Discours lors de la cérémonie pour 2 distinctions : « Femme d’exception et Femme de l’année 2020 »

Au frontispice de mon site : helenemigerel.com, sont gravées deux maximes. La première en créole : « Fô pa ou konté si zyié a lézôt pou domi », la seconde en français : « Faire de chaque jour de ma vie quelque chose d’utile et d’agréable. »

La première est une déclaration d’indépendance et de conscience de soi. Fô pa ou konté si zyié a lézôt pou domi, ne pas attendre que la décision d’entreprendre soit dictée par autrui, mais ne pas non plus vouloir en tirer bénéfice personnel au service de l’ego. Le mot indépendance a une résonnance assourdissante avec des accents différents. Il propulse dans le réel des réminiscences du passé : ne pas se soumettre, être soi, mais aussi envisager une séparation avec la mère nourricière, établir une distance permettant de grandir.
Pour ma part, l’indépendance correspond à la liberté de penser, de dire d’agir qui s’imbriquerait l’un dans l’autre en une totale cohésion. Prendre position, éviter de répéter tout et le contraire de tout, permet d’être crédible et de forcer au respect. C’est le prix à payer pour obtenir la confiance de son environnement. 

La Guadeloupe est un département/région qui a une très grande vitalité en matière de création d’entreprise, ce sont les statistiques qui le disent. L’image du guadeloupéen accolée à celle de créativité, d’inventivité et d’initiative n’est pas suffisamment diffusée auprès du public dont la mémoire a du mal à se défaire d’anciens clichées tellement longtemps véhiculés. Il nous revient de rétablir une évidence et de démontrer la nécessité de nous regarder autrement. Savoir ce dont on est capable, nous autoriser à être, c’est s’engager dans un face-à-face égalitaire avec l’autre, avec tous les autres.

La seconde maxime :  faire de chaque jour de ma vie quelque chose d’utile et d’agréable commence par faire, comme obligation à ajouter sa pierre à la construction d’un édifice collectif, relève de la responsabilité de chacun. Mais l’aptitude à faire sous-tend de l’endurance, de la ténacité, de la pugnacité aussi, quand on appartient à la gent féminine immergée dans un milieu où le travail du masculin est plus valorisé, plus accepté. Savoir se battre contre les moulins à vents, en imposer, ne jamais reculer et surtout ne jamais faire allégeance aux diktats remplacés par les flatteries après échec.

Toujours mettre en lien l’utile et l’agréable parce qu’être d’intérêt général ou d’utilité publique, ne dispense pas d’une certaine élégance, ne dispense pas non plus du respect envers le vis-à-vis, critère qui gagnerait à être enseigné à toute personne accueillant des usagers de surcroît en proie à une souffrance psychique. La qualité de l’accueil est déjà un soin d’importance car il génère une reconnaissance des difficultés d’autrui en situation d’affaiblissement et l’espoir d’une résolution de ses problèmes. Se penser au service de toutes les populations quelques soient leurs conditions sociales, leurs ethnies, leurs conflits, victimes ou auteurs d’agression, se donner comme objectif l’accès au mieux-être pour tous, consiste à faire abstraction de sa personne propre. Leur confort mental demeure une priorité. 

D’autres buts m’ont permis de diversifier mes activités : la réalisation de film en santé mentale, l’écriture – ouvrages et publications, les conférences de sensibilisation tout public, la recherche, les interventions médiatiques et ce dont l’ailleurs commence à nous envier : la Soulagerie.
Mes réticences en matière de communication sur les réseaux sociaux ont été pulvérisées après démonstration par deux talentueuses personnes, une journaliste Mylène Colmar, un attaché de presse Fabrice David associés à ma com’ qu’il fallait propulser mes travaux et mes activités au niveau national et international. Ils ont donné une ouverture illimitée à l’intérêt pour la culture antillaise.

Souvent, cette question m’est posée : êtes-vous une femme de pouvoir ou de devoir ? L’intellectuel a un rôle à jouer dans la cité. Aujourd’hui le nouveau vocable, lanceur d’alerte, correspond bien à cette action, dans la mesure où la connaissance d’un danger qui menace la société génère une mise en garde. Par exemple la mal bouffe et ses conséquences dont l’obésité et le diabète, les jeux vidéo et leur pendant l’addiction.

Porter l’information de manière simple qui puisse être intégrée par le plus grand nombre, dans ce sens, oui je suis une femme de devoir, un devoir qui s’étend à la responsabilité, celle de décrypter le culturel de façon bienveillante sans vouloir imposer aux personnes des patterns qui ne sont pas en adéquation avec leurs modes de pensée. Les contraindre à se conformer à un modèle idéal, faisant de leurs représentations une donnée dysfonctionnelle, ne saurait rentrer dans le cadre de la démarche scientifique. La culture : « configuration de comportements observés et appris », n’est jamais figée. Elle s’adapte à l’évolution des mœurs et des conditions sociales en conservant un substrat de traditions qui sécurise quand le doute taraude.

Femme de pouvoir certes, quand aucune crainte ne m’empêche d’exprimer mes points de vue là où je veux, comme je veux, quand je le veux, faisant fi des conséquences qui ne pourraient impliquer que moi. Cependant, le pouvoir dans sa définition première d’avoir la capacité à, la compétence, n’a été possible qu’à partir d’un travail acharné de 18 heures par jour, dimanche excepté afin de maintenir le niveau des connaissances au plus haut point. Nul intérêt pour être aux commandes des décisions de la vie publique, nul intérêt pour l’influence ou la manipulation, mais une vigilance permanente qui autorise à s’élever contre toute exaction ou perversion d’un système d’oppression insidieux. Dénoncer les faits en les déconstruisant permet d’échapper au piège indécelable autrement. Favoriser la prise de conscience est une obligation qui s’origine dans le contre-pouvoir. Le pouvoir réel est le contre-pouvoir.

Mon désir le plus grand serait de transmettre ce savoir aux multiples facettes, anthropologie, psychologie, psychanalyse, aux jeunes dont la motivation serait réelle pour la recherche et la continuité de l’étude de nos populations antillaises et caribéennes. Ce métier requiert un remaniement constant des concepts en relation avec l’évolution de la société. Parler de la femme sans tenir compte de sa gigantesque avancée, c’est risquer de lui offrir une vision dans laquelle elle ne se reconnaît pas, à laquelle elle ne s’identifie pas, dans une totale incompréhension pour les écoutants.

Je dis merci à la Fédération des petites entreprises de m’avoir choisie comme étant une femme d’exception et au Zonta Fleur de canne qui d’y est associé en me désignant femme de l’année 2020. Cela me touche énormément car rien n’est plus important que d’être mise à l’honneur, pour moi, par mes compatriotes. La glorification venant du monde extérieur n’aura jamais autant de valeur à mes yeux. Tous deux ont fait le choix de m’honorer de ces deux titres qui couronnent mon engagement et ma détermination à donner à la culture antillaise ses lettres de noblesse à travers la recherche scientifique, à prendre en charge de façon adaptée les personnes en détresse, à dispenser des formations en relation avec les besoins de cette population, à informer encore et encore en essayant de porter des réponses aux interrogations identitaires. C’est une manière élégante de reconnaître l’ensemble de mes travaux, de m’inscrire sur la liste des modèles de référence et de m’encourager, de me conforter dans un savoir-faire telle la création de la Soulagerie.

Je dis merci à cette population qui depuis des années m’accorde sa confiance et me le fait savoir. Nous sommes englués dans un énamourage réciproque et permanent.

Certains soirs, quand rompue par une journée exténuante, assise sous ma véranda, l’heure de l’introspection sonne, elle se termine toujours par une même question : « as-tu assez aimé ? ».

Fait à Saint-Claude le 21 juin 2020 

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Un commentaire pour “Discours lors de la cérémonie pour 2 distinctions : « Femme d’exception et Femme de l’année 2020 »

  1. Je découvre et redécouvre votre parcours et vos actions…
    Chapeaux bas!
    Je ne retiens qu’un mot : Transmettre…
    Il faut que notre jeunesse se penche sur votre littérature afin d’en saisir l’essence, afin de la transmettre au plus grand nombre … Car une partie de notre jeunesse se perd, s’englue dans des chimères et des attitudes qui vont à l’encontre du progrès social …
    Lise V

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