Fausse couche et deuil périnatal

La gestation est protéiforme dès lors qu’elle est confrontée à des situations diverses, mariage, célibat, viol, fécondation in vitro. De plus elle est influencée par la culture qui l’auréole de représentations. Le fœtus, comme sa mère et son père font partie d’une lignée, mais aussi des environnements humains qui vont interagir selon leurs intérêts. L’interruption de grossesse survient de manière volontaire, l’avortement, ou involontaire, la fausse-couche, perçue sous des angles différents. La perte spontanée du fœtus nécessite parfois une hospitalisation capable de palier aux risques hémorragiques. Elle est toujours une période difficile pour la femme attentive à la durée de la gestation. La fausse-couche à six semaines ou à quatre mois révolus n’est pas ressentie de la même manière. Sa répétition donne lieu à réflexion et examen des causes dans une large perspective.

Seules 15% des grossesses se terminent par une fausse-couche précoce, avant 14 semaines d’aménorrhée. Les causes sont souvent méconnues, disent les gynécologues. La science rappelle les facteurs de risque associés à la fausse-couche : L’âge de la mère, son surpoids, la consommation excessive de tabac et d’alcool, des interruptions volontaires de grossesse (IVG), l’exposition à des ondes électromagnétiques, des troubles de la fertilité, et l’âge avancée du père.

Au temps du dur labeur féminin, la société de la misère l’acceptait comme une régulation naturelle des naissances, une sélection où les plus forts arrivaient à terme, à l’instar du spermatozoïde dont la vélocité était récompensée par la fécondation de l’ovule. La recherche ne s’intéressait pas encore à ce phénomène le nombre d’enfants étant très élevé et le suivi de la grossesse quasi inexistant. La maternité hissait la femme à un niveau de sacralité dans sa fonction première qui était une fonction de procréation. L’être maternel restait investi et valorisé. Celle qui ne portait pas en son sein la vie, ne bénéficiait pas d’une grande considération et de plus tombait sous le coup de représentations négatives.

Hormis la fausse-couche spontanée, l’interruption d’une grossesse de tout début, quand la contraception n’existait pas, constituait un réel danger pour celle qui se laissait tomber d’un arbre afin de décrocher l’indésirable. D’autres absorbaient une mixture composée d’ananas vert cuit dans du vin. Les légers saignements comme un retour des menstrues, ne couchaient pas les corps à l’hôpital. Cette fausse-couche spontanée a conservé des représentations transmises qui de générations en générations, perdurent selon le degré d’adhésion aux croyances religieuses et maléfiques. Ainsi quand la science ne lui attribue pas une cause rationnelle, explicite, prouvable, la culture va combler la vacuité du diagnostic par une superposition d’images. Qu’elle soit Individuelle ou environnementale, elle secrète des invariants qui saturent l’espace de l’imaginaire. Le déficit peut venir de la femme ou de l’homme comme le souligne les études de gynécologie, mais pas dans le même registre.

Les représentations culturelles de la fausse-couche

  • La malformation utérine dite matrice penchée peut se remettre en place à l’aide d’une manipulation manuelle interne. L’accusation de coupable commerce sexuel avant le désir de regagner les rangs de la normalité maternelle, demeure vivace.
  • La malédiction d’un cycle de fausse-couche à répétition touchant mère et fille engluées dans le mal subi, désigne un ancêtre malfaisant décédé avant d’avoir payé sa dette sur terre, laissant comme legs la malédiction de ses méfaits, jusqu’à la septième génération, faisant des victimes du mal commis par ascendant.
  • La punition divine, la main de Dieu, juge spirituel, intervient pour infliger une sanction à la transgression d’interdits : mariage forcé, démantèlement d’un foyer par séduction d’un homme marié.
  • La sorcellerie et ses maléfices demandées par une maîtresse jalouse.
  • La manipulation des forces occultes qui nécessite de donner une âme innocente au diable ou aux esprits qui aiment le sang. Ainsi on se garde d’annoncer la grossesse avant trois mois, le fœtus étant dans une période de fragilité, pas bien accroché, il peut tomber : à souligner la notion de chute comme tomber enceinte.

Ces représentations combien même ne seraient t’elles pas exprimées par l’entourage, sous-tendent des jugements négatifs non ignorés par celles qu’une fausse-couche affecte d’autant plus que le nombre d’enfant est de 2,3 par ménage et que le traitement de la FIV (fécondation in vitro) s’étale sur une échelle de réussite improbable.

La prise en charge traditionnelle est relative à l’adhésion aux croyances, mais n’empêche aucunement les traitements médicaux. Le culturel propose après fausse-couche :

  • Un nettoyage du corps intime : locks, boisson à base de plantes diverses, une décoction de feuille de mombin, des lavements utérins.
  • Des massages chez une frotteuse
  • Des bains de feuillages et d’essences
  • Des neuvaines de prière au levant
  • Des pèlerinages
  • Des protêgements ou gad cô.

La prévention devrait écarter l’angoisse d’une autre fausse-couche, abaissant le seuil de l’anxiété en attendant l’aménorrhée.

Le traitement médical prescrit le cerclage qui réduit le risque d’accouchement prématuré, l’alitement jusqu’au huitième mois, et un suivi plus intense de l’évolution de la grossesse.

 

Le deuil péri-natal

Après une mort in utéro, il est nécessaire d’appliquer la méthode d’accompagnement de la mère à partir de l’expulsion d’un fœtus âgé de 5 mois et demi. L’annonce du cœur qui a cessé de battre crée incrédulité et désarroi. De cause inconnue puisque le diagnostic est tributaire de l’autopsie, la mort du fœtus va d’emblée donner lieu au surgissement d’idées perturbantes. Qui est responsable ? La négligence médicale qui n’a pas prévue cette issue, les gènes pas suffisamment explorés, la nocivité maternelle quand il s’agit du premier bébé, le second étant né à terme et en bonne santé. Les interrogations sont à la mesure de la panique qui s’installe quand l’attente de l’expulsion dure 24 heures. Penser un bébé mort à l’intérieur de soi, se sentir impuissante à toute action constructive, puis n’avoir aucune réponse immédiate, donnent assise à la peur, à la honte de n’avoir pu mener à bien le projet de départ.

La prise en charge consiste à préparer la mère et le couple à voir l’enfant parfois informe et à le recevoir dans les bras en suggérant de lui dire au revoir, l’immortaliser dans une photographie. Le refus est envisagé. Des propositions telle une exposition dans une salle pour un fœtus de sept mois ou plus, afin que la famille restreinte puisse le voir, une visite à la morgue aussi, assoit le réel. Un soutien psychologique est apporté aux parents en individuel ou en groupe quand il y a des enfants en âge de comprendre la situation. Un bébé mort-né est un non-événement qui n’a pas de prise directe sur le réel. L’épreuve du deuil dans le couple peut le déstabiliser, chacun ayant un rythme personnel, une posture parfois non comprise de l’autre.

Le travail de deuil consiste à donner au bébé une histoire qui le rattache à ses origines, en refusant de faire comme si rien ne s’était passé. La déclaration à l’état civil l’insère dans une lignée avec un prénom et un nom, la crémation ou l’enterrement situe un lieu/repère où sa trajectoire s’est terminée. Les parents conservent leur pouvoir de décisions. Le soutien psychologique après l’hospitalisation doit se poursuivre ; il balise le vide laissé par l’absence et la perte. La layette, la chambre, le ventre encore proéminent, disent l’espoir construit au fil des mois, d’une naissance mentalisée. La tradition qualifiée de superstitieuse affirme que jamais le berceau ne doit franchir le seuil avant l’arrivée du nouveau-né. Acheté, il restera dans la boutique jusqu’au jour du retour de la mère à la maison. Insérée dans les rites de préservation de la santé, la recommandation prend tout son sens en cas de mort in utéro. Faire face au traumatisme n’est pas aisé car l’enfant a été porté physiquement et psychiquement. Le temps d’élaboration et d’acceptation est un temps individuel, personnel, il n’y a pas de travail de deuil type, l’essentiel est de s’approprier l’évènement et de réinvestir la vie.

Fait à Saint-Claude le 12 octobre 2022

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