Que sont nos héros devenus ? Hommage aux soignants

17 mars 2020, une pandémie confine des milliers de gens, sommés de rester à la maison. Un danger extérieur rôde. Le taux de mortalité s’en trouve décuplé. Le système sanitaire s’affole. Il y a risque d’engorgement des services de réanimation. Décision est prise d’ouvrir des lits de petites structures fermées pour raison économique, de monter des tentes/hôpital. L’urgence à prendre en charge le nombre impressionnant de personnes atteintes de la maladie COVID 19, décontenance les responsables de santé. A l’hôpital il y a pénurie de masques, de surblouses et de respirateurs. Les soignants qui quelques mois auparavant étaient descendus dans la rue pour attirer l’attention du gouvernement sur la misère hospitalière, le manque de personnel de moyens, sur le délabrement des conditions de travail, réclamant une revalorisation des salaires, leurs revendications n’avaient reçu aucun écho. Le coronavirus a dévoilé une réalité insoupçonnée, l’hôpital public présenté comme un modèle enviable de gestion de la santé, cet hôpital public là, n’était pas à la hauteur.

Face à l’évidence, les discours des politiques qui se voulaient rassurants, n’arrivaient pas à dissimuler la contamination des quelques soignants, les heures supplémentaires imposées, le stress doublé de fatigue réductrice des défenses de l’organisme. Sont arrivés à la rescousse, les nouvellement retraités, les étudiants en médecine, les étudiants en pharmacie, les réservistes, les bénévoles.

En Guadeloupe, la demande depuis des années d’établir un contrat avec les médecins cubains vu la pénurie de ce corps de métier depuis l’incendie du CHU était restée lettre morte. Seule la raison justificatrice de n’avoir pas reçu de dossier de candidature au moment de la crise, cachait le refus d’une concurrence dont la réponse affirmait qu’il n’y avait pas besoin de renforcement. Les médecins hospitaliers étaient en nombre suffisant. Les cubains ont exporté leur savoir-faire en Italie. 171 personnes contaminées, 9 décès, 157 personnes guéries, le coronavirus n’a pas ébranlé le dispositif mis en place dans les différents établissements.

Par contre, une guerre (c’est le mot du Président de la République) a été déclarée à la pandémie causée par ce virus invisible dont on ne savait pas grand-chose. Ce qui était dit la veille devenait caduc le lendemain et faux le surlendemain. Au front se trouve en première ligne les soignants exténués mais dévoués, luttant pour sauver des vies, s’isolant de leurs familles, logés à l’hôtel ou dans des hébergements mis gracieusement à leur disposition par des particuliers. Peu de repos récupérateur, on verra après. Ceux qui rentraient chez eux, passaient par des douches publiques ou des espaces de loisirs, accomplissant de véritables rituels de purification qui délivraient de la souillure dont on ignorait la durée.

Le personnel des urgences se rendait à domicile en cas de suspicion d’atteinte virale. Il revêtait des combinaisons de protection dans la rue, faisant l’inverse après consultation, avant de rentrer dans le véhicule de fonction. Apprendre les gestes, les mettre en pratique inlassablement, avoir en permanence dans la pensée le risque, s’armer de courage quand la déprime tente de s’inviter à l’écoute du total des morts journaliers, avancer, dormir peu et mal, vouloir rester encore un peu au lit avant d’aller au combat, ne pas réfléchir et se dire qu’on doit la gagner cette guerre. Ils sont infirmiers, aides-soignants, médecins, techniciens de surface, kinésithérapeutes dans le lieu clos de l’hôpital, en, tête-à-tête avec l’ennemi covid 19. Ils sont infirmiers libéraux, brancardiers, ambulanciers, aides médico psychologique indispensables au quotidien des personnes dépendantes ou en situation de handicap, oublieux de leurs difficultés personnelles. Ils sont aussi éboueurs, exposés aux masques jetés sur la chaussée, nettoyant la ville, enlevant les déchets dont les rats auraient vite fait leur festin, générant une autre source de contamination.
Les confinés reconnaissant, par les fenêtres des immeubles ont brandi des sources lumineuses à heure fixe pour leur dire merci. Ensuite sont venus les applaudissements et les bravos. Encore merci. Honneur et respect. Dans les lieux de soins, le vent a transporté la puissance des témoignages de reconnaissance. Les enfants ont voulu porter leur pierre à l’édifice et exprimer l’émotion ressenti par les adultes, en envoyant des dessins à accrocher aux murs des couloirs. Les cloches des églises ont retenti. La nation résonnait d’admiration : la première ligne du front veillait à la sécurité de chacun et de tous. Encore merci. De la nourriture, de bons petits plats cuisinés par des chefs parfois, pour maintenir en forme durant la pause, a augmenté les messages de gratitude. Les boulangeries/pâtisseries n’ont pas été en reste, voilà les douceurs ! La population prend soin de la première ligne ; interviews, clips, éloges : les héros sont nés.

Mais c’est quoi un héros ? « Personne qui se distingue par sa bravoure, ses mérites exceptionnels » selon le Larousse. Oui ils sont des héros car ils ont surmonté leur peur, mis leur cœur en écharpe, sans aucune plainte ils ont continué à travailler sans relâche, sans savoir quand ils allaient pouvoir souffler et récupérer une parcelle de plaisir. Du dévouement, cette qualité essentielle, il en a fallu. Alors le gouvernement décide d’offrir des primes allant de 500 à 1.500 euros aux soignants engagés dans la lutte contre le covid 19, de majorer les heures supplémentaires de 50%.

L’embellie tant attendue arrive, les lits en service de réanimation se vident, le pourcentage des morts journaliers diminue. Des affiches sont placardées, une marche est organisée, les soignants sont dans la rue car les promesses à venir de prime ne changent rien à la revendication d’augmentation des salaires. Une prime non incluse au salaire peut être provisoire. Et l’amélioration des conditions de travail personne n’en parle. Après une telle épreuve, battre le pavé pour des revendications anciennes démontrent à quel point l’oubli ou l’indifférence recouvrent les actions héroïques tant glorifiées hier. Mais cette foule qui applaudissait aux fenêtres, pourquoi ne se manifeste-t-elle pas ? Pourquoi ne vole-t-elle pas au secours de cette première ligne qui a encaissé sans trembler la terrible première vague de la pandémie, comme de braves soldats, au service du plus grand nombre ? Aucune grogne populaire, aucune voix élevée contre le plan de redressement qui a profité du plan blanc mis en place pendant la crise sanitaire – le plan blanc consiste à mobiliser en interne tous les moyens dont disposent les établissements- pour établir des emplois du temps contraires aux besoins. Eclatement d’un temps plein en deux mi-temps sur deux services différents. L’anachronisme démontré de la programmation ne donne lieu à aucun retour en arrière. Les héros vont-ils se résigner à demander réparation come après l’incendie du Chu où des préconisations qui avaient reçu l’aval d’experts sont restées à l’état de projets sans possibilité d’être actées. L’histoire se répète ici et ailleurs.

Il y eut des mercis et des applaudissements, on ne les entend plus, le monde est devenu muet et silencieux. La tragédie d’un héros qui s’est suicidé par arme à feu, éboueur de son état, au taux d’alcoolémie élevé à cause de bière offerte par un usager reconnaissant pour les services rendus durant la crise sanitaire, est insupportable. Après 25 ans de service, cette erreur a été sanctionnée par un licenciement. L’avertissement, la mise à pied pour quelques jours, ces chose graduelles existent dans le droit du travail. Effacé l’éloge, gommé les bravos. Clap de fin de vie.

La prime des soignants est publiée au journal officiel. Elle sera versée. Ils ont conservé toute l’admiration de la population dont l’immobilisme ne leur viendra pas en aide. Les applaudissements recommenceront si une deuxième vague menace de les submerger. Un hommage sera rendu à ces héros le 14 juillet, jour de la fête nationale. Dans leurs rangs les avis sont partagés, certains préféreraient la prise en compte de la pénibilité de leurs tâches à une pseudo gloire de surcroît. Ils continueront comme avant à être au service des malades en attendant des jours meilleurs.

Fait à Saint-Claude le 13 juin 2020

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Un commentaire pour “Que sont nos héros devenus ? Hommage aux soignants

  1. Bravo Hélène on a toujours plaisir à lire ton analyse face à des situations en guadeloupe les mémoires sont courtes et la situation se dégrade mais nous veillons et proposons la sante c est notre affaire à tous

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