La menace

La peur s’est installée de façon massive à un niveau véritablement alarmant. Elle s’est infiltrée dans les imaginaires par une lente progression, sans que nul ne puisse se prémunir des ses effets délétères. Lisible quand elle s’exprime librement, difficile à déceler dans les comportements inadaptés, toutes les tranches d’âge en subissent ses conséquences. Actualisée par les menaces incessantes des autorités responsables de l’information sur les taux d’incidence, la virulence des variants, les nombres de décès et l’occupation des lits de réanimation, elle légitime le droit de décider d’une politique serait-elle nocive ou absurde. Ce qui différencie les réactions, c’est moins la nature des actes commis que la légitimité reconnue de ceux qui les ordonnent.

La menace est un acte d’intimidation. Le but est de faire peur à la personne visée en lui indiquant le projet de lui nuire, de lui faire du mal, de la forcer à agir. Elle est employée dans le système éducatif où l’autorité du parent ne saurait être remise en cause. Nous sommes là dans une relation inégalitaire. Le supérieur ordonne et la personne en situation d’infériorité ou de faiblesse obtempère pour échapper à la sanction. La menace sous forme de chantage s’accompagne de l’ordre de remplir une condition. Par exemple : « Si le taux de circulation du virus ne baisse pas, vous serez confinés et privés de vacances de Toussaint, de Noël et de carnaval. » Un individu gravement menacé par un autre : « si tu ne me donnes pas ton sac je te tue » peut porter plainte, d’autant plus que le chantage constitue une circonstance aggravante dont la sanction sera à la hauteur des intentions proférées.

Sans tomber dans cet extrême, un chantage qui s’adresse à une population tout entière par une autorité n’est pas vécu comme un acte incorrect, délictueux, il n’apparaît même pas comme une distorsion puisque dans ce temps de pandémie son implication subtile ne suscite aucune interrogation, mais n’en altère pas moins sa signification. Le processus d’infantilisation dans la soumission à l’autorité se soucie peu de l’état de souffrance imposé, dans la mesure où les victimes ne s’autorisent pas à formuler une protestation à fortiori à désobéir. La psychologie sociale a démontré que ce n’est pas tant la qualité de l’être qui détermine ses actes que le genre de situation dans lequel il est placé. Cependant certains réagissent de manière contraire et refusent de se laisser embourbés dans cette matrice de relations autoritaires. Ils manifestent leur mécontentement, espérant un changement motivé par un sursaut d’ordre moral. La question qui doit interpeller est celle de la personne qui accomplit un acte immoral au bénéfice de l’autorité.

Priver de vacances anticipés six mois à l’avance, sont des pressions exercées sur les personnes par des conditions spécifiques de la situation, lesquelles sont d’une importance capitale dans la détermination de la soumission ou de la rébellion. Les initiatives laissées à l’évaluation des représentants de l’Etat, au jugé des caractéristiques sanitaires ne sauraient s’inscrire dans un programme prédictif, incertain, aléatoire au gré d’un fantasme d’enfermement d’un peuple inséré dans une représentation de puérilité, d’irresponsabilité, incapable d’appliquer des gestes barrières. Comme un enfant que sa mère ne peut contenir, la punition est signalée comme unique solution à un comportement désapprouvé. Ainsi il fera l’apprentissage d’une bonne conduite et bénéficiera de quelques faveurs sous forme de récompense.

L’expérience du chantage n’est pas banale, elle met en évidence une méthode appropriée qui indique que les sujets obéissants à l’autorité, montreraient la force de son influence, et de plus n’obligerait pas à employer de nouvelles techniques pour juguler la contamination. La culpabilisation omniprésente dans le discours du mercredi sert de support au programme expérimental qui ne dit pas son nom. Pratique courante de manipulations inculquées dans les formations de certains agents et autres dignitaires, ce coronavirus semble permettre une mise en application de connaissances apprises. La situation expérimentale a pour effet de condenser les éléments qui sont toujours présents lorsque le phénomène d’obéissance se produit dans le vaste contexte de la société. L’intérêt majeur pour le chercheur est d’identifier les conditions qui favorisent la soumission à l’autorité.

Pourquoi obéir ?

Les humains ne vivent pas en solitaires, mais fonctionnent à l’intérieur de structures hiérarchiques. En donnant au groupe la stabilité et l’harmonie des relations entre ses membres, l’organisation sociale les favorisent aussi bien sur le plan externe que sur le plan interne. L’harmonie interne est assurée quand tous les membres du groupe acceptent le statut qui leur est assigné. En revanche toute contestation de l’ordre instauré aboutit à la violence. Mais les causes profondes de l’obéissance ne se limitent pas à ce postulat.

Force est de prendre en considération les structures innées de l’individu autant que les influences sociales auxquelles il est soumis depuis sa naissance. Dès son plus jeune âge, l’enfant est soumis à une discipline imposée par ses parents, lui inculquant un sentiment de respect pour l’autorité des adultes. Les injonctions familiales sont à la source d’impératifs éthiques. Quand le parent donne à son enfant une prescription morale à suivre, il joue sur deux tableaux. D’abord la nature spécifique d’un ordre à exécuter « tu ne maltraites pas le chien » façon de traiter un animal-, puis il l’exerce à se plier à l’autorité en soi. L’histoire de l’idéal moral est inséparable de la façon dont il a été inculqué. L’exigence de soumission demeure la seule constante de toute une variété d’ordres spécifiques. L’état de dépendance qui caractérise les premières années ne laisse guère d’autre choix à l’enfant, d’autant plus que l’autorité se présente sous une forme bienveillante et secourable. Plus tard il est confronté à un système d’autorité institutionnelle : l’école, où il apprend à fonctionner à l’intérieur d’un cadre organisationnel. Plus tard dans sa vie professionnelle, il assimile que si l’expression directe d’une certaine divergence d’opinion est tolérée, une attitude implicite de soumission est indispensable à l’harmonie des rapports avec les représentants de l’autorité.

La société présente la caractéristique d’imposer à ses membres de se soumettre à des autorités impersonnelles. Dans ses rapports à l’autorité ; l’individu se trouve confronté à une structure de récompense. La docilité lui vaut un régime de faveur alors que la rébellion lui inflige une sanction ou un châtiment. Il est plus facile pour lui d’assurer la continuité de la hiérarchie puisque ce mode d’organisation a pour résultat l’intériorisation de l’ordre social. L’individu adopte pour son compte personnel l’ensemble des éléments qui régissent la vie collective dont le pivot est la soumission à l’autorité qui occupe une place d’importance. Ainsi il faut inclure dans les conditions préalables de l’obéissance l’expérience familiale, le cadre social bâti sur des systèmes d’autorité impersonnelle, et l’extension à tous les échelons d’une structure de récompenses où soumission et rébellion entraînent les sanctions correspondantes.

Quand un décideur affirme qu’il possède les qualifications requises pour exercer une pression morale sur la collectivité, il l’oblige à le traiter selon la manière convenant aux personnes de son statut. Le refus d’obéir équivaut à une négation de sa compétence et de son autorité, ce qui constitue un grave manquement aux règles de la société. Pourquoi certains désobéissent ? Il y a risque de tension chaque fois qu’une entité capable de fonctionner de façon indépendante est introduite dans une hiérarchie. L’humain a la capacité d’agir selon sa propre initiative et de s’intégrer dans des systèmes complexes en assumant certains rôles. Il faut souligner qu’il n’est pas formaté pour l’autonomie complète ni pour une soumission totale.

Cependant la dualité suppose un compromis dans sa structure. Faire à la fois la jonction dans un système autonome et à la fois hiérarchique est très difficile ; il faudrait avoir des mécanismes internes qui seraient capables de résoudre les tensions. Pris dans un conflit de loyauté, il serait en butte à un état torturant permanent. En revanche, un autre, intégré dans le système d’autorité total ne subirait pas de tensions en exécutant les ordres aussi incohérents soient t’ils, car il verrait les actions requises sous le seul angle des définitions imposées en les jugeant acceptables.

Tout signe de tension est la preuve manifeste de l’échec de l’autorité. Il subsiste chez le sujet des bribes de personnalité qui sauvegardent l’existence de ses critères moraux et engendrent des conflits autorisant le refus d’obéissance. Leurs sources proviennent de la répugnance à faire souffrir autrui doublé d’une prise de conscience d’un comportement qui serait illégal, ajouté à des violences morales et sociales. Les craintes de représailles des victimes, après-coup, et les sanctions pénales encourues lors de procès, ne les laissent pas indifférents. Peu s’embarque dans cette voie de l’impossible où le rappel à l’ordre du politique règle les postures. L’essai d’un plan d’humanisation demeure informulé.

Une démonstration magistrale télévisée destinée à justifier les décisions gouvernementales de mise à pied des soignants refusant l’obligation vaccinale, a mis en relief la dérobade d’un administratif exprimant sa difficulté face à la résistance du personnel. L’analyse est sujette à deux types d’interprétation. D’abord dans une posture victimaire il se présente comme hors la loi, obligé d’enfreindre les ordres du gouvernement, acceptant d’employer du personnel non vacciné. L’affirmation d’avoir opter de son propre chef pour la sauvegarde des emplois et en même temps le maintien de l’ouverture de l’hôpital pour lesquels il encourt le risque d’une sanction est tissée d’inepties. En mettant en avant son statut de fonctionnaire qui ne peut qu’obéir aux ordres de sa hiérarchie dans l’avancée du discours, il se discrédite aux yeux de tous. Comment être crédible dans l’embourbement d’un tel paradoxe ? Le pouvoir est concentrationnaire, il est étatique.

Si le ministre de la Santé n’avait pas prorogé la date de l’obligation vaccinale pour la Guadeloupe, les soignants se seraient retrouvés dans une situation identique aux soignants de France. Et tant pis pour la santé des citoyens. L’âme torturée de l’administratif n’a pas hésité à envoyé des lettres rappelant la mise en demeure de la condition de l’emploi. L’image télévisuelle qui n’a pas été à son avantage a reflété son approche non didactique de la situation doublée d’une méconnaissance des affirmations scientifiques. En un temps, en un lieu, côte à côte avec un médecin, afin de justifier la prise de vaccin, il a argumenté sur une situation où un patient entré à l’hôpital avec un test négatif, se retrouverait contaminé. L’accent est mis sur la famille et son incompréhension.

Pourquoi avoir occulter le fait que vacciné et non vacciné peuvent être porteurs du virus et le transmettre ?  Et que toute personne soignée par un soignant vacciné encourt le risque d’une contamination. Il véhicule les arguments avancés sans discernement prolongeant cette démonstration politique face à la résistance. Un garçonnet de 14 ans a souligné l’absence de logique d’un tel dire. Il a fallu lui expliquer que la contamination n’est pas seulement une affaire médicale mais politique, tout comme l’immunité. Les enfants commencent à s’intéresser à ce que disent les adultes. Les inciter à écouter ceux qui s’évertuent à dire médiatiquement ce qu’ils croient est une opportunité de débattre d’un sujet qui les concerne aussi, et de parfaire leur connaissance des humains.

Aujourd’hui, voir des gens ordinaires aller au-delà de leurs peurs et de leurs habitudes rassurantes pour agir en écoutant leurs convictions profondes, écouter des personnes prêtes à tout risque pour avoir leur mot à dire sur la vie qu’ils entendent mener, tenter de libérer le monde des vielles cruautés, des hiérarchies, des divisions, des mensonges, des hypocrisies et injustices qui entravent l’esprit humain…Aspirer à un monde nouveau, à un monde meilleur…

Barack OBAMA, dans Une terre promise

Fait à Saint-Claude le 3 octobre 2021

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