelle une fois qu’il a été utilisé, provoque un vide intérieur, une perte d’estime de soi mêlée au sentiment d’inutilité, empreint du doute de la performance, de n’être bon à rien. Avec l’abolition de la reconnaissance, et de la mise en valeur, le soignant qui se sentait conforté dans son savoir-faire, surtout quand les applaudissements et les remerciements le confortaient dans sa démarche du don de soi au chevet des patients, est confronté à une déchéance, où il n’a ni rôle ni fonction. Le manque, l’égarement, le ressenti d’une destruction interne entraînent l’effritement de la confiance en soi, renvoient aux échecs du passé, aux ruptures, au doute de l’identité soignante. Peur de ne plus être aimé par personne, de n’être apprécié par quiconque.
  • L’insécurité financière fait peser une crainte pour l’avenir. Une île dont le taux de chômage dépasse les 58%, ne recèle pas un bassin d’emploi capable de résorber cette population dont les spécialités sont le soin, de façon immédiate. Les mères et les pères ayant charge d’âmes, licenciés avec tant de violence n’envisagent pas l’épaisseur du marasme dans lequel ils vont se trouver. L’Etat lui le sait. La volonté d’affamer, la jouissance d’entendre crier grâce, l’autorité et la toute-puissance, sont des moteurs d’une démonstration de force où s’embourbe le pouvoir. Quels avantages il en tire ? Syndrome du saviorism (complexe du blanc bienfaiteur) évoqué par les Américains, confort mental d’une égalité supposée et démontrée de tous les départements, surtout ceux des Outre-Mer ? Le mal est indélébile et commence à atteindre le degré du supportable. L’absence de vision du futur empêche de se projeter dans l’avenir. La perspective est sombre.

Cependant, la vaillance mentale autorise une remontée du narcissisme en démontrant que le fondement d’un pouvoir d’existence propre contrebalance les effets négatifs du rejet. L’aide des proches et cette force de conviction d’être, permettent de combler les besoins propres de façon autonome et d’inventer des stratégies créatives indispensables au réconfort psychique. Réapprendre à s’aimer, s’investir dans son histoire et ses aspirations, élaborer des plans d’action d’édification collective. Refuser l’isolement, ne pas douter de ses possibilités d’accomplissement. Avoir confiance en soi sont des éléments de solidification du socle de l’identité culturelle, celle qui a pétri les imaginaires et les résistances.

 

Les conséquences sur les patients

L’avènement du coronavirus avait déjà bouleversé les prises en charge des personnes demandeuses de soins, autant que celles d’un suivi au long cours. La déprogrammation des actes et le tri ont généré une sélection et l’évidence d’une surmortalité dont les conséquences ne pourront être connues que sur le long terme. Les études ne viennent qu’après-coup informer sur les dégâts causés par une situation inhabituelle.

  • Les effets psychologiques sont de l’ordre de la souffrance morale. Le renvoi à plusieurs reprises d’une consultation ou d’une intervention chirurgicale accroît l’impression d’être laissé pour compte, de ne pas être un cas urgent ou intéressant, de ne pas tenir compte de la douleur du corps. La pathologie dont la représentation n’est pas la même pour le soignant et pour le malade, aboutit à une incompréhension. Le cas jugé non essentiel pour le médical, génère une indifférence supposée parce que la vision se trouve dans la différence de perception.
  • Le sentiment d’abandon s’incruste profondément chez le sujet dont la pathologie s’aggrave. Différée à plusieurs reprises, la consultation devient un sujet de préoccupation constant. Elle occupe tout l’espace de la pensée, diminue la concentration, abolit le discernement. La consigne au moment de la première vague d’éviter d’encombrer les cabinets médicaux doublée de la peur de la contamination, a privé le sujet fragile de rencontres avec son médecin référent. La déconstruction de cette injonction a ramené une clientèle avec des plaintes en inflation mais satisfaite dune continuité des soins en ville. Mais pendant ce temps-là, à l’hôpital, les spécialistes dont les services sont transformés en unités Covid, n’ont plus cette possibilité d’intervention qui déjà en temps normal se programme sur de longs mois, par exemple un rendez-vous pour un IRM ne se donne que dans une fourchette de trois mois et parfois plus. En cette période de Plan B, le sentiment d’abandon et sa kyrielle de souffrance accrochée, est justifié. Le retard n’est pas toujours rattrapé parce que le besoin en moyens humains ne varie pas et reste d’actualité.

L’hôpital peut-il fermer ? La grande question est sur toutes les lèvres. Mettre en danger toute une population, passer outre le fait qu’une île est un isolat dont les limites imposées par la mer n’offre pas la possibilité d’un franchissement d’une frontière mitoyenne pour le patient en quête du soin, relève de l’inconscience et de beaucoup d’indifférence. Le difficile est de se rendre compte de l’attitude de responsables sous prétexte d’un embrigadement d’une fonction donc dans l’obligation de se plier aux diktats du gouvernement, de se soumettre aux ordres sans un sursaut de dignité. Mercredi 06 octobre, une dizaine de directeurs d’établissements sociaux ont jeté symboliquement leurs clés devant la préfecture, pointant les difficultés engendrées par le manque de personnel. Des familles les accompagnaient. Cela s’est passé à Annecy (France). Les établissements doivent faire face à un déficit chronique de personnel, augmenté des départs liés à l’obligation vaccinale.

La santé du guadeloupéen est-elle une préoccupation pour la classe politique ? Dans une région où l’accès au soin pour tous demeure problématique, où le chômage atteint l’inimaginable, où la vie chère et l’accroissement des inégalités sociales ne cessent de progresser, la menace en direction des soignants est cruelle et injuste.

Fait à Saint-Claude le 9 octobre 2021

 

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2 commentaires pour “Rendez au peuple ses soignants

  1. Vous n’êtes pas seuls dans le combat contre l’injustice, l’aveuglement et la privation des libertés fondamentales.
    Je ne suis pas du corps médical et paramédical, mais je me battrai encore à vos côtés, et ensemble nous protégerons nos droits.
    Courage…

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