Le couple entre idéalisme et réalité

Le couple est de plus en plus difficile à construire parce que chacun veut absolument réussir sa relation amoureuse alors qu’il n’y a aucune certitude de s’aimer pour toujours. Ce sont ces peurs qui génèrent des interrogations : pourquoi est-ce si difficile de se rencontrer et de s’investir, de résister à l’usure et surtout d’aimer malgré la déception. Aujourd’hui les personnes décident de la direction à donner à leur vie, ce qui nécessite un effort continu d’exploration de soi qui engendre des attentes de la part des autres et donne lieu à une évaluation réciproque. L’intellectualisation du sujet permet-elle d’être mieux armé sur le plan affectif ? On se lance dans la vie à deux sans se douter que le couple se nourrit de la capacité à fabriquer un territoire où les peurs, les désirs et les sensibilités de l’un et de l’autre participent à une création originale, une invention pétrie des expériences d’enfance, des premières histoires amoureuses, de l’échec d’une relation antérieure. Cette déception peut influer sur la formation d’un couple nouveau parce que la crainte de l’erreur subsiste mais en même temps, l’imaginaire inscrit au premier plan le nouveau partenaire dans des attentes de satisfaction parfois dans la démesure. Le couple dont la base est l’amour se structure au gré de trois étapes.

L’amour fou dans la fascination du vis-à-vis, aveuglement total ou la raison n’a pas le droit de cité. L’autre est auréolé de toutes les qualités. Au bout de quelques mois, l’observation dessille le regard et tinte l’émoi de modération qui se dirige dans les dédales de l’amour lucide et malheureux ou apparaissent les contradictions, les manquements, la tentation de fuite ou de rupture. Passer ce stade on va à la rencontre de l’amour lucide et heureux : départ vers une aventure expérimentale. Le couple constitué se dirige sur la voie de l’engagement et toute la difficulté réside à s’ouvrir à l’autre sans s’oublier soi. Certains nient leur valeur, leur identité et deviennent ce que l’autre aimerait voir en eux. Ils accusent l’engagement de les avoir perdus, alors qu’il ne s’agit là que du dévoilement de leur vulnérabilité. Si l’autre a le pouvoir c’est parce qu’il est autorisé à prendre le pouvoir. S’engager, transforme indéniablement l’être. Donner à l’autre, nécessite dès lors d’être soi-même bien dans sa tête car tout l’art se trouve dans le vivre à deux en restant soi. La qualité des relations humaines se trouve dans la capacité d’échanger, de négocier, de s’entendre sans tout donner. D’autres conservent leur autonomie, acceptent le changement, rentrent dans l’univers du partenaire. D’autres encore s’étalent dans la dépendance attendant que le partenaire donne sens à leur existence et la conduise. Ce choix est d’une grande complexité au vu de personnes qui auparavant étaient totalement autonomes et qui soudain abandonnent la prise de décisions, comme lassées d’assumer le moindre rôle. Il est vrai que le désir de dépendance est fortement ancré dans l’humain quel que soit son sexe. L’histoire a fortement marqué la femme et la volonté d’égalité récente n’occulte pas la peur d’être dominée par le masculin. Sa liberté nouvelle offerte par la contraception, l’emploi, l’autonomie financière, la somme d’avoir le contrôle sur tout et de répondre elle-même à ses besoins. Sa capacité à le faire, lui fait perdre de vue souvent la satisfaction de d’autres besoins. Le seul auquel elle ne peut répondre par elle-même est le besoin d’amour d’où cette grande attente envers le couple. Vouloir réussir et craindre de déplaire, s’affirmer et avoir peur de ne plus séduire, mener à bien sa carrière tout en étant une bonne mère, les désirs souvent contradictoires ne lui permettent pas toujours de trouver un équilibre entre envie de douceur protectrice et autonomie. S’agissant de la relation, les femmes communiquent plus que les hommes sur leurs sentiments, leurs émotions. Ce qui signe une différence dans la posture fusionnelle plus accrue chez elles. Les hommes ont tendance à garder une partie de leur vie pour eux. Mais tous deux sont porteurs d’utopie. : lui d’être maître de son destin, elle de l’utopie amoureuse. Cette réactivité au sentiment a nourri les inconscients depuis des siècles. Cela explique en partie que les femmes se dévouent dans les diverses formes de prendre soin. S’est construit une culture féminine autour du relationnel, de l’intime, de la famille, construction sociale résultant d’une histoire qui repose sur le biologique mais beaucoup sur l’histoire inscrite en l’homme profondément dans les premières sociétés quand les principes fondateurs consistaient à opposer le féminin au masculin de façon très clivée.  Aujourd’hui s’affiche une volonté d’égalité qui souligne que ce temps est révolu. L’évolution est lente et la manière d’exprimer ses émotions qu’on soit femme ou homme reste marquée par cette histoire différentielle. Le psychisme s’était élaboré à partir du physique. L’identité ainsi que les fonctions et les rôles concrèts de chacun se sont construits à partir d’une différenciation biologique et cela a donné lieu à des représentations symboliques qui laissent des traces dans la manière d’être et de penser. La revendication égalitaire n’est pas gagnée puisque le couple produit encore des rôles différenciés. Le partage des tâches ménagères par exemple n’est pas une guerre homme/ femme mais une guerre de soi contre soi-même qu’il faut mener. La femme doit se faire violence pour accepter que lorsque l’homme prend en charge une part du travail quotidien il ne la fasse pas à sa manière à elle. Mais l’homme aussi devrait se forcer à accomplir les tâches qu’il n’a pas envie de faire. Pour qu’il y ait couple il faut qu’il y ait différence. Mais l’important est de créer un territoire commun. Pour ce faire, reconnaître les différences et les ressemblances est nécessaire. Le couple est une machine à fabriquer de la différence, de la complémentarité, parfois de l’opposition et souvent de la complicité, condition de la construction d’un monde commun. L’élément qui complique la vie à deux est cette tendance à l’évaluation qui contraint à tout réussir. Cette pratique provoque un évident déficit structurel d’estime de soi. Quand dans la relation amoureuse on se met à regarder son partenaire à travers le petit bout de la lorgnette en se focalisant sur un seul élément de sa personnalité, on s’engage dans une voie réductrice. Pointer ce qui ne va pas chez les autres est un moyen de se valoriser. Quand survient l’irritation, existe une alternative : la dépasser en reprenant le dialogue où arriver à un point de rupture. Ce n’est que grâce à la force du lien qu’on peut enclencher la dynamique amoureuse combien même la dévalorisation est forte, le lien demeure. C’est en prenant appui sur cet attachement dont on ne peut se défaire qu’on est capable de voir l’autre autrement, qu’on a envie de le voir autrement, sinon on doit faire le deuil de la relation. La capacité d’une volonté à communiquer pour les deux sauve de l’écartèlement car nul ne pense s’engager dans un couple à durée limitée. Le refus d’en parler en consultation psychologique dirige vers l’amie confidente qui peut suggérer de tenter une réconciliation ou inciter à la séparation, c’est selon. Une épouse désemparée se rendant chez le notaire pour vendre la maison conjugale, sur le chemin rencontre une amie à qui elle raconte son infortune de femme trahie. Cette dernière approuve totalement sa décision mais ses paroles lui font l’effet d’une bombe. Elle a rebroussé chemin en pensant que son amie était mauvaise car elle s’attendait à être dissuadée de mettre en acte sa démarche, à un réconfort, à un appel à la réflexion. 

 Entrer en couple devrait s’édifier jour après jour. Le couple n’est pas : il le devient. La stratégie afin de mieux le vivre est de créer un espace commun, un territoire où se déposeraient les visions personnelles, les rêves, les conflits résolus, les souvenirs, lieu qui appartiendrait à l’un et à l’autre avec pour fonction d’établir une meilleure communication qui décoderait les gestes et les silences qui n’auraient de sens que pour les partenaires.  Entrer en couple n’est pas une nouvelle manière de vivre ensemble pour deux personnes qui resteraient les mêmes. Le couple doit être au service de la réalisation de soi. Mais est-il possible d’être deux sans s’oublier et sans perdre sa liberté ? Dans cette société où on voudrait contrôler tous les risques, l’amour fait face au doute puisqu’il n’y a aucune certitude d’être aimé. En amour on vote pour la surprise, les grands élans, à condition qu’ils mènent au bien-être, au plaisir, au bonheur, non à la souffrance. Mais comment mesurer la force des sentiments à partir de cette définition lacanienne de l’amour : l’amour c’est vouloir donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veutpas. L’amour est une croyance, une illusion puisqu’on est aimé pour quelque chose qu’on n’a pas. Donc aimer et être aimé non rien de prouvable. Répond-il à mon désir d’être désiré par luiest une interrogation qui s’enroule autour du fantasme, énigme qui pose la question du sens dont on attend de capter les signes. S’il tient à moi il doit le prouver mais comment ? En faisant ce que je veux ? En étant celui que je veux qu’il soit ? Abolir sa personnalité pour la dépendance ? 

Le choix du partenaire se fait en fonction de facteurs inconscients, pour être confirmé dans le sentiment d’exister d’abord comme être humain, puis dans le sentiment de son identité, de son individualité, de sa spécificité, mais aussi dans le souci de fermer les failles de ses frontières individuelles. La recherche d’un appui narcissique dans un regard positif n’est pas négligeable. Le partenaire fragile aura tendance à rechercher la fusion jusqu’à l’anéantissement psychique mais il pourra aussi se réfugier dans la solitude et tenter de rompre le lien dans un double mouvement : fusion avec bénéfice narcissique et défense contre la dépersonnalisation. Les attentes du couple résident majoritairement dans la sécurité intérieure ; les choix défensifs orientent vers un partenaire qui aide à lutter contre la dépression, l’isolement, la tendance paranoïaque. Il peut aussi faire partie de cette protection contre un amour trop intense, peu séduisant, distant, bourrée de défauts. Mécanisme de défense contre le bon objet : le père. Il peut être aussi le support des projections du mauvais objet, partenaire poubelle susceptible de recevoir les projections de haine ou d’agression violente. Le vécu d’un trauma infantile refoulé semble orienter le choix vers un partenaire faible, défaillant, malade, alcoolique dont le grand bénéfice narcissique est d’être le moins défaillant des deux et légitimer des punitions exercées contre lui.

Mais il y a-t-il une vérité absolue pour bâtir une histoire d’amour et la nourrir au fil des jours ? Il y a souvent confusion entre passion et désir. Le désir est essentiel pour transformer une relation en relation amoureuse et la souder. Un des problèmes actuels est que la baisse de passion soit interprétée comme une fin de désir donc de l’amour. Se sentir désiré est nécessaire car l’expression de ce désir dans le regard de l’autre ravive l’estime de soi. La passion est importante pour l’attachement mais l’intimité l’est encore plus parce qu’elle contribue à l’attachement à petites doses, elle permet une réelle pénétration dans l’univers de l’autre. La difficulté à vivre l’intimité inclut deux choses : le partage du quotidien l’ordinaire, la routine sont les bases sans laquelle rien ne peut être construit, elle procure de la sécurité à l’individu. Puis le goût de l’autre dans le fait de découvrir ses fragilités et ses failles est la règle d’or pourvoyeuse de confiance et de reconnaissance. L’intimité peut faire peur dans une société de liberté totale, se laisser découvrir par l’autre comporte des risques si on ne s’aime pas. La peur de perdre sa liberté est un frein à l’intimité. 

Comment faire quand les conflits génèrent des interrogations ? Une introspection doit s’imposer à propos du ressenti et des émotions. Se demander si on est heureux ou malheureux, si on est traité avec respect. Trop d’acceptation sans poser de limite est une aberration. Analyser le positif et le négatif, se poser la question de l’intérêt du projet de couple à deux. Souvent il est nécessaire de décrypter lequel est responsable de la situation surtout quand on craint de se retrouver seul. Une séparation est une décision difficile à prendre, elle touche aux enjeux émotionnels donc à la psyché. Peut-on aimer si on ne se permet pas de risquer de souffrir et d’avoir besoin de l’autre ? La peur de cesser d’être aimée est parfois plus grande que la peur de cesser d’aimer. Les couples qui durent cultivent l’entraide, la solidarité, la bienveillance, la gentillesse et une relation sexuelle satisfaisante, tout cela assoit un renforcement narcissique. La question de la recette du bonheur est portée en permanence à l’adresse du psychothérapeute comme si son expérience de prise en charge de l’âme humaine le rendait détenteur des clés ouvrant des portes derrière lesquelles se trouverait la puissance, la jouissance, l’absence de souffrance, la solution de tous les maux. La déraison couronnait le prozac, un antidépresseur, sur le trône de la pilule du bonheur. Ses effets secondaires ont temporisé un engouement grandissant relayé par tous ces ouvrages prometteurs d’un prêt à mettre en pratique facile, sans effort à accomplir. Finalement le bonheur c’est quoi ? Un état de plénitude totale, une satisfaction de tous les désirs, une accession à la toute-puissance des divinités ? Il ressemblerait alors à un idéal impossible à atteindre. Sa notion de degré se perçoit au quotidien dans l’inventaire des petits et des grands bonheurs. Il ne saurait advenir sans une profonde implication dans l’accomplissement des actions, sans se donner des buts émanant d’une décision personnelle et se concentrer sur la poursuite de ses buts. On voit poindre là un élément important qui réside dans le sens à donner à sa vie.  La tournure qu’elle emprunte s’oriente dès lors vers un projet de vie bien identifié, un engagement sans ambiguïté à travers une relation mutuelle entre effort et but, une volonté d’harmonie vers laquelle tendraient les buts. Le bonheur entrevu de cette manière serait une série d’apprentissage ou des corrections à apporter surgiraient en fonction des embûches rencontrées, tentative de maintien d’un équilibre intérieur et d’une humeur constante. Il ne saurait se fixer définitivement en chacun, mais serait modulé au fil des événements extérieurs et de leur incidence sur la psyché. 

Qu’est-ce qui empêche d’être heureux ? Les interdits énoncés ou non-dits dans son milieu familial ou son groupe d’appartenance : tu ne mérites pas, tu n’as pas droit, les buts contradictoires et les possibilités d’action incompatibles quand les pensées sont en opposition avec les actions, la cacophonie des croyances, des valeurs, des choix disparates synonymes de désordres et de confusion. S’autoriser à être heureux dans une société qui n’offre rien sur le plan culturel à ses membres en attente de mise en valeur de ses potentialités, est un véritable exploit. Mais est-ce une raison pour ne pas être en quête de bonheur combien même serait-il fugace, fugitif. Les mots qui lui conviennent le plus sont : estime de soi, décision tolérance, harmonie, satisfaction. 

A force de focaliser sur le partenaire et de vouloir à tout prix vivre un amour idéal, la femme et l’homme transforment ce qui est anodin en obstacles infranchissables. Leur soif d’absolu doublée d’exigences parfois égoïstes se heurte sans cesse aux réalités de la vie à deux qui n’est pas seulement fait d’échanges, de partage, mais aussi de différences, d’espaces intimes. Ainsi la conception du bonheur est à la fois égocentrique et irréaliste.

Fait à Saint-Claude le 3 novembre 2024

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