Les sargasses : il faut s’adapter

Depuis quelques années, les sargasses, algues noires, se sont ruées sur les côtes de la Guadeloupe et ses dépendances. Elles ont étendu leur espace d’occupation, colonisant la mer au point de paralyser les bateaux de pêche, ruinant une activité déjà gravement touchée par le chlordécone : obligation étant pour le marin pêcheur de s’éloigner des zones infestées par ce pesticide nocif pour l’alimentation, afin de ne pas vendre de poisson contaminé.

L’économie précaire dans ce domaine s’est écroulée, éloignant tout espoir de relance d’une profession touchée par les aléas du mauvais temps. Grosse mer, vigilance orange, les canots ne sortent pas. Cyclone menaçant, les canots ne sortent pas. S’éloigner des zones de pêche implique non seulement des dépenses supplémentaires mais aussi un accroissement d’heures de travail. Il faut bien survivre !!

Et maintenant les sargasses retiennent prisonnier par leur densité et les surfaces occupées le gagne pain des pêcheurs. Aucun canot n’avance, il y a danger pour les moteurs, les filets, la santé. Une catastrophe réelle, une odeur irrespirable, puis la crainte de l’inconnu de ce qui pourrait se trouver sous cette masse. On ne distingue plus l’eau.

La pestilence gagne le littoral. Les habitants incommodés autant que les résidents du bord de mer et parfois plus loin, ne savent plus quoi faire. Une dame a déménagé parce que son bébé commençait à avoir des problèmes respiratoires, une autre a quitté sa maison quand sont apparus les premiers signes d’étouffement dont la cause ne tenait pas à son âge. Insuffisamment ramassées et entassées en forme de barrière derrière la plage, elles font fuir les baigneurs. Les écoles se plaignent du phénomène qui pollue le quotidien des élèves et des enseignants.

Les temps d’évacuation, de discussions, de menaces, rien n’y fait, et les sargasses continuent d’affluer. Partout, Marie-galante, les saintes, la Désirade ; Saint-Martin, Saint barth, les environnements sont stupéfiés face à leur avancée. Le nettoyage morcelé, parcellaire, avec des moyens non adaptés n’est pas efficace. La lutte est inégale. Les engins susceptibles de débarrasser les îles de ces nuisances sont paraît-il trop chers (leur coût journalier n’est pas dévoilé.) Et pendant ce temps là, l’air ammoniaqué s’infiltre dans les poumons jeunes et moins jeunes. Qui peut présager du futur ?

Les ministres de l’écologie et de l’Outre Mer viennent sur place, les photos et les reportages ont été insuffisants à rendre compte de la réalité. A cause de la chose vue, l’annonce de quelques milliers d’euros de plus, insérés dans les mots, disent clairement que chacun doit payer la facture en mutualisant : mutualiser les moyens, mutualiser les dépenses, en recherchant l’origine du désastre connu depuis fort longtemps (il y en a au moins deux), semble plaire à l’escorte faite aux arrivants.

Mais le plus surprenant dans le discours de départ de Nicolas HULOT qui a refusé de s’exprimer au journal télévisé de 20heures est ces mots : « Il faut s’adapter. » Cette phrase tombe sous le sens. Il faut s’adapter à quoi ? A l’inexistence d’aide à une région dont les capacités financières sont insuffisantes ? Les mairies ont essayé au début de nettoyer en vain, l’argent venant à manquer, l’armée et ses volontaires solidaires ont été mis en échec par le volume chaque jour augmenté de ces algues porteuses de graves menaces pour la santé.

La santé qui s’en soucie ?

L’économie a toujours primé sur l’humain. Que l’on se souvienne des pesticides et de leur nocivité dénoncée et pourtant maintenus tels le chlordécone et plus récemment le glyphosate. L’important est de trouver des compromissions tant est forte l’influence des lobbyings industriels. La lutte du bio est inégale face à ces géants de produits néfastes et non prohibés. Tout le monde ne peut acheter bio ou pseudo bio.

La disparité sociale trace une ligne de démarcation entre les consommateurs dessinant un schéma sanitaire révélateur de discrimination, comme si la mal bouffe, obésité et ses conséquences physiologiques (diabète, hypertension) et psychologiques (cure d’amaigrissement, chirurgie bariatrique), n’arrivaient pas à signaler les dangers générés par les conditions de vie. Le prix à payer pour réparer les dommages individuels dus aux pesticides (atteintes neurologiques, hormonales chez les nourrissons) reste à la charge des parents ; doublé d’une souffrance d’un sentiment d’échec. L’ambition d’une mère est de donner vie à un enfant sain et bien constitué. Combien même le collectif assume une partie des dépenses, le mal est irréversible.

Que sait-on actuellement et concrètement sur les conséquences et les méfaits des sargasses sur la santé ? RIEN.

Si ce n’est que l’ammoniaque pique les yeux, cause une gêne respiratoire, déclenche des allergies selon les témoignages de la population. Il y a-t-il un recueil de données sanitaires, statistiques à l’appui étayant ces dires ? NON.

Quelles études médicales sont menées, quelles investigations sont proposées aux médecins référents, sont à l’œuvre, afin de comprendre le phénomène et de le prévenir ? AUCUNE.

Que valent aujourd’hui les VTR (valeurs toxicologiques de référence) c’est-à-dire les effets délétères chez l’homme quand on ne connaît rien de l’impact des sargasses sur les populations ? L’intoxication peut être aigüe ou chronique. Comment savoir si on en est victime ? Existe un test mesurant l’intensité d’une atteinte toxicologique connue dans l’organisme qui coûte entre 70 et 140 euros non remboursé par la sécurité sociale. S’agissant des sargasses c’est un phénomène nouveau que l’on ne connaît pas.

Mais il n’y a pas que les sargasses.

Le chlordécone interdit dès 1977 aux USA a été utilisé aux Antilles de 1972 à 1993, pour lutter contre le charançon du bananier. Il a été interdit en France en 1990, mais utilisé jusqu’en 1993 par dérogation aux Antilles. Il est depuis toujours présent dans les sols –où il peut persister jusqu’à 600 ou 700 ans- et peut se retrouver notamment dans certaines denrées d’origine végétale ou animale ainsi que dans certains captages d’eau. Une association guadeloupéenne a déposé un recours fin juin 2018 devant le tribunal administratif de Paris pour demander l’abrogation d’un arrêté de 2008 fixant les limites autorisées de résidus (LMR) de chlordécone dans les produits alimentaires, trop haute. Le porte parole de l’ANS affirme que ces études pourraient durer de un à dix huit mois. Rappelons que la banane est un des aliments le plus consommé dans le monde.

Qu’on se souvienne de l’amiante et de ses méfaits reconnus tardivement, dénoncés par des scientifiques de l’Université de Jussieu paris7 et de leur insistance dérangeante qui a bousculé l’inertie du gouvernement de l’époque.

La Guadeloupe et son équipement sanitaire principal, le CHU, en dessous de ses capacités de soins : «  C’est la première fois qu’un CHU brule » a dit la ministre de la santé aura des difficultés à accueillir des malades en grand nombre.

La population doit s’adapter au manque d’eau et à sa pollution quand elle daigne couler dans les robinets, aux aliments poussant sur un sol contaminé pour 600ans, aux poissons péchés dans les zones non autorisées, aux polémiques autour d’un CHU atteint en partie par un incendie, à la pollution de l’air et aux sargasses. Après le passage destructeur des cyclones Irma et Maria, cette population a le droit d’exhaler ses ressentis, frustrations, déception, accusations et colère.

Coup de théâtre le 26 août la démission de Nicolas Hulot qui déclare : «  Je ne veux plus me mentir » dénonçant : « que l’on s’accommode de la gravité » en évoquant les Antilles, souligne qu’il a refusé de s’adapter à des réalités qui sont en train de détruire et de ruiner la santé des populations sans qu’il y ait prise de conscience de la part des gouvernants. Il est à augurer que monsieur de RUGY qui prend la succession de ce ministère doublé d’un monsieur sargasse désigné pour la Guadeloupe sache prendre toute la dimension de ces immenses problèmes. Ce serait là affaire d’humanité.

Hélène MIGEREL

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