Gerty Archimède, une femme remarquable

Allocution prononcée lors de l’inauguration du troisième étage de la Maison des avocats, le 22 juin 2022

Depuis peu, nous sortons de l’oubli des personnes au parcours exemplaire, dont l’existence a marqué par des faits importants leur engagement à une époque où il n’était pas aisé de se faire reconnaître. Parler de Gerty ARCHIMEDE, c’est convoquer l’estime de soi d’une population en quête de modèles et d’exemples.

Née le 26 avril 1909 à Morne à l’eau, elle est décédée à Basse-Terre le 15 août 1980 à l’âge de 71 ans. Première femme inscrite au barreau de la Guadeloupe en 1939, elle devenait la première avocate des Antilles françaises. Son cheminement politique révèle une puissante détermination à œuvrer pour un changement fécond. Elue conseillère générale sur la liste prolétarienne sociale communiste en 1945, elle représente les cantons de Pointe à Pitre, de Basse-Terre et de Morne à l’eau.

Elle adhère au parti communiste français en 1948 qui la choisit comme égérie, lui accordant le privilège d’être une conférencière internationale. Membre de l’Assemblée nationale de France (1946-1951), au sein de ce groupe seulement deux ans après que les femmes eurent le droit de voter et d’être élues par l’ordonnance du 21 avril 1944, elle devient une pionnière dans la mesure où elle est la deuxième personne afro descendante à entrer à l’Assemblée nationale après Eugénie EBOUE. A l’Assemblée nationale, membre de la commission de la justice et de la législation et de la commission des territoires d’Outre-Mer, elle est nommée juge suppléante à la haute cour de justice. 1947, elle est rapporteuse pour cette commission sur le projet de loi permettant aux femmes l’accession à diverses professions d’auxiliaires de justice. Elle dépose différentes propositions de résolution sur le taux du franc Antilles Guyane, sur les mesures pour la reconstruction des quartiers incendiés à Pointe à-Pitre (1948-1951), ainsi que les propositions de loi pour l’amnistie des délits politiques dans les DFA, et enfin pour le maintien des locataires dans leur logement. A cinq reprises elle est battue aux législatives.

En 1952, elle réintègre le barreau de la Guadeloupe, puis est élue en 1953 adjointe et maire en 1956, de la ville de Basse-Terre où elle continue à travailler pour le mieux-être de tous. Elle a de qui tenir. Son père Justin ARCHIMEDE fut maire de Morne à l’eau de 1912 à 1947 et conseiller général.

Le destin singulier de Gerty ARCHIMEDE scolarisée à Morne à l’eau, puis à Pointe à Pitre au cours Michelet, enfin au lycée Carnot, s’explique par le désir d’une fille d’atteindre des objectifs que d’aucuns aurait qualifié d’inaccessible. Baccalauréat en poche, elle travaille à la banque de Guadeloupe avant d’entreprendre une licence en droit en Martinique puis à la sorbonne à Paris. Dans une société où la femme doit se battre en permanence contre les discriminations sexistes, elle crée en Guadeloupe une fédération de l’Union des femmes françaises pour les aider à obtenir l’application de la sécurité sociale et des droits à la retraite pour celles de Guadeloupe.

Elle est la première femme bâtonnière de la Guadeloupe de 1967 à 1970. Première partout comme pour démontrer au monde qu’il y a un possible non déterminé par la configuration géographique et l’origine. Son besoin de défendre et de porter secours, lui donne l’occasion en 1969, d’organiser la défense d’Angela DAVIS bloquée en Guadeloupe lors d’un retour de Cuba et menacée de prison pour propagande anticolonialiste. Rencontre de deux femmes porteuses de la même conviction : celle que le poids du joug de la domination est inacceptable.

Elle a ouvert la voie à trois femmes bâtonnières. Dans son sillage, la seconde, maître Annick IBENE, 30 ans après, a assuré la fonction en l’an 2000, implantée dans un univers réservé aux hommes. L’évolution se fait lentement, même par imposition légale. La seconde, maître Evelyne DEMOCRITE a fortement contribué à l’édification de la maison des avocats dont le décor intérieur révèle un vrai talent artistique. Sa futuriste vision de rapprochement des institutions a favorisé l’établissement d’une convention entre l’ordre des avocats et le tribunal administratif dans un but de simplification.

En outre, ses projets en direction de l’antenne des adolescents suscitent l’espoir d’un accompagnement apporté à quelques-uns au seuil de la délinquance. La famille dirigée vers la Soulagerie tire bénéfice d’une écoute bienveillante et déculpabilisant. L’importance des liens, des échanges, se perçoit même dans le second souffle donné à la conférence des bâtonniers des Outre-Mer et des DFA. Nouer, tisser, faire groupe, semblent des leitmotivs qui donnent sens à sa volonté de rencontre avec l’autre, dans un enrichissement de connaissance réciproque. La quatrième, maître Tania BANGOU, nommée dans un temps de pandémie dévoreuse de vie, a dû travailler en silence, consolidant les murs de justice, sans démonstration des actes accomplis. Tout était devenu secondaire hormis la désespérance généralisée.

La personnalité forte de Gerty ARCHIMEDE apparaît dans ses multiples activités où jamais elle ne se désolidarise des femmes, de leurs causes et de leurs conditions. Avec elles, elle s’engage dans une lutte contre les discriminations, les injustices, en féministe avérée. Elle n’est pas uniquement au service des causes désespérées. Son combat politique l’ancre dans une dimension plus large : celle d’une volonté égalitaire socio-économique.

Quelle détermination l’a propulsé vers cette réussite intellectuelle en 1939 après des études de droit en France où la représentation des personnes originaires d’Outre-Mer se limitait à la constitution physique, gommant les capacités d’une modélisation de la pensée. Quels efforts lui a-t-il fallu pour surmonter les obstacles d’une démonstration minorée de ce savoir qu’elle utilisait en but d’édifier une société où l’accès à la connaissance basculerait les barrières des préjugés. Sa vie tournée vers les autres n’a été qu’un généreux foisonnement d’idées et d’actions, laissées en héritage.

Des honneurs lui sont rendus. Sa maison devenue le Musée Gerty ACHIMEDE au 27, rue Maurice Marie Claire à Basse-Terre a été baptisée la Maison des illustres. Une statue en bronze en sa mémoire a été érigée le 13 décembre 2021 sur le boulevard maritime à Basse-Terre. Une rue dans le 12ème arrondissement à Paris porte son nom depuis 2006. Le 14 janvier 2011, l’amphithéâtre de l’université de la Guadeloupe et de la Guyane à Saint-Claude est baptisé en son nom ainsi qu’une place à Morne à l’eau où son buste est visible. En 2019, c’est la Région Guadeloupe qui lui rend hommage en déclarant l’année 2019, année Gerty ACHIMEDE. Depuis ce soir 22 juin 2022, le troisième étage de la maison de l’avocat a une plaque commémorative portant l’inscription : espace Gerty ARCHIMEDE.

Si aujourd’hui, je devais m’entretenir avec elle, je lui poserai une unique question : « Dites moi maître, la Guadeloupe actuelle est-elle celle dont vous avez creusé les fondations avec l’espoir que les générations futures suivraient le plan élaboré pour sa construction ? »

On ne dit pas merci aux disparus. Mais j’aurais aimé dire à cette femme de conviction : maitre Gerty ARCHIMEDE : honneur et respect.

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