Profils du harceleur

Le harcèlement, comportement d’un individu ou d’un groupe d’individu, est une attaque destructrice qui existe dans le couple, la famille, le milieu professionnel ou dans la vie politique et sociale.

La mise en place d’un tel processus, à travers ces différents champs d’intervention peut-elle dessiner les contours d’un modèle/type de l’agresseur ? Il y a-t-il une corrélation entre le fonctionnement mental d’un harceleur partenaire de vie intime, collègue de travail, ou rival politique ?

On sait qu’un comportement peut avoir de multiples déterminants psychiques et obéir à des fonctionnements mentaux divers. En aucun cas, un comportement ne peut être le révélateur exclusif d’une structure de personnalité particulière (élément certainement principal de l’échec des classifications comportementales), il est à lire dans un ensemble plus vaste, qui le surdétermine mais sur lequel il vient agir en retour.

Tout comportement se trouve à la jonction d’au moins trois axes : l’organisation de la personnalité, l’histoire du sujet et l’environnement extérieur : c’est-à-dire les circonstances de son émergence. Enfin tout acte, comportement, attitude ou conduite est inscrit dans un contexte social et culturel. Cet acte agi qu’est le harcèlement doit donner lieu à un champ de réflexion clinique qui tente de comprendre la dynamique de son aboutissement. Que cherche le sujet à travers son acte ? Quelle énigme, quelle problématique personnelle tente t-il de résoudre ? Dans quel processus psychique s’intègre l’acte ? Quels conflits internes tente t-il de mettre à plat ?

Ce questionnement devrait dévoiler un sujet dans sa singularité qui, à travers une réalité se trouve confronté à un tiers réel, imaginaire ou symbolique.

Les perversions

Un même mot recouvre des plans d’analyse différents. S’agit-il de comportement aberrant où le partenaire perd sa qualité de sujet pour n’être qu’un seul objet de plaisir à travers une mise en scène plus ou moins élaborée, ou s’agit-il d’une organisation psychique particulière ?

La perversion en tant qu’organisation structurelle de la psyché offre des aspects particuliers de la violence. Des perversions existent en dehors d’une telle organisation mais la perversion induit toujours des perversions parfois inapparentes. La perversion en tant que structure entretient avec la psychose des rapports de proximité. Il était cependant classique de considérer la perversion comme le négatif de la psychose.

La structure perverse situe l’individu dans l’ordre du plaisir, au demeurant archaïque et régressif. Ce qui détermine le pervers est sa manière de jouir des situations qu’il crée. Il ne peut se défaire de son mode de fonctionnement archaïque dont il ne souffre nullement par ailleurs. En raison de ses mécanismes de défense psychique (essentiellement le clivage et le déni), il utilise en toute sérénité, sans angoisse et sans conflit intrapsychique, son mode opératoire. Il peut opter pour le plaisir autoérotique, tout à tour, le sadisme et le masochisme.

Le pervers sadique agresse l’autre pour le réduire à l’état d’objet, le dominer et régenter la relation qu’il a lui-même décider d’établir. Il donne l’impression d’avoir peur de la confrontation et de ses propres affects. Le scénario pervers stéréotypé, nie le vis-à-vis en tant que personne en même temps qu’il interdit l’émergence d’affects réciproques. Le recours à la violence est plus fondamental que la dimension sexuelle qui peut n’exister qu’en tant que moyen d’une plus grande violence encore. Les agressions perverses se ressemblent, sur la forme et sur le fond. Identiques et répétitives, elles dénotent une fixation à un stade sadique.

Le pervers ne ressent pas de culpabilité qui engendrerait un conflit interne. Ce qu’il redoute le plus c’est de ne pouvoir mettre en œuvre ses actes agressifs conformément à ses désirs. Il a besoin de tout contrôler dans le calme avec froideur et de façon rationnelle fin de transgresser la loi selon sa propre décision. La recrudescence des agirs pervers est à craindre durant ses périodes de déstabilisation psychique, au gré des aléas de la vie. Sa fixation à un stade prégénital lui confère une grande vulnérabilité, lors des atteintes narcissiques ou des vécus d’abandon. Certains évènements douloureux de sa vie peuvent réactiver les actes pervers et son besoin de contrôle s’engage dans la voie de la violence.

Dans le couple le harcèlement est nié et banalisé. L’accent est souvent mis sur une relation de domination. L’emprise se met en place de façon insidieuse par petites touches ou îlots de déstabilisation. Le fer de lance de la relation perverse est le dysfonctionnement de la communication. La rareté des échanges, les allusions, les sous-entendus installent le doute et l’incompréhension dans l’impossibilité de poser des questions franches, d’instaurer un dialogue donc une explication.

Tout peut être sujet à interprétation : le ton, l’ironie, la moquerie. La violence imprègne les messages, confus, contradictoires. Le dysfonctionnement des échanges s’étaye sur un gommage de la communication directe, un brouillage des messages, une distorsion du langage (forme et fond), un habillage de la vérité, le mépris, la parole paradoxale (tout et le contraire de tout), le dénigrement, dans une volonté de dominer. Ces expressions subtiles induisent une relation de dépendance, permettant de vérifier une toute puissance jouissive. La victime, sa paralysie, son inertie, ne parviennent pas à diminuer le dénigrement, ni les attaques souterraines, socle d’une volonté de contrôle.

Quand une opposition surgit, il accentue ce comportement jusqu’à ce qu’il obtienne ce qu’il veut, jusqu’à arriver à la chosification de l’être, surtout en période de crise. Le refus de la responsabilité de l’échec conjugal, autorise le rejet sur le partenaire d’une faute commise qui n’est jamais nommée. Le retrait d’amour est nié verbalement mais apparent dans la conduite. La peur de s’engager dans une relation de couple qui effraie, crainte d’être totalement dépossédé par l’autre va inverser la procédure : édifier un enfermement qui maintient à disposition par la frustration.

En cas de divorce ou de séparation, le pervers sent sa proie lui échapper. La violence sournoise se déchaîne à travers les appels téléphoniques incessants, les menaces directes ou indirectes, les filatures. Le maintien du lien s’exprime légalement dans les consultations judiciaires, les lettres recommandées, les confrontations d’avocats. Quand la victime ose réagir, il peut s’ensuivre des violences physiques. Si elle se montre généreuse croyant échapper au persécuteur, il peut la pousser à la faute et obtenir ainsi des torts réciproques. L’agresseur reproduit parfois ce qu’il a vu dans sa propre famille.

La perversion existe aussi chez la femme. Les enfants n’échappent pas à cet état de fait, le subissant par la force et l’autorité de l’adulte. Elle s’aperçoit de génération en génération dans un phénomène de reproduction. Quand la violence directe vise le partenaire en cherchant à le détruire, à défaut, elle se reporte sur les enfants qui sont solidaires du parent visé. Ils sont agressés en tant qu’enfants de l’autre, pris dans un conflit qui ne les concerne pas. La convention internationale des droits de l’enfant considère comme mauvais traitements psychologiques : la violence verbale, les comportements sadiques et dévalorisants, le rejet affectif, les exigences excessives par rapport à l’âge, la parole paradoxale (tout et le contraire de tout.) Face au dénigrement d’un parent par un autre, ils sont incapables de penser par eux-mêmes. Ils portent une part de souffrance qu’ils déverseront plus tard, victimes d’un déplacement de la haine et de la destruction. Quelque fois le parent dresse les enfants les uns contre les autres. Une confusion est induite quand le parent dit le contraire de ce que dit l’autre. L’enfant ou l’adolescent réagit par de l’auto destruction, la toxicomanie, la boulimie, l’anorexie. Il intériorise une image négative de lui-même (je suis nul.) Il est facile de manipuler les enfants ; ils cherchent toujours une excuse à ceux qu’ils aiment.

La violence directe concerne l’enfant rejeté consciemment ou inconsciemment. Le parent dit agir dans une visée éducative, mais en fait cet enfant le gêne et il le détruit pour se préserver. Ce dernier est décrit comme persécuteur, maladroit, difficile. Il n’a que des tares à corriger. N’étant pas désiré, il est présenté comme ayant un handicap ou un retard scolaire même s’il est dans la moyenne de son âge. Trop doué, il peut mettre en relief les manques du parent qui va chercher à le casser : il est ou idiot, ou caractériel. Les enfants se sentent coupables de décevoir et de faire honte aux parents.

Une dame raconte : « Toute mon enfance j’ai entendu de la part de ma mère : ou jone kon sitron powi ou léde néaw gwo, ou mègue kon vai à lampe, ou pani douvan ni déyè, ou pé jan mayé, ola ou pran paket chivé lasa » « Tu es jaune comme un citron pourri, tu es laide, tu as un gros nez, tu es maigre comme un verre à lampe, tu n’as ni devant ni derrière, tu ne te marieras jamais, ou as-tu pris cette masse de cheveu). Toute ma jeunesse j’ai été méprisée, harcelée, battue, je n’ai jamais su pourquoi. J’étais timide, j’avais peur des gens, j’étais renfermée mais je souriais toujours. Un jour une dame lui a dit : j’aime tellement voir cette enfant, elle sourit toujours. Elle a répondu :i oblijé, i telmén lèd, si i pa souwi i péké semb ayen.(elle est obligée, si elle ne sourit pas elle ne ressemblera à rien.)  Je suis partie en France, me suis mariée mais je crois que c’était pour montrer à ma mère qu’un homme m’avait trouvé belle. Ce harcèlement moral qui a fait naître en moi, peur crainte, incertitude, a verouillé ma vie en l’assombrissant. Ma mère est morte récemment sans m’avoir jamais expliqué le pourquoi de son comportement

Le pervers narcissique

Les mécanismes pervers comme moyen de défense sont communément usités : ils sont de l’ordre de la norme. Ils sont suivis de regrets, générateurs de conflits internes. Mais le concept de perversion induit une manipulation accolée à une volonté de destruction sans culpabilité aucune. Les pervers narcissiques sont d’une cruauté sans égale. Ils sont considérés comme des « psychotiques sans symptômes qui trouvent leur équilibre en déchargeant sur un autre la douleur qu’ils ne ressentent pas et les contradictions internes qu’ils refusent de percevoir. Ils ne font pas exprès de faire mal, ils font mal parce qu’ils ne savent pas faire autrement pour exister. Ils ont eux-mêmes été blessées dans leur enfance et essaient de se maintenir en vie aussi. Ce transfert de douleur leur permet de se valoriser aux dépens d’autrui. » A. EIGUER, le pervers narcissique et son complice, Dunod, Paris 1996.

Les principales caractéristiques de ces personnalités narcissiques sont un sentiment de grandeur, un égocentrisme extrême, une absence totale d’empathie, bien qu’ils soient avides d’obtenir admiration et approbation. Ces personnes ressentent une envie très intense à l’égard de ceux qui semblent posséder les choses qu’ils n’ont pas ou qui simplement semblent tirer plaisir de leur vie. Non seulement ils manquent de profondeur affective et n’arrivent pas à comprendre les émotions complexes des autres, mais leurs propres sentiments ne sont pas modulés et connaissent de rapides flambées suivies de dispersion. Ils ignorent en particulier les sentiments véritables de tristesse et de deuil, cette incapacité à éprouver des réactions dépressives est un trait fondamental de leur personnalité.

Lorsqu’on les abandonne ou qu’on les déçoit, ils peuvent se montrer apparemment déprimés, mais à un examen attentif, il s’agit de colère ou de ressentiment avec des désirs de revanche plutôt que d’une véritable tristesse pour la perte de la personne qu’ils appréciaient. » Otto KEMBERG, la personnalité narcissique, Privat, 1975. La vacuité du narcisse va se remplir de la jouissance destructrice d’autrui sans laquelle il ne saurait exister. Les pervers rentrent en relation avec les autres pour les séduire. Leur mégalomanie abolit l’identité de l’autre, le phagocitant sans scrupule d’un ordre moral. Ils se défendent par le déni de la réalité, jamais responsable, jamais coupable.

La personnalité paranoïaque se caractérise par une hypertrophie du moi, de l’orgueil, d’un sentiment de supériorité augmenté d’une psychorigidité, d’obstination, d’intolérance, de rationalité froide, d’une difficulté à montrer des émotions positives, d’un mépris envers autrui avec en plus de la méfiance, la crainte exagérée de l’agressivité de l’autre, le sentiment d’être victime de malveillance, la suspicion, la jalousie. La fausseté de son jugement lui permet d’interpréter des évènements neutres comme des actes dirigés contre lui. Le paranoïaque assoit son pouvoir par la force, l’évidence irréfutable. L’autre doit être détruit parce que jugé dangereux. Il faut le mettre hors d’état de nuire : même son regard devient persécuteur.

Mais qu’à de si inconfortable chez le paranoïaque qui ne saurait être vu ? Son désir inconscient homosexuel.La paranoïa entretient des liens avec l’homosexualité. La persécution de l’autre le place en situation de légitime défense, réaction menant à des conduites délictueuses et un fonctionnement procédurier. Tout ce qui ne va pas est de la faute des autres qui sont unis dans un projet contre lui. Lui l’agresseur sa haine est à la mesure de la haine qu’il imagine que sa victime lui porte. Il le voit comme un destructeur néfaste. lui attribuant de mauvaises intentions.

En début de mon propos, j’ai noté comme axe facilitateur du harcèlement l’environnement extérieur. Dans certains cas, la famille se rend coupable de non intervention, comme dans l’entreprise quand l’abus de pouvoir est un moyen pour le petit chef de se valoriser. Pour compenser sa fragilité identitaire il a besoin de dominer surtout si l’employé est en situation de contrat précaire. Il s’agit d’évacuer plus faible que soi. Dans un monde du travail où on parle souvent d’initiative et d’autonomie, on exige de la soumission et de l’obéissance. Quand un pervers rentre dans un groupe, il rassemble autour de lui un certain nombre de personnes qu’il séduit.. Si un réfractaire résiste, il fera en sorte que le groupe le stigmatise. Le groupe est sous influence et perd tout sens critique. Nous sommes dans la banalisation du mal. Les autres n’interviennent pas pour éviter d’être sur la sellette par lâcheté. Le harcèlement agit d’autant mieux qu’une entreprise est désorganisée, mal structurée. La lourdeur de certaines administrations très hiérarchisées permet à certains de s’acharner sur d’autres en toute impunité.

Par ses agissements hostiles montrés ou cachés, avec des paroles des gestes, des allusions, des décisions injustes ou humiliantes, l’agresseur se grandit en rabaissant l’autre et s’évite tout conflit intérieur et tout état d’âme en faisant porter à autrui la responsabilité du conflit. Ce système ne devient destructeur que par la fréquence et la répétition. Il n’existe qu’en cassant l’autre afin d’acquérir une bonne estime de soi, à travers le pouvoir, avide d’admiration et d’approbation. Il n’a ni compassion ni respect pour quiconque.

Respecter autrui, c’est le reconnaître dans son humanité, c’est reconnaître sa souffrance. On envie les pervers qui séduisent fascinent, font peur. On les imagine porteurs d’une force supérieure qui leur permet d’être gagnant, car ils savent manipuler, ce qui semble un atout dans le monde politique et des affaires. On les craint parce qu’on sait qu’il vaut mieux être avec eux que contre eux. C’est la loi du plus fort. Le plus admiré est celui qui jouit le plus et souffre le moins. On fait peu cas des victimes. Sous prétexte de respecter la liberté d’autrui on se tait sur des situations graves.

Une certaine tolérance amène à s’abstenir d’intervenir dans les actions ou dans les opinions d’autres personnes alors qu’elles nous semblent moralement inacceptables. Nous nous retrouvons complices en ne disant rien, nous avons perdu les limites morales qui pourraient nous pousser à dire : « cela ne se fait pas », et à nous indigner.
La personnalité du harceleur ne l’amène pas à demander une prise en charge puisque sa culpabilité est inexistante et le déni fondateur. Le pervers ne considère pas les symptômes comme une maladie. Il n’a ni fantasme, ni désir.

« Le scénario pervers joue la scène primitive pour être »

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