La non-violence

Aujourd’hui il est indispensable de s’élever contre cette violence généralisée existant dans tous les pays de la planète sans exception. Nul n’est à l’abri, nul n’est épargné. A observer le monde, à écouter sa détresse, à assister impuissante à la destruction de personnes de la société civile, par le fait du hasard quand il s’agit d’actes terroristes, les cibles désignées dans les violences conjugales et les féminicides, il y a urgence à sensibiliser la nouvelle génération au concept de non-violence. Mais peut-on aborder le sujet sans expliciter succinctement ce qu’est la violence ?

La violence

Expliquer et comprendre n’est ni accepter, ni excuser. Cependant toutes les espèces sont mues par un instinct qui les pousse à sauvegarder leur intégrité, à défendre leur territoire et à chasser un rival. La pulsion agressive est un instinct vital indispensable à la survie.

L’homme, lui, face à un danger réel ou supposé est en proie à des émotions telle la peur qui le pousse à fuir ou la colère qui le pousse à attaquer. Le choix de l’une ou de l’autre posture est conditionné par des critères strictement personnels comme l’humeur et son seuil d’irritabilité, de son caractère et sa tolérance à la frustration, mais aussi des caractéristiques de la situation.

La notion de danger n’a pas la même résonnance chez tout le monde. Toutefois quand l’agression reste la réponse ordinaire et courante d’un humain, la violence est au premier plan dans ses interactions avec les autres, elle se confine dans une banalisation logique d’un comportement habituel.

La violence est multiforme

  • Elle est physique et psychologique, générant des émotions chez les victimes dans un rapport de soi à l’autre ou alors déplacée quand la cible n’est pas atteignable. Par exemple l’enfant en colère contre un parent qui le gronde va s’acharner sur sa poupée en lui mettant une fessée et en la menaçant de représailles.
  • Elle s’observe dans les groupes à travers le rapport dominant/dominé mais aussi dans la désignation d’un bouc émissaire et sa fonction sacrificielle.
  • Elle est violence sociétale autant dans le processus politique: marginalisation des déviants par rapport à la norme collective, qu’économique : paupérisation de plus en plus grande de la population entraînant une oppression des plus faibles, que culturelle : imposition de normes et de valeurs de la classe dominante, discrimination raciale et sexuelle
  • Elle peut être insidieuse par sa perversité mais aussi destructrice que celle qui est visible.
  • La tolérance sociale de la violence abolit le concept de visibilité et son obligation à la détecter donc à la repérer, notamment au sein des familles où l’opacité du regard des autres ne l’identifie pas. Elle a ses codes de fonctionnement comme dans les cas d’inceste.

Elle s’assortit de critères sans lesquels elle ne s’exprimerait pas.

Les facteurs favorisants autorisent la germination du phénomène, ils préparent le terrain.

Les facteurs déclenchants vont allumer la mèche et permettre l’explosion.

Les facteurs renforçants assoient durablement la situation du déferlement de l’émotion et sa permanence.

Il semble alors essentiel d’en comprendre les mécanismes pour en atténuer les effets destructeurs et les désamorcer. La combativité et l’agressivité ne sont pas à proprement parler de la violence qui reste un processus de destruction de l’autre ou de son anéantissement.

La non-violence

Que recouvre ce terme ? Une fuite irréfléchie, une force d’inertie enrobée de lâcheté ? Un refus de se défendre ou une acceptation totale des évidences de maltraitance ? Rien de tout ceci ne correspond à la non-violence qui est une manière d’agir dans le conflit en respectant l’autre.

D’abord savoir dire non fermement à la violence c’est faire entendre clairement ce qui est refusé (la première question posée aux victimes du viol est : avez-vous dit non ?), puis se soustraire de l’idée d’être soi-même maltraitant envers l’agresseur mais de lui faire entendre raison sans employer ses propres procédés.

La non-violence requiert de l’action car s’opposer à la destruction nécessite un procédé actif ne serait-ce que dans la dépense énergétique qu’elle implique ; c’est dire que l’action non-violente c’est agir sans violence contre la violence. Elle suggère de se défendre autrement dans la construction d’un renforcement psychique qui autorise d’être fort sans avoir les moyens de la violence : la force des faibles.  Survient dès lors la domestication de la peur, sa maîtrise, l’instauration de la désobéissance combien même la menace serait terrifiante.

Un exemple type est celui de Rosa Parks qui refusa aux USA de céder sa place à un blanc dans le bus du temps de la ségrégation raciale. Les places réservées aux noirs étaient à l’arrière et en aucun cas quand elles étaient toutes occupées, les afro américains ne pouvaient s’assoir dans les sièges libres de devant. Son entêtement à rester assise sans céder sa place : elle dira plus tard « j’étais trop fatiguée », a décidé de son arrestation et d’une amende de 15 dollars. Le jour de son procès le 5 décembre 1955, le mouvement de boycott des bus de Montgomery a débuté en réclamant la justice sociale, à sa tête Martin Luther King, un pasteur de 26 ans. Durant 381 jours, les noirs refusèrent de rentrer dans les bus municipaux. La raison économique aidant, le 13 novembre 1956 le gouvernement instaura la fin de la ségrégation dans les bus. Cela a été le début d’une liste de revendication portée par Martin Luther King, la reconnaissance des droits civiques, les longues marches et sa célèbre phrase : « I make a dream. » Formidable démonstration que le combat non violent est de se faire respecter dit et répété lors de manifestations en 1997 des lycéens : « Plus puissant que la violence, le respect. » La non-violence conserve l’idée de se défendre en respectant l’adversaire.

Quand survient l’agression, comment se comporter ? Quelle attitude adopter ? Il y a-t-il une méthode infaillible pour ce faire ? Sur le plan conceptuel, il existe une différence entre violence et conflit. La violence est un conflit que l’on ne peut résoudre et qui se termine mal. Le non-violent a le choix entre trois postures :

  • 1) Faire l’autruche en se mettant la tête dans le sable, et penser que les choses s’arrangeront d’elles même en adoptant la voie de la passivité, c’est emprunter la voie du leurre. Le conflit reviendra en force.
  • 2) Rejeter la faute sur l’autre en l’accusant de manière virulente d’être l’auteur de cette situation, c’est s’exposer à une revanche et au maintien d’une non-résolution du problème.
  • 3) Arriver à un compromis est une démarche adulte et responsable. Chacun doit abandonner en partie ses intérêts particuliers afin de trouver un accord acceptable pour tous. Mais il faudrait que la compréhension, l’altruisme, la tolérance, la volonté d’une véracité de décision se trouvent au premier plan.

La méthode non-violente stipule que les mots soient mis à la place des coups, tant qu’il y a de la parole il n’y a pas de passage à l’acte, car une parole vraie fait retomber la pression de même qu’un regard sans agressivité peut apaiser la colère. Ce processus d’apaisement s’édifie à partir de règles imposées à la psyché, en les travaillant jusqu’à ce que la force intérieure aide à développer la maîtrise et la confiance en soi. Mais le plus important consiste à dépasser les traumatismes de l’enfance où humiliation et frustration s’allient pour justifier le besoin de vengeance doublé de cet effet parano du monde entier persécuteur.

Juguler ses tourments oblige à se recentrer sur soi en s’engageant dans des activités gratifiantes qui procurent satisfaction et harmonie, à plier son corps à la discipline d’un sport. Envisager de prendre conscience de sa peur en occultant l’inexprimé, la dire à une personne ressource, sonder sa souffrance en l’identifiant et demander de l’aide si besoin est en évitant de se draper dans une toge de toute-puissance, est un cheminement logique.

Une autre règle dicte la conduite de la conscience de soi en récusant l’acceptation d’une victimologie dans une situation de souffre-douleur ou de bouc émissaire. Devenir le sujet de sa vie c’est décider de mettre fin à toute relation déshumanisante dévalorisante, reprendre le cours de son histoire en disant avec force un non qui doit être entendu. L’exemple du rackett démontre combien il est impérieux de ne pas céder à la menace en se murant dans le silence de la peur. L’unique solution est d’en parler tout de suite afin d’échapper à l’installation de l’angoisse. Le rackett détruit et fragilise les bases de la confiance en soi. Il doit concerner tout le monde en faisant fi de la lâcheté d’un environnement qui devrait être condamné choisissant de se taire et de ne pas s’impliquer.

Une solution de non-violence est la médiation où il n’y a ni gagnant ni perdant. Elle a pénétré le milieu scolaire grâce à l’association Attitudes Médiations qui a permis aux scolaires d’en apprendre les règles et de les appliquer. Toute fois la loi est nécessaire pour interdire la violence parce que le vivre ensemble implique la connaissance des règles et leur application. Le constat d’une délinquance multirécidiviste est la résultante d’une mauvaise intégration des limites, de carences éducatives et affectives. L’aide apportée à ces jeunes personnes s’oriente vers une re socialisation consistant à fixer les limites dans un cadre sécurisant, une investigation libératrice des désirs et des attentes, une mise en forme de propositions et de suggestions capables d’ancrer leur vie dans un univers de responsabilités qui donnerait une autre représentation d’eux et changerait le regard d’autrui avec en prime un comblement du manque.

Le précurseur de la non-violence est Gandhi dans son engagement pour l’indépendance de l’Inde : « La fin est dans les moyens comme l’arbre dans la semence » a-t-il affirmé. Sa désobéissance s’est manifestée lors de la marche du sel en 1930. Sa méthode préconise 5 critères de base :

  • Déterminer les objectifs à atteindre et s’y tenir
  • S’allier au plus grand nombre afin de se faire entendre : la force du nombre
  • Trouver une bonne idée d’action par laquelle le groupe montre sa force sans violence. Pour montrer sa force il s’agit de refuser ce qui est demandé « ne plus coopérer avec l’injustice »
  • Utiliser la parole comme atout majeur en explicitant le bien-fondé de son action
  • Rester dans le registre de la non-violence malgré les provocations.

Quand on ne peut plus échapper à la violence : « Si le choix est entre la lâcheté et la violence, mieux vaut choisir la violence. » « Même si on n’a aucune force physique, il est honteux de s’enfuir, le devoir exige de résister et de mourir à son poste. Ce serait une attitude non-violente et courageuse. Au contraire il y aurait du courage, mais aucune non-violence à faire usage du peu de force dont on dispose pour se battre et anéantir l’adversaire, au risque d’y perdre la vie. Si on fuit en présence du danger, c’est de la lâcheté. Dans le premier cas il faut avoir en soi de l’amour et de la charité. Dans les autres cas on n’a seulement que de la haine, de la peur ou de la méfiance. Je n’hésite pas à dire que là où le choix existe seulement entre la lâcheté et la violence, il faut se décider pour la solution violente. »

L’ONU a déclaré les années 2000/2010 « Décennie de la culture de la paix et de la non-violence pour les enfants du monde. » Le manifeste demande à chacun de s’engager :

  1. A pratiquer la non-violence active en rejetant la violence sous toutes ses formes, physique, sexuelle, psychologique, économique et sociale.
  2. A partager son temps et ses ressources matérielles en cultivant la générosité afin de mettre fin à l’exclusion, à l’injustice et à l’oppression politique et économique.
  3. A défendre la liberté d’expression et la diversité culturelle en privilégiant toujours l‘écoute et le dialogue.

Une conclusion ne saurait se faire vu l’ampleur de la violence de par le monde, ces mots de Gandhi sont encore d’actualité : « La non-violence est le moyen le plus inoffensif et le plus efficace pour faire valoir les droits politiques et économiques de tous ceux qui sont opprimés et exploités. La non-violence n’est pas une vertu monacale destinée à procurer la paix intérieure et à garantir le salut individuel. Mais c’est une règle de conduite nécessaire pour vivre en société, car elle assure le respect de la dignité humaine et permet de faire avancer la cause de la paix, selon les vœux les plus chers de l’humanité. »

Lutter contre la violence n’est pas seulement s’attaquer à la partie visible. C’est aussi lutter contre celle qui est en profondeur, la misère et l’exclusion, les injustices et les inégalités.

Fait à Saint-Claude le 24 novembre 2019

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