Elégance et transmission

Les modèles affichés concernant le vêtement n’influencent en rien le choix de la femme à la recherche d’une tenue pour une circonstance précise : ils lui donnent simplement un éclairage sur la tendance. L’attirance pour une tenue, la forme, la couleur contient des bribes du passé enfoui dans l’inconscient. L’habit est un marqueur social qui dévoile l’origine. D’une classe sociale l’autre, la posture, l’élégance, participent à une identification à un groupe donné selon les objets de luxe et de prestige possédés. Le luxe s’associe au prestige mais pas forcément au bon goût ; ce n’est pas le coût d’une tenue qui détermine sa distinction et sa classe.

La femme guadeloupéenne avait la réputation d’être d’une grande élégance, d’une coquetterie adaptée aux évènements, en baisse selon ce que véhicule la parole. La modernité a certainement dans un esprit pratique simplifié la façon de se vêtir, en tenant compte de la liberté accordé au corps. La robe à corps traditionnelle revisitée, le jupon, le chapeau sont remplacés par la robe droite stricte et noire, plus vite enfilée, limitant la transpiration. Pour des raisons de commodités, certes, mais aussi financières, les tenues dans un petit pays ne sauraient être portées plusieurs fois. Les enterrements rassemblent les mêmes personnes. Vêtements de cérémonie ou du quotidien, ils demeurent générateurs de sens. Comment dès lors expliquer les postures et l’engouement des femmes pour les habits différents à chaque occasion, au temps où l’argent ne se dissimulait pas dans une corne d’abondance ?

A l’analyse, le vêtement ne peut se dissocier de l’objet de paraître. Dans la complexité des relations et des liens du temps de l’habitation, le vêtement affichait le statut. Les tâches domestiques dans la proximité des corps par don et mimétisme autorisaient des atours supérieurs en qualité à celles des travailleuses des champs. L’espace du travail forcé établissait une échelle de valeur, susceptible d’alimenter la quête d’une reconnaissance ne serait-ce qu’à travers une rivalité de nature narcissique. Le vêtement à l’origine était déjà porteur d’un message d’une image de soi que l’on montre à l’autre. Dans le faire semblant, il permet de tenir un rôle, de donner le change, il souligne que le corps qui le porte se transformerait, en accédant à une nouvelle classe sociale. La trame des sentiments démontre que l’habit laisse affleurer l’inconscient dans le besoin de partage et de réponse d’un langage non verbal. Il s’engouffre dans le chemin des identifications qui constituent le moi du sujet, il est ainsi signe de désir. Désir d’autant plus prononcé que le corps est le lieu des pulsions : agrémenté il devient doublement désiré par ce qu’on donne à voir à l’appel des sens. Aussi nantie, aussi belle, la femme élégante se hisse dans l’estime de soi et celle des autres. Quatre dimanches dans un mois, quatre robes différentes à l’écoute du sermon du prêtre à la messe, et à la sortie, la visite non annoncée chez une parente du même âge ou une amie proche. La ville n’a pas conservé les manières d’un temps de dénuement complet, où la rivalité dans un non-dit soulevait le cœur de jalousie. La transmission n’a pas été évidente, vu le changement de mode de vie, la configuration de l’habitat, la professionnalisation féminine. 

Toutes les ethnies possèdent des croyances liées à l’appartenance au groupe, réaffirmant leur identité et leur lien avec la tradition. Le vêtement codifié selon une ritualisation, lors de cérémonie annuelle s’endosse à des fins d’établir une communication, une interrelation entre le visible et l’invisible. Il fait partie des symboles dont la fonction protectrice, la plus lisible, masque les autres fonctions agissantes qui l’entourent :la séduction, la sexualisation du corps. Les fêtes de fin d’année, à la campagne et à la ville, ont conservé une forme de pensée commune autour du vêtement. La période comprise entre Noël et le nouvel an est une fin de cycle et un recommencement, appelée semaine joyeuse du 24 décembre au 1er janvier, elle s’ouvre début décembre sur les soirs du chanté noël. Point n’était besoin de signes distinctifs vestimentaires.

Avec le temps, pour mieux créer l’idée d’une originalité guadeloupéenne, les jupes madras et les corsages blancs sont apparus, puis plus tard les bonnets père noël rouge. Quelques tâches nécessitaient un tablier avec une poche comme pour la cueillette de pois d’angole écossé en groupe essentiellement féminin dans le monde rural. La catégorie sociale favorisée, a toujours fêté noël autour d’une table d’abondance dégustée après la messe de minuit. Quelques pâtés légers permettaient de tromper la faim. Les tenues somptueuses pour le réveillon ornaient l’église en donnant un éclat certain à cette nuit exceptionnelle. Les personnes qui passaient de maison en maison manger un morceau de jambon traditionnel et déguster un shrub ou un punch à l’anis s’équipaient de chaussures de marche et de vêtements ordinaires. Les portes ouvertes les accueillaient en musique, chants et danses plantant un décor adapté à la situation festive. La viabilité des rituels dépendait du contexte socio-économique. De la coutume il n’est resté que les chantés noël, la peur de l’agression ayant délimité les portails et installé un matériel de surveillance sécuritaire informatisé. 

Le 31 décembre, le bain démarré pris à l’embouchure, enlacement de l’eau de rivière et de l’eau de mer, pour des raisons pratiques reçoit les corps uniquement à la mer, à minuit. Agrémenté d’essence et de feuillages, ce rite de purification a adopté le maillot de bain rouge ou blanc à défaut de la longue robe chemise blanche synonyme de pureté comme le blanc dans le candomblé brésilien ou dans le sacrifice vaudou. Afin de sortir l’esprit du mal d’un corps possédé, la mambo revêt la victime d’une toge blanche, puis tranche au-dessus de sa tête le cou d’un poulet que le sang imbibe du haut en bas. A minuit, heure de marge, le bain démarré remplit une double fonction : il permet de se débarrasser des tracas de l’an écoulé et d’aborder la nouvelle année entièrement purifiée, une naissance entendue comme une ouverture à un futur meilleur. Le point de passage d’un cycle à un autre, selon le point de vue où on se place, apparaît comme le point de destruction de l’ancienne manifestation ou comme la source de la nouvelle manifestation. L’eau conserve une force rituelle et sacrée dans les baptêmes, le lavage du corps mort, le nettoyage des maisons, la dernière gorgée au moment de l’agonie, quand l’âme lavée apaisée, pénètre dans le royaume de l’au-delà en toute sérénité. Puis le bain de chance ou de désenvoûtement se prescrit par le gadézafé afin de juguler le temps de la déveine, de la maladie, du désamour. 

Le jour de l’an sourit à la robe de couleur jaune, elle, la préférée depuis toujours. Ouvrir l’année en occultant la croyance c’est prendre le risque d’un corps ouvert sans protection, à la merci de tous les dangers et surtout celui du manque. Le jaune est la représentation du soleil, l’astre brillant, puissant, lumineux. La gaieté rappelle la fête, la joie, la bonne humeur avec un éclat particulier. En référence au roi soleil, n’oublions pas que l’esclavage a eu lieu sous son règne, le jaune concrétisait l’or et la richesse symbole d’opulence comme le grain de blé symbole de fertilité et de chance à l’instar du grain de riz envoyé sur les mariés. Jaune ou doré, la gloire et le luxe s’associent. La couleur ne passe pas inaperçue, elle attire le regard, en supporter l’acuité, c’est avoir une bonne estime de soi et être en confiance. La force et la puissance sont en en représentation, à travers une robe, un jour particulier. L’hermétisme affirme que le soleil c’est l’expansion de la manifestation, la seconde phase du cycle et sa période de croissance, le plein éveil chez l’homme. Par analogie, l’an nouveau doit apporter tous ces éléments à la femme qui franchit le seuil de l’an neuf. Même les sous-vêtements accompagnaient le rite de marge en passant de l’impur au pur. La souillure du domaine du non sacré est banni de la relation divine. La boucle est bouclée : le rite de purification, l’appel au changement, l’intégration dans un autre univers sont liés à la sphère surnaturelle. Dans ce cas précis la relation entre le profane et le sacré n’est pas d’opposition mais de complémentarité.

Sont à proscrire le bleu et le violet. Le bleu ressemble à la nuit et non pas au ciel ou à la mer. C’est du bleu foncé dont il s’agit, à éviter à la nouvelle année tout comme le violet pourtant couleur liturgique rappelant la chasuble que met le prêtre pour célébrer messes et enterrements, mais il violet désigne aussi le temps de repentance. Le recours à l’hermétisme met l’accent sur la troisième phase du cycle, décroissance et vieillesse, le contraire du rayonnement. La vie commence par une naissance et non par le dessèchement et le chaos. A remarquer que culturellement la couleur noire signe de deuil, d’obscurité et de ténèbres est rarement présente dans la décoration et l’ameublement ainsi que dans les bijoux.

La robe jaune à pois est saturée de sens. Le pois est apparenté au cercle retrouvé dans de nombreuses cultures. Il est le symbole de l’union du terrestre et du divin, de l’illumination, de la renaissance. Il n’a ni commencement ni fin, emblème d’éternité, d’égalité, et de perfection, il est semblable au soleil. Il rappelle le processus de la nature, le cosmos et les cycles de l’univers, dans lesquels transparaissent l’unité, la vie, l’énergie. Le rond est synonyme d’élégance et obligatoirement de séduction. En Afrique, chez les peuls du Niger, le gerewol est une cérémonie annuelle qui dure sept jours au cours de laquelle sont désignés les hommes estimés les plus beaux. L’endurance physique, les danses, la nourriture restreinte en conformité aux règles de la honte (les hôtes offrent les vivres qui ne doivent pas être consommés par les invités en signe de respect.) et le maquillage au premier plan sont des facteurs de séduction. Les hommes se recouvrent le visage d’une poudre ocre rouge, ajoutent de la graisse pour la brillance, du khôl sur les yeux et dessinent des points sur leurs joues. Ce sont ces points qui requièrent l’attention à la recherche de corrélation avec les origines. Les pois, les ronds, les cercles, du corps au vêtement sont les attributs de la beauté et de l’élégance.

Qui dit élégance dit séduction observée dans un ensemble de règles de comportements ritualisés. La femme se construit une image qu’elle choisit d’endosser afin de susciter un lien avec les autres. Le vêtement est le support de la mise en scène d’une stratégie pour plaire et/ou pour déplaire. Elle instaure une communication non verbale intentionnelle et consciente mobilisant les affects perçus dans le regard appuyé ou furtif, soupesant l’effet produit, créant une tension ou de l’admiration. Les bijoux sont sortis de leur boîte, ceux de grand apparat, qui se montrent lors de cérémonie exceptionnelle, mariage, enterrement, baptême, réception à la résidence préfectorale. Colliers, broches, bracelets assortis en or 18 carats, héritage ou acquisition s’exhibent afin de faire naître la convoitise chez les femmes. L’or rehausse la beauté magnifiée dans l’imaginaire par l’attachement d’un amant enivré d’amour. La concurrence lui attribue un charme inégalable, magnétique. Quand les moyens financiers ne le permettent, l’étalement des prix par tempérament donne l’illusion d’un statut social acceptable. On s’habille contre les autres femmes, rivalisant d’originalité, suscitant la curiosité, surtout quand la suspicion d’une aventure enfonce une épine dans le cœur. Les robes du réveillon de la Saint-Sylvestre brillent de jouissance d’être contemplées.

La psychologie n’est pas absente du port de l’habit. Les tenues révèlent la personnalité, elles disent selon le style adapté à la vision du monde de chacun, ce que le corps même dissimulé sous les étoffes laisse transparaître. Le corps de culture s’exprime derrière les choix vestimentaires signant la contradiction sous la pression de l’environnement. Les codes de fin d’année se sont transmis dans quelques familles où la tradition a cimenté les comportements. Trop habillé, pas assez habillé, des femmes sont en proie au doute., combien même la tendance de la mode donnerait une orientation Le jeu codé dans un simulacre des apparences s’élabore sur des normes sociales et esthétiques qui se sont transformés au cours du temps en fonction de divers paramètres tels : le paraître, la sexualité, puisque la féminité comme la masculinité sont rattachées à l’objet vestimentaire qui valorise les attributs sexuels. Les rituels de séduction dépendent du statut social et du pouvoir économique.

L’existence d’une neutralité sexuée des rituels de séduction s’impose de plus en plus dans la mesure où la femme est désormais plus accessible sexuellement qu’auparavant. La publicité a mis plein feu sur un idéal de beauté fondé sur la santé et la jeunesse commun aux deux sexes. Combien même, l’aspect vestimentaire est un élément central dans certains milieux où s’instaure une guerre d’influence signalant la catégorie socio-culturelle, il contribue à augmenter le prestige dans un but parfois inavoué de l’obtention d’un statut particulier. Rivalité, séduction de l’autre ou séduction de soi, la transmission de l’élégance n’est pas observable par défaut d’outil existant. Les beaux habits cependant, conservent cette note de respect envers la symbolique de l’évènement. Que reste-il du rapport du corps humain au sacré dans une société où le rite de marge s’est transformé ? La robe à pois du jour de l’an conserve t’elle le même sens dès lors que les pois dans la mode sont banalisés même s’ils soulignent une grande élégance.

Fait à Saint-Claude le 28 octobre 2022

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