La jeunesse est-elle une maladie ?

Publié dans Le Progrès social n°2583 du 14/10/2006

L’œil sévère, la bouche tordue accompagnant le balancement désapprobateur de la tête, Man Cia avec la certitude de ses 70 ans regarde ces jeunes personnes se dirigeant vers l’école. L e corps sous toutes ses formes de Jennifer LOPEZ et SCHEELA à YEMOUNA, débardeur court, jupes et pantalons semblables à une deuxième peau pour les filles, tee-shirt immense et jeans pour deux dévoilant le slip pour les garçons, le corps s’affiche, se dandine comme un défi à l’ancienne génération, celle des grands-parents. «  Ces enfants là sont habillés tout nus, ventre dehors. Ils n’ont  pas de conduite. Ils sont sans famille. Pas de çà chez moi. Dans ma maison on me respecte. » Le jugement de Man Cia a une mémoire sélective. Elle omet l’excommunication de l’église pour raison de pluri paternité, 7 enfants, 5 pères différents ; elle oublie les secrets de famille bouche fermée sur l’inceste répété, elle a balayé de son souvenir les jupes à cerceaux montant l’escalier au-dessus des yeux levés des garçons, la jupe fourreau avec talons aiguilles redoutés des dessus de pied d’autrui.

Mais ces adolescents ( les moins de 20 ans représentent 32% de la population) sont-ils étrangers à la société ? Sait-elle Man Cia que le moment de l’adolescence est à mettre en relation avec l’époque et la culture où il se déploie, que la crise est fonction de l’environnement ? Il existe des inégalités telles la croissance biologique ( la survenue des poils, la mue) et psychologique ( plus pondéré, plus sérieux) selon l’appartenance à une classe sociale. Certains milieux ne tolèrent ni les sautes d’humeur, ni les fugues, ni les contradictions. « Crise, quelle crise est-ce que j’ai fait des crises moi ? » Le monde a bougé sans qu’on se retrouve la tête en bas. L’effondrement des valeurs morales et religieuses est général. Par phénomène de mimétisme la jeunesse se confond dans le vis-à-vis des téléviseurs, des ordinateurs Elle peut être à la poursuite d’un idéal et de modèles d’identification qu’on n’offre pas à leur admiration. C’est vrai aussi que l’époque exige que tout le monde se donne à voir, on déclare sa flamme en public, à croire qu’elle sera plus vive et plus durable, vue et entendue sur l’écran de télévision. Le tout star ne peut ériger de superstar le minimisant. Comment se sentir fier d’appartenir à un groupe dont les représentants ne sont pas nommés ? Man Cia avait senti son nez enfler quand Chantal REGA avait gagné l’épreuve de la course à pied, elle avait brandi le poing droit devant le téléviseur en criant : « On l’a jeté même ! » Marie José PEREC  Christine ARON, Patricia GIRARD, Muriel HURTIS, Laura FLESSEL, chacune est la fille de Man Cia : « Cette jeunesse là c’est la fierté de la Guadeloupe. Bravo. Ce n’est pas comme les autres, les délinquants. » A force d’associer jeune âge et délinquance, les enfants n’oseront plus sortir par crainte d’être jauger ou de tomber sous le coup d’une fausse accusation.

La délinquance est une façon d’intégrer une situation inter individuelle et une réaction qui vise à diminuer l’anxiété. Elle tient souvent au cadre socio éducatif : la famille, l’école. On ne naît pas délinquant, on le devient. Une corrélation peut être établie entre la nature des relations familiales et le genre des délits. S’agissant de l’école, la frustration augmente quand surgissent les incertitudes à propos de la possibilité de développer ses potentialités, de donner suite à ses désirs et à ses fantasmes. Le zéro de conduite, l’absentéisme, la dégradation des gens et du matériel visent à abaisser les tensions internes. Chez les délinquants on retrouve :

  • Une insuffisance de niveau intellectuel
  • Une absence d’idéal
  • Une incapacité à secondariser les désirs : le tout et le tout de suite vont favoriser la plongée dans le rêve artificiel, la prise de substance psycho active et une polytoxicomanie ( drogue plus alcool.) Il est à souligner que l’alcoolisme des parents induit une sensibilité de la dépendance chez les enfants
  • Une image négative du père
  • Un manque de communication qui est une réponse à une structure parentale inadéquate, autorisant l’apparition d’activités anti-sociales.

Quelques délinquants manifestent des symptômes névrotiques résultant de relations affectives perturbées et présentent un surmoi particulièrement rigide.

Pour prévenir la violence il faut «  anticiper dès la scolarisation précoce : haltes garderies, crèches et écoles maternelles, la repérer pour ne pas la laisser s’organiser chez l’enfant comme une réponse troublée au monde qui l’entoure. » Man Cia dit que ce ne sont pas les enfants de sa fille ceux-là. La délinquance a toujours existé, elle était moins médiatisée. Elle est aggravée par la consommation de drogue qui vise à obtenir : une excitation psychologique, une certaine tension physique qui cache un mal-être latent avec les drogues stimulantes, un apaisement psychologique, une détente avec les drogues sédatives, une modification des perceptions que les drogues hallucinogènes sont aptes à apporter sur les plans auditifs, visuels, olfactifs. La dépendance à la drogue est une incapacité à surmonter les difficultés sociales et relationnelles.

En grande majorité, les adultes évoquent les interruptions volontaires de grossesse (IVG), nombreuses trop nombreuses. Les spécialistes tirent la sonnette d’alarme mettant l’accent sur le danger de racler l’intérieur de l’utérus avec fréquence. L’absence de contraception ne relève pas seulement d’une attitude religieuse, elle met en relief un dialogue à deux niveaux : avec la mère et avec le géniteur. La jeune fille ne s’autorise à communiquer pleinement avec sa mère qu’en faisant partie à son tour du monde maternel sacralisé. Avec le géniteur elle entretient au niveau inconscient une attitude castratrice. Elle détruit ce qu’il croit être le produit de sa virilité. Elle abolit sa puissance sexuelle. Mais pourquoi jeter l’opprobre sur la jeunesse uniquement ? A l’analyse des chiffres, il ressort que 42% des filles de 12/17 ans ont subi une IVG et que 54% des femmes de 45 ans et plus aussi. Celles qui récidivent sont de 12% pour les 12/17ans et de 56% pour les 35/49 ans. Madame Cia ! Elle a tourné la tête une main fermant la bouche. Elle ignore les chutes du haut des arbres, les breuvages d’ananas vert au vin, les comprimés de permanganate. C’est vrai qu’il n’existait pas de moyens contraceptifs, en 1960 les premières pilules faisaient leur apparition et faisaient peur. Aujourd’hui l’abondance des produits est au féminin comme s’il ne saurait avoir de responsabilité partagée.

Les comportements citoyens sont pour tous sans discrimination d’âge. La délinquance routière, le portable au volant, les voitures arrêtées n’importe où peu soucieuses de la gêne occasionnée, les jeunes de moins de 18 ans en sont exclus. Les achats pathologiques, le surendettement, les jeux d’argent, la ruine quoi, ils en sont loin. La société fustige une trame de la jeunesse en lui faisant endosser le rôle de bouc émissaire, à la traiter en étranger, pire en ennemi ( car à un étranger on offre un accueil confortable), elle risque de la pousser un peu plus dans le désarroi. Le taux de suicide chez l’adolescent commence à devenir inquiétant, des pathologies nouvelles se font jour. Certaines nuits, quand le vent pleure à la porte des maisons, il colporte la détresse des délaissés couchant dans les squats, incapables de franchir le seuil parce que trop agressifs, trop mal, trop menaçants. Ils ne sont pas en grand nombre, mais l’imagination aidant les compte par milliers dans les villes.

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