Aborder le thème de la misère en l’insérant dans une notion globalisante, c’est occulter les formes multiples sous lesquelles elle se présente. Grave, permanente, ou occasionnelle, elle demeure toujours une atteinte à la dignité humaine. Il semble nécessaire de la distinguer de la pauvreté et de la précarité.
La misère serait plus appropriée à une situation de dénuement total quand il s’agit de personnes n’ayant aucune activité professionnelle. Sans abri, sans couverture sociale et sans papiers, elles se retrouvent à la rue, engluées dans une réalité sociale doublée d’une détresse psychologique. Se nourrir dépend de la distribution des repas quotidiens assumée par des associations qui disposent parfois de quelques lits d’hébergement. Malades ou invalides, sous l’emprise de substances psychoactives, l’espoir d’une réinsertion s’est éloigné de leur perspective d’existence. En marge de la société, frappées d’exclusion, elles ressentent le rejet de manière douloureuse sans pouvoir l’exprimer. La rupture des liens sociaux et familiaux les maintient dans ce registre de l’indifférence au point que le regard des autres n’aperçoit pas leur présence.
L’exclusion sociale est une part de la misère extrême des villes dont les pays au niveau social élevé auraient bien aimé se passer. Ici on affuble chacun d’un nom correspondant à un trait particulier apparent ou physique ou mental, une étiquette distincte qui le sort de la masse des clochards, une identité façonnée en guise de reconnaissance. Même si personne ne lui adresse la parole, le quartier saura identifier son corps mort dans un caniveau et le désigner. Sans identité officielle, on évoquera son souvenir sous le pseudo l’ayant sorti de l’anonymat.
La pauvreté s’engouffre dans les dédales d’un jonglage éternel de finances insuffisantes à couvrir les besoins. Elle s’étale dans une gradation mesurable selon l’ingéniosité individuelle. Faire le choix entre les loyers impayés, les factures d’électricité et les factures d’eau, c’est miser sur l’alimentation indispensable à la survie. Fini les carnets antiques de crédit payables en fin de mois, la nourriture doit être réglée au comptant. S’habiller devient un casse-tête d’autant plus que sur le lieu de travail, la disparité des salaires trace une ligne de démarcation entre les employés. Le cache-misère n’existe pas dans les pays tropicaux où il n’y a pas de différence de température, pas de manteau complice du manque de moyen et porté toute la saison. Les femmes sont habiles à donner le change, elles marient les couleurs, associant des tenues dépareillées avec harmonie. La fierté légendaire antillaise est à l’œuvre dans le paraître aux postures apprises et transmises, muselant la parole plaintive. Qui raconte ses peines, raconte ses mépris.
La précarité est parfois évènementielle. Une mauvaise gestion de budget, une situation de surendettement précipite toute une famille dans un marasme économique à durée limitée. Elle est permanente chez les personnes à petits revenus, à contrat à durée déterminé, chez les étudiants confrontés à un retard de bourse, ou à une perte de petits boulots. Elle couche dans une voiture un colocataire qui ne participe plus au partage financier de l’habitat, met en difficulté dans le cas d’abaissement de revenus des personnes désorientées par la différence de salaire.
Les causes de la pauvreté et de la précarité sont très diversifiées. Sont touchés les chômeurs, les travailleurs saisonniers, les migrants, les étudiants, les salariés sous-payés, les personnes seules élevant des enfants (foyer monoparental), les invalides, les sujets âgés, les sujets malades. Avoir un emploi ne suffit pas à garantir une vie confortable, ni à se soigner comme il le faudrait. Les pauvres bénéficient de la sécurité sociale ou de la CMU, mais se privent de soins nécessitant une participation financière. Les manques se répercutent au niveau de la santé. Les personnes démunies ont une alimentation déséquilibrée, où la conjugaison des trois facteurs : surpoids, diabète et hypertension amenuisent l’état de bien-être fortement prisé dans toutes les sociétés. Il est à remarquer que la condition de pauvreté est en grande partie responsable de l’insuffisance de poids des nourrissons et que les bébés prématurés décèdent un an suivant la naissance.
La pauvreté est une violation des droits de l’homme, affirme l’UNESCO au même titre que le non-accès à l’eau. En Guadeloupe 34% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté calculé selon le barème de 1.010 euros par mois. En France 14% ont une posture identique avec un seuil de pauvreté de 1.102 euros. Le seuil de pauvreté est fixé par convention à 60% du niveau de vie médian de la population. Cette condition de vie oblige à subir des difficultés à propos du logement, de l’habillement, de l’alimentation. Certains n’ont ni internet, ni voiture, ni loisirs. La très grande pauvreté atteint 12% des personnes contre 2,1% en France. Le chômage s’élève pour la tranche d’âge de 15/24 ans à 47,1%, et des 25/54 ans à 39,2%. Le taux de chômage est de 7,4% de la population active en France métropolitaine. En parler reste difficile à cause de l’incompréhension des actifs qui conçoivent mal que les autres sans rien faire bénéficient d’aides sociales. La comparaison est un obstacle qui définit négativement la catégorie des sujets dont le RSA est l’unique revenu.
Depuis la pandémie, facteur aggravant la pauvreté, plus de 1.000 demandes supplémentaires ont été enregistrées par mois. Le chiffre de 45.300 personnes, c’est à-dire 25,3% bénéficiaires du RSA, le quart de la population, touchent 532,47 euros par mois. A l’énoncé de ces chiffres on peut mieux comprendre les frustrations de ceux qui vivent dans un environnement dégradé. Certes, l’outil de mesure de la misère doit être revu et corrigé. Il ne saurait souscrire aux mêmes items en Suisse ou en Somalie où les conditions de vie sont dissemblables, mais des leviers approchant les caractéristiques communes des peuples sont susceptibles d’améliorer leur vécu. La pauvreté se transmet. Les premiers modèles sont les parents enfermés dans une sorte de fatalisme. Ils n’ont pas toujours la démarche incitant à valoriser l’apprentissage, la curiosité intellectuelle, le savoir, piliers de l’échelle sociale autorisant une autre trajectoire. Dans chaque pays existe un programme pour venir en aide aux démunis. Il peut être affiné en fonction de la configuration de l’environnement.
Les aides sociales, aide au loyer, à l‘électricité, aide temporaire en cas de détresse, la CMU, l’APA sont des prises en charge qui améliorent considérablement le quotidien mais ne doivent pas occulter des décisions sur le long terme générateur de changements durables. Des propositions sont à analyser en fonction de l’existant. En premier lieu :
- Dans l’immédiat intervenir auprès des enfants leur assurant les matériels indispensables à l’acquisition du savoir. On sait comment l’absence d’informatique a pénalisé plus d’un.
- Permettre l’accès à la médiathèque qui sans véhicule n’est pas possible.
- Donner la possibilité de fréquenter les lieux de culture et de loisirs,
- Intégrer le ou les parents au programme afin d’assurer une continuité. Sans leur adhésion rien ne pourra se faire.
L’excellence et la méritocratie sont depuis quelques années les maîtres mots du ministère de l’Education nationale. Des réformes en profondeur proclamées depuis le second quinquennat auront à faire la preuve qu’un nivelage des connaissances donnera à tous les enfants scolarisés les mêmes chances de réussite.
En second lieu :
- Proposer aux jeunes adultes une formation complémentaire sous forme de formation continue mais avec un tutorat. L’exemple montré s’imprime plus facilement dans un cycle d’apprentissage.
- Inventer des formes d’insertion dans un premier marché du travail en fonction des choix. La question du choix est primordiale. Trop souvent la reculade vient de l’impression d’un pis-aller, ou d’une contrainte contre laquelle il n’y a pas de négociation possible ou d’avis formulable.
En troisième lieu :
- Etudier avec les chômeurs de longue durée les possibilités d’une réinsertion en tissant des liens de confiance.
- Accorder des prestations supplémentaires aux familles,
- Augmenter les salaires et baisser les prix, ce qui relancerait l’économie. Les primes ne sont pas des solutions ; elles devraient être intégré dans les salaires.
La lutte contre la misère doit se réclamer d’une réelle efficacité dès lors qu’elle se donne pour objet de restituer des droits et une dignité à tout être humain. Comment concilier le tout et le contraire de tout quand le premier acte posé d’un gouvernement a été de supprimer l’impôt sur la fortune ? Les départements d’Outre-Mer ne sortiront pas de cette dépendance aggravée sans un projet pensé et élaboré en fonction de ses particularismes.
Fait à Saint-Claude le 23 octobre 2022