Le pardon

Publié dans Le Progrès social, n° 2665 du 17/05/2008

Acte de courage pour certains, acte de faiblesse pour d’autres, le pardon va rarement de soi. Il implique un cheminement long et exigeant, dur à parcourir à cause de l’emprise de la haine.

La haine, comment la supporter ? Elle est un mal intérieur qui pousse à détruire autant que la rancune. D’abord arrive la colère envahissant chaque parcelle de l’être, puis le désespoir et enfin cette haine qui lie à l’agresseur par un phénomène d’emprise. Aucune distanciation n’est possible. La première pensée du matin, la dernière du soir concernent l’agression ou la trahison. Ainsi, haïr, c’est se punir soi-même. Et l’espoir qu’une douleur identique à la sienne pour son auteur pourrait  réduire sa propre peine n’est qu’illusion.

L’égalité face au pardon n’existe pas, sa réussite dépend moins de l’outrage que de la manière dont il est reçu et vécu. Fruit d’un travail sur soi dont l’issue est incertaine, on peut souhaiter pardonner sans pouvoir y parvenir. Chaque histoire est singulière et il y a autant de pardons que de victimes. Le pardon ordinaire se différencie du pardon extraordinaire.

La démarche première du croyant implique Dieu dans la trahison. Si l’être tant vénéré a permis au mal de l’atteindre à un tel degré de destruction, c’est qu’il n’a pas su le protéger et lui éviter une telle épreuve. Son Dieu est un dieu mort. Par un  retournement réactif, il adopte la position psychique la plus forte, rempart d’une solidité à toute épreuve il se meut en Être suprême. Il se croit désormais intouchable, à l’abri de la malchance. Rien ne peut plus lui arriver de mal. Pour assurer sa protection, il devient haineux puisqu’il est haï.

L’accession au pardon passe par des stades obligés. Afin de ne pas souffrir avec autant d’acuité et sortir de la violence subie, le recours à la plainte déposée en justice est un pas en direction d’une demande de réparation. Dire en quelque sorte à la société le préjudice dont on souffre et le dénoncer soulage de façon infime mais soulage quand même. Le fait de pardonner n’empêche pas de porter plainte car on ne peut pardonner que ce que l’on peut punir. Reconnaître que la faute existe, c’est reconnaître la culpabilité de l’agresseur. Souvent les victimes se posent la question de leur participation à l’agression et prennent à leur compte la culpabilité. La femme cassée psychiquement par un harcèlement moral et sexuel souffre de la mise à pied de son harceleur : «  Si je n’avais rien dit, il aurait conservé son emploi. Je me sens responsable. » Admettre l’agresseur comme coupable est indispensable pour se retrouver et renouer le lien avec soi-même. Le fait d’endosser une partie de l’agression favorise après-coup les maladies psychosomatiques et draine des conduites d’échecs à répétitions. Il est illusoire de vouloir effacer le passé et essayer de gommer l’offense. La colère devient alors indispensable. En vouloir à l’agresseur, est une prise de conscience, une réalité de l’existence de la souffrance. La faire surgir demeure une nécessité pour une meilleure santé psychique. L’acceptation de la blessure est un renoncement au déni : à défaut de la montrer il faut la dire et en parler. Si le ressentiment n’est pas expulsé au dehors, il risque de déclencher un processus d’auto destruction : la haine retournée contre soi. Savoir ce qui en soi a subi un grave préjudice de l’honneur, de l’orgueil, ou de l’amour propre, aide à comprendre pourquoi l’action nocive de l’autre est insupportable. S’accuser de n’avoir pas su l’éviter ou en la prévoyant ou en adoptant une attitude de défiance, alimente le reproche et le manque de perspicacité. L’auto flagellation jugule la possibilité d’analyser les motivations du coupable. Une fois admis l’idée définitive que lui seul est responsable de la situation, loin de l’excuser pour autant, l’inventaire de son ou ses mobiles met en évidence ses faiblesses. Les méfaits sont regardés sous un angle nouveau. Le germe du pardon commence alors à poindre ; la haine en diminution laisse la place à une forme de compassion. Prendre le temps de s’imprégner de la transformation du ressenti est nécessaire à la garantie du changement. Un pardon trop vite accordé n’apporte pas le soulagement espéré ; il ne ferait qu’enfouir dans l’inconscient un éprouvé dont le surgissement validerait la permanence de la souffrance. Le dilemme n’est pas le même pour un pardon ordinaire. Aux petits maux – le temps s’octroie un délai proportionnel à l’affect- le mal donne moins d’emprise. Le grand ou le petit pardon s’observe à la disparition de la colère, de la rancœur, à l’effacement de toute culpabilité. Il ne sauve pas de l’oubli, mais permet de dire que « c’est passé. »Vivre comme avant avec un souvenir moins pénible d’une période de tourment correspond à une victoire sur l’émotion. Acte libérateur qui agit comme un rite d’initiation, le pardon renforce le Moi en y ajoutant une force supplémentaire.

Ceux qui par leur attitude ont fait souffrir, n’envisagent pas de façon systématique de demander pardon. Admettre la faute est difficile dès lors qu’elle souligne les imperfections. Elle ramène à une dimension humaine forçant à l’abandon des rêves de toute-puissance. Obligation est de se trouver moins génial qu’on ne le pensait surtout devant la peur de paraître mauvais aux yeux de la personne dont on implore le pardon. L’orgueil et l’auto satisfaction empruntent une voie rapide dans le sens de la baisse. La crainte du rabaissement induit la question : « Est-ce bien nécessaire de demander pardon ? » En prendre la décision sans dérobade consiste à éprouver du respect d’abord pour soi. Une action responsable et constructive honore son auteur ; de  plus elle est le signe d’une grande sensibilité : elle souligne la bonne foi. Ensuite à avoir du respect pour l’autre. L’humilité dévoilée devient source de guérison car elle ouvre la voie de la réconciliation. L’offense reconnue est une promesse d’amendement : elle est garante de la non-répétition d’une conduite blessante. Intégrer qu’on est capable de commettre des erreurs est une posture intérieure qui évite de se justifier à tout prix. Comprendre la blessure et chercher à l’atténuer correspond à une proposition de partage de la peine infligée malgré soi. La distance est abolie : la communication peut éclore. Cependant la décision de pardonner n’appartient qu’à la victime. Quand elle l’accorde, elle l’offre en cadeau car le pardon n’est pas un dû. Le « Je m’excuse » est loin d’être suffisant. Les faits doivent être remémorés de façon claire et précise. Enoncés, ils se trouvent exempts d’ambiguïté. La demande de pardon sert à restaurer la vérité, à analyser les répercussions néfastes sur le psychisme de la victime. Ce n’est qu’à ce stade que la reprise des liens est possible.

Pardonner n’est pas aussi aisé qu’on le pense. Toute la difficulté réside dans le double deuil à faire : celui du renoncement de l’objet de la haine, celui de la perte. Expulser le persécuteur de soi sans combler le vide laissé par sa présence jusqu’à saturation, risque de provoquer un déséquilibre. La dimension du temps sert à organiser des aménagements narcissiques pourvoyeurs de survie. L’apaisement arrive avec l’idée que le Créateur se chargera du sujet de la faute : l’évocation de la notion de justice s’agissant du croyant est un préalable au pardon. Dieu est un dieu de justice et son attribut principal est la miséricorde. Le raisonnement religieux tient compte de la rédemption, du rachat des péchés, de l’acte sacrificiel. La phase identificatoire autorise que le moment éthique domine le moment passionnel. La croyance en une fatalité  va mettre l’accent sur le partage des responsabilités. Autrui prend un autre contour : la justice naît de la charité. Le non-croyant sans supports bibliques n’aura pas d’autres choix que celui de l’acceptation de la fatalité et d’une grandeur d’âme capable de prendre la décision de se réparer, de se délivrer, de prendre un nouveau départ en redevenant acteur de sa vie.

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