Infidélité et reconstruction

La connotation religieuse de l’infidélité s’est estompée peu à peu pour ne laisser subsister que l’idée de la trahison d’un pacte d’amour. La sanction juridique qui était la violation du devoir de fidélité entre époux qui peut constituer une cause de divorce ou de séparation de corps, elle-même a relégué l’adultère aux oubliettes.

L’évolution des mœurs, le libre-arbitre amoureux, les différentes formes d’union, ont-ils changé le rapport à l’infidélité ? Et aujourd’hui quel impact cela a-t-il dans la relation à deux ?

La première question que je me suis posée est celle de son universalité. Toutes les sociétés ne semblent pas s’aligner sur de schémas culturels identiques s’agissant du pacte de fidélité tacitement admis. Hors du couple, une autre relation ici n’est pas acceptée. Cependant les contradictions ont conservé la place aux interdits sans tenir compte de l’égalité des sexes. L’infidélité ne saurait être dissociée de la représentation de la sexualité. Une représentation est une image partagée par tout un groupe d’appartenance. Quelle place occupe dans la représentation la sexualité des femmes et des hommes ?

Le premier tableau surgi du temps d’antan est celui de l’homme étalon ensemençant des femmes réduites en esclavage et constituant un cheptel d’enfants serviles au moindre coût. Plus tard la permissivité sexuelle du garçon s’aperçoit à l’âge des premiers pas où le sexe et laissé libre au regard de l’entourage, il est d’autant plus visible qu’un vêtement protège le thorax vulnérable. Le garçon sait déjà se couler dans une virilité reconnue où sera aménagée la place aux différents stades de sa croissance et de sa maturation qu’il occupera en tant que personne. C’est un enfant très près du corps maternel, sevré tardivement, qui ne manifeste qu’une autonomie relative. Il possède une situation particulière et enviable. Avec la maturité sexuelle, il devient capable de procréer de remplir la fonction sociale qui est d’assurer la continuité de l’espèce. Autour du corps sacralisé, danse la fantasmagorie de l’homme étalon :« Je lâche mon coq, attachez vos poulettes »dit la mère. L’absence évidente de rite d’initiation sexuelle ne fait que couronner l’autorisation maternelle, forme d’intronisation qui aide les jeunes à s’intégrer dans la vie adulte.

Le corps de femme ne cesse jamais d’être menacé. Il est menacé de l’extérieur par la convoitise du mâle et la jalousie de l’autre femme, la mère. Il est menacé de l’intérieur par l’angoisse sexuelle, l’appréhension de l’acte d’amour, la crainte de la grossesse. Très tôt, le corps féminin est saisi dans sa vulnérabilité, il est rapidement associé au sentiment de réceptivité et d’accueil par analogie symbolique avec son sexe organe ouvert. La pression socio culturelle ne cesse de lui inspirer une réserve, une timidité envers ce corps qu’elle connaît mal. C’est la mère qui lui apprend combien est gênante cette faille fragile et secrète qu’il faut protéger en commençant par la promptitude de la toilette du bébé fille. La fillette sait ne serait-ce que par la conspiration du silence que ce corps est le siège d’un grand mystère. Il faut le cacher, le mettre à l’abri derrière une barrière d’étoffe. La sexualité lui apparaît comme une agression. La procréation mal définie reste une énigme qui passe par elle, qui passe par le ventre féminin. L’identification à la mère est liée aux attributs de la reproduction.

Cependant le corps ne se raconte pas, il se tait dans le non-dit de l’interdiction. L’aspect séducteur ne s’expose qu’à travers les habits élégants, par le truchement des parures de ce corps craintif qui sont les véritables armes de la séduction féminine. Tandis que l’homme plus tard avec les conquêtes à son tableau de chasse démontre à qui veut l’entendre qu’il trace son chemin vers la virilité.

L’homme marié découchait, sortait en public avec sa maîtresse, avait une femme de jardin, se souciait peu d’une progéniture non reconnue, née durant le visiting. Son épouse le savait mais ne cassait pas systématiquement les assiettes. Les scènes, les désaccords, les plaintes ne changeaient rien à la situation. L’aveu à la mère recevait pour réponse : « Ton père, ton grand-père étaient comme cela, prends ton mal en patience. » Aucune désapprobation de la part de la belle-mère qui parfois en tirait bénéfice.

L’infidélité de l’homme était un pis-aller qu’il fallait accepter. A l’époque un homme comme il faut se devait de faire démonstration de sa virilité qui était associée à sa fertilité. Que l’on s’imagine un couple sans enfant. La femme endossait la stérilité et débarrassait son mari de suspicion ou d’impotent sexuel. Être un homme c’est avoir un sexe, être viril c’est s’en servir.

Quittons ces périodes anciennes qui ont laissé quelques traces dans les comportements actuels, quand les maris refusaient une contraception féminine par crainte de liberté sexuelle, et non par croyance religieuse. La femme s’est émancipée, elle a acquis des droits et supporte de moins en moins que son partenaire puisse s’octroyer du plaisir en dehors de son couple et elle pas. Il lui arrive d’avoir une relation extra conjugale dissimulée dont les causes diffèrent de celle du masculin. Les représentations étant diversifiées, les ressentis sont à la hauteur du jugement de l’entourage : « Elle trompe son mari ! » L’homme passe pour un pleutre, une mauviette, reflet du permis et de l’interdit. Ce qui fait sens, c’est que la femme semble être une possession, un territoire susceptible de subir un contrôle permanent. On la pense corps de procréation avant que d’être corps de plaisir.

Le couple est une rencontre de deux personnes, ayant des attentes inhérentes à chacun. Le choix du partenaire se fait en référence aux images parentales positives ou négatives (comme maman, comme papa) et aussi en référence à une figure de l’environnement social plus ou moins chargée de fonctions parentales.

Le style de vie du couple des parents intervient de façon inconsciente (ne pas être dépendants comme ils l’étaient entre eux, ne pas toujours être en conflit, ou exprimer leur amour comme eux). Le partenaire est choisi parfois comme protection d’un amour trop intense, comme pare excitation, choix d’un conjoint peu séduisant, distant, peu désirable, chargé de défauts pour établir une relation froide. Le mariage de raison qui ne dit pas son nom existe encore, il constitue un mécanisme de défense contre le bon objet (la mère.)  Il peut aussi servir de support aux projections du mauvis objet (le parent).

Avoir sous la main un partenaire susceptible de supporter les projections de haine ou d’agressivité violente que l’on a du mal à évacuer et à métaboliser, c’est le partenaire poubelle (alcoolique, menteur) : le couple à court terme cherche à se protéger d’une de ses tendances inconscientes, difficile à contenir à l’intérieur. Le partenaire est choisi de manière à éviter de stimuler la tendance redoutée. Un exhibitionniste va choisir un voyeur, un sadique un masochiste.

Les couples œdipiens mal résolus trouvent ainsi leur expression dans un conjoint qui ne les réveille pas. Contraire du père mais les yeux de la mère. L’étude du couple mixte met en évidence ce critère. Intervient également le refoulement des tendances homosexuelles. Le conjoint incarne la quête des satisfactions pulsionnelles directes. S’il ne répond pas à la demande, il est rejeté très rapidement.

Le couple à long terme dont la recherche de satisfactions n’est pas l’unique motivation, doit contribuer à maintenir une sécurité intérieure : « Pour le meilleur et pour le pire. » Il arrive à éviter le partage des plaisirsjugés malsains ou dangereux. Certains couples dont la relation est conflictuelle ne se sépare pas toujours (couple maudit.) Le choix porte sur quelques aspects du partenaire ou de la relation en tant qu’ils sont défaillants (faible, malade, fragile) avec les bénéfices narcissiques que cela comporte : être le moins défaillant des deux, légitimer les punitions à exercer contre lui. L’attrait et le choix se font toujours autour d’une problématique commune mais avec des manières différentes et en général opposées d’y faire face : l’un quête ou revendique, l’autre donne et satisfait, l’un veut une confirmation, l’autre la fournit, l’un affirme sa puissance symbolique, l‘autre sa castration. La problématique reste commune mais la distribution des attitudes autour d’elle est toujours réversible. Elle peut être rigide ou chronique (c’est toujours lui qui) ou alternative donnant deux types de satisfaction.

L’évolution du couple traverse une :

  • Phase de surinvestissement (bénéfices narcissiques internes) grâce à un processus du déni de la réalité : idéalisation à l’intérieur de la relation, méfiance et hostilité à l’extérieur
  • Phase de crises enclenchées par le retour du refoulé et travail de deuil ainsi qu’une renégociation de la distance.

Cette dernière phase est facilitée par la capacité à communiquer. Il peut y avoir échec et destruction du lien ou réorganisation.

L’analyse rapide de la représentation collective du couple dans le choix du partenaire est indispensable pour s’engager dans la problématique de l’infidélité.

Un couple sur deux divorce pour de multiples raisons. C’est dire que le vivre ensemble est de plus en plus difficile.

L’infidélité féminine 

L’année 1970 a emmené une révolution sexuelle désacralisant l’acte et ouvrant des discussions à ce sujet dans les familles par le biais des médias. La baisse des pratiques religieuses a édulcoré les tabous. L’avènement de la contraception bénéficie aux femmes. Un petit nombre d’entre elles déclare avoir été infidèle une fois ou deux. D’autres ont été tentées mais n’ont pas franchi le pas. On peut observer des différences de comportement sexuels selon la classe sociale, le niveau d’instruction et l’importance de la pratique religieuse. En grande majorité les femmes pensent que le sexe a une place importante dans leur vie. L’idée qu’elles se font de la sexualité sont 1-l’amour, 2-le plaisir, 3-la fidélité. La représentation de l’infidélité chez la femme est une condamnation sans appel, « cela ne doit pas être. »Elle pense être programmée pour le coup de foudre. En même temps, l’imaginaire amoureux contient l’idée que l’on peut avoir des relations sexuelles sans sentiments.

Les causes de l’infidélité sont multiples et subissent l’influence de l’âge :

  • Recherche d’une liberté individuelle que l’on croit perdue
  • Besoin de changement
  • Transgression d’un interdit religieux
  • Volonté de concilier stabilité du mariage et piment de la vie extra conjugale
  • Test de séduction après un régime afin que ce nouveau corps soit valorisé
  • Déception des attentes de départ
  • Indifférence perçue dans le regard de l’autre
  • L’ennui, la routine dans le couple
  • L’absence de communication
  • La problématique de régler son compte à l’inceste et aux attouchements de l’enfance
  • Le mariage par dépit

L’infidélité masculine

Les traces mnésiques de l’homme étalon d’antan de l’esclavage s’estompent peu-à-peu même si elles ont fabriqué un concept de la masculinité : « Être un homme c’est avoir un sexe, être viril c’est s’en servir » Les hommes ont plus de partenaires dans leur vie que les femmes.

Les causes

  • Certains refusent de faire partager à leur femme des jeux sexuels jugés dangereux, ils les recherchent dans les relations extra conjugales.
  • Défense contre les liens sociaux ressentis comme pesants (qualifié de béta par l’entourage, d’être rentré sous le lit, d’être à la merci d’une femme.) L’aventure extra conjugale évite la relation binaire.
  • Explosion passagère de haine dans un lien resté très investi
  • L’avancée en âge et l’abaissement du désir. Une jeune femme conforte le narcissisme quand bien même le viagra ou le cialis vole au secours de la défaillance.
  • Désir de retour à l’adolescence : le butinage
  • Certains mènent une double ou une triple vie sentimentale
  • Quelques-uns considèrent que l’on peut être amoureux de deux personnes à la fois

Ce besoin constant d’un miroir de la virilité pour se sentir homme correspond à la peur de manquer de femme, et d’être rassuré au sujet de son identité sexuelle. En filigrane, on trouve un père abusif introduisant un doute par rapport à l’identité sexuelle, autoritaire, écrasant et envieux des talents du fils dont il piétine toute initiative créative ou toute tentative d’affirmation de soi, un père alcoolique dont l’instabilité émotive garde le fils dans une insécurité permanent, et un manque de statut de mâle.

  • Des fantasmes homosexuels chez les hommes qui ont un père manquant.

Dans certaines tribus traditionnelles des rites permettent d’éradiquer ces fantasmes.

  • Une relation avec un homme plus âgé au moment de l’adolescence
  • Une ingestion du sperme du père pour en acquérir le potentiel de virilité, incorporation de sa force.

La débâcle de l’impuissance débouche sur les sites pornographiques qui renvoient à l’homme une image de lui-même puissante et renforcée qui génère un rituel de ré équilibrage de l’image de soi.

  • La perte d’intérêt et l’indifférence envers la partenaire (cf la chanson de charles Aznavour)
  • L’absence de communication et l’incompréhension
  • L’arrivée d’un bébé qui prend tout l’espace et relègue le père au second plan
  • La permissivité culturelle

Faut-il dire l’infidélité ?

En général, les gens affirment que le mensonge par amour est inévitable, qu’il est une preuve de ménagement de la sensibilité et qu’il faut se taire jusqu’à la découverte du délit. D’autres assurent qu’il constitue une trahison et mérite le divorce. La révélation d’une autre relation est complexe au point que l’acte manqué vole au secours de la confusion des sentiments empreints de culpabilité : un sac ouvert en évidence avec une lettre à l’intérieur, un mail non refermé, un portable emmené loin des oreilles du partenaire, un changement d’habitude (maquillage, élégance soudaine), des mensonges réitérés dans lesquels on s’embrouille.

Souvent un déclencheur autorise d’en parler lorsqu’il ne s’agit pas d’introduire une demande en divorce. Le plus dur est de composer avec l’autre qui ne voit rien (cécité psychique), désireux de continuer une relation même dans la tromperie afin de ne rien déconstruire.

Chaque cas est un cas particulier. La parole doit être libérée au moment opportun, dans le calme sans rentrer dans des détails blessants. La demande de clarification n’est jamais estimée suffisante : « c’est arrivé comme ça », la blessure narcissique ne s’en contente pas, l’exigence de détails, jour, heure, satisfaction sexuelle, martèle nuit et jour à la moindre occasion d’en parler, provoquée parfois. La descente aux enfers est rude, quoi que l’on dise, ce sont des mensonges. On veut un nom, on soupçonne les cadeaux offerts, le désamour pour soi. On exige une rupture immédiate. La culpabilité et la colère finissent par clore les lèvres dans l’engrenage du harcèlement. Toute confiance a disparu. Surgissent le contrôle, la surveillance, la jalousie, la rancune. La situation de crise est à son comble.

Comment sortir de l’impasse ? L’accusé dérouté ne sait plus quoi dire ou quoi faire. Il redoute les sorties génératrices d’accusation publique ou d’allusions malveillantes. Beaucoup en font une affaire publique. Ne rien dire ou dire revient au même. Alors il faut essayer de rassurer, de faire en sorte que les choses se remettent en place que le temps mette un baume sur la blessure narcissique. Quand arrive l’accalmie, s’asseoir pour parler.

Les méfaits

La jalousie est un indice de la présence d’un problème où se côtoient insatisfaction, insécurité, peur de perdre l’aimé, elle est révélatrice d’une souffrance due à un besoin. Elle contamine la vie du proche par des comportements malsains, manifestation d’agressivité à répétition, suspicion, intrusion, manipulation. Elle peut conduire au crime. Quand le vis-à-vis s’explique à l’infini, se justifie en essayant d’éviter ce qui pourrait l’attiser, il se fait sans le savoir complice du jaloux. Cette jalousie prend sa source dans les lacunes affectives de l’enfance et dans l’impossibilité à gérer ces carences dans un refus obstiné. Son absence de satisfaction permet de rêver de situations idéales. Le manque peut aussi correspondre à un abandon réel ou imaginaire.

La rancune est une émotion ressentie après un humiliation, une vexation qui entraînent une blessure d’amour-propre. Elle dure plus ou moins longtemps et s’exprime selon la personnalité. Certains boudent bouche fermée durant plusieurs jour, héritage parental souvent, d’autres sont habités par un sentiment de vengeance. Une femme trompée s’est précipitée dans les bras d’un amant pour avoir le plaisir de démontrer au mari qu’elle en était capable. Le regret, l’amertume, la honte aussi ressentis ont généré du dégoût et une grande insatisfaction. L’estime de soi en a pris un coup.

La rancune naît de l’impossibilité pour l’enfant d’exprimer son mécontentement vis-à-vis de ses parents dans la pratique de la fessée, (tu te tais), la famille câlinou (protestation difficile bloquée dans les câlins), la rigidité de l’éducation. Tout s’accumule à l’intérieur ce qui entraîne la fermeture aux autres avec une absence de contact qui pourrait être réparateur. Elle a comme conséquences l’angoisse, le malaise. Ses sentiments négatifs favorisent stress, déprime, trouble anxieux, insomnie, dans l’impossibilité de se débarrasser des colères intérieures.

Ce sont ces deux supports qui sont le plus à l’œuvre dans l’infidélité.

La gestion de la crise

Le moment propice venu, il faudrait réunir les conditions d’un face à face pour en parler. Quelques règles sont nécessaires pour ce faire :

  • Ne pas chercher à avancer d’excuse, même si la confrontation est rude. Endosser la responsabilité de l’acte, faire son mea culpa.
  • Essayer de rétablir la confiance ; elle ne peut se faire qu’à deux
  • Dresser l’inventaire des dysfonctionnements et instaurer de nouvelles dispositions plus conformes aux attentes
  • Apprendre à exprimer ses sentiments. Ne pas dire son amour est une boursouflure culturelle qui persiste encore maintenant.
  • Communiquer valablement. L’accusation est souvent dirigée vers l’autre :« Tu m’as fait ci, tu m’as dit ça ».
  • Trouver un centre d’intérêt commun. Partager une passion noue les liens.

La faille du couple doit être suturée, un changement est nécessaire. Pardonner prend du temps et demande beaucoup d’abnégation, mais une volonté réelle de continuer à deux réside dans le fait d’une évaluation régulière. Essayer de comprendre où se situe le désir de l’autre, c’est tenir compte de ses attentes jamais comblées. Le rééquilibrage est fonction du rythme de chacun et l’accordage est un facteur d’incompréhension. La souffrance ne saurait être hiérarchisée. Une fois fixés les objectifs, obligation est de les respecter car la méfiance restera de mise durant un certain temps avant d’être réhabilitée par la confiance. Deux perspectives se dessinent : ou le maintien ou la rupture.

Peut-on ramener l’infidèle ?

Les comportements varient en fonction des personnalités. L’utilisation du jeu de séduction à des fins de reconquête, l’indifférence instillant le doute d’un autre amour, l’affichage du désespoir silencieux, la tentative de suicide sont les postures les plus courantes qui obtiennent des résultats en fonction de la blessure d’amour propre.

La rupture

Le deuil est indispensable à une mise à distance avec le passé. C’est un état psychologique : sentiments, pensées, émotions mobilisent l’esprit. C’est aussi un évènement social et relationnel qui influence son rapport à soi même et à autrui. Le deuil est le garant de la guérison. Grâce à lui on va apprendre à survivre sans la présence de la personne aimée. Il n’y a pas de deuil type, pas de bonne ou de mauvaise façon de le faire. Ce qui existe est ce qui se vit jour après jour. Le travail de deuil va réactiver les traumas de l’enfance, l’angoisse de séparation. Le bon divorce est un mythe. Toute rupture est une double perte puisque le partenaire était devenu une autre partie de soi, ses espoirs, ses rêves, étaient intégré dans une histoire commune. Perte du couple, de la famille, crainte du vide. Celui qui est trompé et de plus quitté à beaucoup de mal, il subit une double peine : celle de l’abandon, celle du mépris. La jouissance fantasmée octroie à la partie adverse une victoire inadmissible. Il doit supporter l’inconfort et la tension de cette perte.

Comme pour la mort d’un proche, les étapes tels le déni ou l’évidence est occultée, l’espoir d’une reprise de dialogue est maintenu, l’anesthésie des émotions précède l’agitation. Puis apparaît la colère dans la première confrontation à l’absence suivie du marchandage ; nécessité de revenir en arrière et d’explorer la nature de la relation, les circonstances du divorce attendue ou brutale ou douloureuse. La culpabilité mène à l’idéalisation du partenaire. En même temps la phase de déstructuration conduit à la baisse de l’estime de soi.

Ensuite s’installe la tristesse, épuisement physique et psychique qui signale que le deuil est en voie de résolution. Sommeil perturbé, perte d’appétit, douleurs, ralentissement moteur, perte de plaisir, baisse des compétences intellectuelles, envahissement de la peur de la solitude, insécurité financière pour les femmes sans emploi incapable de se projeter dans le futur saturent le quotidien. Enfin l’acceptation redéfinit la relation à autrui et à soi. Se pose la question du sens de la nouvelle vie et du désir à consolider quand la perception sociale est moins sombre.

Comment se reconstruire ?

Socialement, il existe une différence entre les femmes et les hommes. Les difficultés matérielles obligent des réaménagements du quotidien, l’abaissement du style de vie, le déménagement, l’inexistence sociale, portent à la conscience :« Comment me perçoit-on ? » Comment apprendre à vivre dans un monde où l’autre ne fournit plus d’alibi social ? Quelle place s’accorde-t-on dans une existence où tout vient d’être dévasté ? Les rôles au sein de la famille ont besoin d’être redéfinis. Qui fait quoi ? Qui prend en charge les obligations et les responsabilités qui incombaient à l’autre. Le remaniement peut exposer à des attributions inappropriées : parentification d’un enfant, propulsion néfaste dans le monde des adultes. Face à la peur de ne pas savoir se débrouiller seule et d’avoir à affronter les questions, s’ajoute l’interrogation de continuer à fréquenter les amis du couple. C’est la panique ! La solitude est à apprivoiser, ne serait-ce que dans l’annonce du nousdu répondeur. La femme/mère au niveau de l’Etat-Civil doit accepter que son nom ancien soit un rappel constant de la perte.

Les hommes moins bien lotis sur le plan émotionnel doivent faire preuve de courage et de dignité face au regard des autres. Ils ont sommé de reprendre le dessus : un homme ça ne pleure pas. Ainsi, il est dans l’incapacité de partager sa souffrance et souvent s’investit davantage dans la sphère professionnelle. Un divorcé attire, c’est un cœur à prendre. Il est cependant déconseillé de se réconforter dans les rencontres précoces car il y a risque du phénomène de reproduction : faire subir ce que l’on vient de vivre par vengeance ou rechercher les traits de caractère de l’ex chez la nouvelle élue. Se donner le temps de vivre sa souffrance reste une décision raisonnable.

La reconstruction passe par une plus grande présence auprès des enfants qui réagissent mal à la perte de l’image de la famille idéale. Ils ont aussi un deuil à faire. Parfois ils font alliance avec le parent vulnérable. La partie matérielle doit être exposée à un médiateur financier qui s’efforce de comprendre les intérêts de chacun et l’intérêt commun quand ils sont exprimés. La reconstruction personnelle souscrit à une obligation de prendre soin de soi, de s’autoriser à pleurer et à se révolter, d’accomplir des tâches quotidiennes, de consolider les relations sociales délaissées.

Le deuil du couple est réussi quand il est envisagé de resituer la relation à l’autre et d’accepter qu’il soit un humain avec ses qualités et ses défauts. Le percevoir comme étant capable du meilleur comme du pire. La relation à soi passe par l’intégration de son histoire qui est résolue, de ne plus avoir à se protéger de la réalité et d’inscrire cette perte dans son histoire de vie, d’accepter l’évidence d’une nouvelle indépendance, de redevenir femme ou homme seul. Souvent le partenaire qui demande le divorce par trop plein de ressentis humiliants, souffre beaucoup sinon plus que l’autre. La cicatrisation de la blessure narcissique est fonction de ses déceptions infantiles antérieures.

La reconstruction positive dépend de la volonté de l’un et de l’autre dans l’établissement d’un nouveau pacte. Il va sans dire que le pardon n’amène pas forcément l’oubli et ce n’est que le temps qui atténue la déception. Une fois dépassée l’impression d’un ratage, lentement s’installe un nouveau couple conscient des failles et décidé à une vigilance de tous les instants. Il peut en sortir renforcé par cette expérience douloureuse, semblable à un rite initiatique.

La routine est le premier obstacle à la durée du couple au quotidien et surtout dans l’intimité sexuelle. Lutter contre la monotonie devrait être une préoccupation perpétuelle : créer la surprise, l’imprévu à la hauteur de ses moyens. Un second problème non négligeable est celui de la jalousie qui refuse le jardin secret, désireuse de le pénétrer et d’en assurer le contrôle. Le pire des poisons est celui du manque de respect. Les injures laissent des cicatrices émotionnelles difficilement réparables. Quand les questions d’argent se posent, les décisions devraient être prises ensemble en abordant calmement le problème.

La réussite du couple réside dans la communication continue et l’écoute. Des prostituées font le constat d’une clientèle qui paye non l’acte sexuel mais la qualité de l’écoute.

Peut-on parler d’infidélité quand on sait que l’amour est une illusion et que l’on demande à l’autre quelque chose qu’il ne peut donner, cette sensation qu’on a eue et qu’on a perdu et qui n’est que manque, de l’ordre de la séduction du premier objet d’amour : la mère. « L’amour c’est vouloir donner à quelqu’un qui n’en veut pas, quelque chose que l’on n’a pas. » – J. Lacan

Fait à Saint-Claude le 25 mai 2019

 

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