La famille face à la drogue

Publié dans Le Progrès social n° 2509 du 25/04/2005

La toxicomanie sépare, elle arrache l’enfant, l’emporte dans un monde étranger à son environnement familial. Les parents incrédules et catastrophés assistent impuissants dans un premier temps à cette montée de tension où la modification de l’humeur si ce n’est l’isolement profond, creusent un fossé qu’aucune parole de bienveillance ou interrogatrice ne stoppe la dérive à ses débuts, n’empêche la progression.

«  Que nous arrive t-il à nous ? » L’effritement de la foi d’être bon parent génère de l’angoisse, de la culpabilité quand la réalité de la prise de substance psycho active ne peut plus être contournée. La blessure narcissique donne lieu à des comportements diversifiés en fonction des projets parentaux, du milieu socio culturel, de la taille de la famille, de l’âge de l’enfant.

La première réaction, la plus courante, recherche dans la suggestion la cause du phénomène déviant : l’incitation au mal, la tentation du diable, entendons les mauvaises fréquentations, véritable démarreur de l’action perverse à l’intérieur de la pensée. Le mal toujours en position d’extériorité met en présence la faiblesse de l’un, sa fragilité, témoignage d’une paralysie morale à qui n’incombe aucune responsabilité, et l’emprise de l’autre amateur de proie facile à exploiter plus tard. Puis il absout l’environnement bienveillant, une parentèle confiante mais pas suffisamment protectrice.

Cependant à l’exploration, le paramètre familial laisse apparaître des éléments de perturbation tels la désunion, l’autorité d’un parent sur l’autre, le décès de parents, l’inceste, l’alcoolisme d’un ou des deux parents, la consommation de somnifères ou de tranquillisants qui exercent une influence sur des attitudes prohibées, véritables îlots de sensibilité.

L’exemple de la dépendance parentale ne serait-ce qu’à travers  l’utilisation continue de laxatif ou de tranquillisants en apparence anodine, amène l’enfant à penser que le surgissement de malaise interne ou de mal vivre ne trouve une résolution qu’à travers ce procédé externe d’ingurgitation de substance. A quatre ans déjà, un petit haut comme trois pommes réclamait à sa mère un doliprane pour le mal de crâne. Toute contrariété surtout publique justifiait la demande et son exécution.

La seconde réaction en terme de complicité unit les deux parents qui tombent d’accord pour éluder dans un non dit le problème et fuir leur responsabilité. Personne ne voit rien, ne dit rien. On fait comme si, même quand un premier poste de télévision disparaît, ensuite son remplaçant, puis les habits des uns et des autres après les bijoux ; dans les maisons d’ici il n’y a pas de petites cuillères en argent monnayables.

La troisième réaction porteuse de pédagogie, sans complaisance, questionne le malaise affectif en posant le problème en terme de mauvaises relations à l’intérieur de la famille. La grande difficulté réside à se regarder l’un l’autre et à prendre les décisions qui s’imposent quitte à solliciter une aide extérieure pour le couple ainsi que pour leur progéniture. Souvent les choses ne sont pas aussi tranchées, elles passent par des phases successives entre fermer les yeux jusqu’à l’outrage du dépouillement et traîner chez le « psy » sans consentement ou empruntant un détour par la fuite organisée de l’enfant qui s’élabore par le biais d’une mise en accusation permanente dont le verbiage incessant le jette hors la maison.

Le babiyé l’attrape à l’ouverture de la porte d’entrée, le poursuit dans son antre, émaillé de griefs et de reproches, l’accompagne dans sa course vers la sortie. Il doit attendre le repos de la bouche en pleine nuit afin de pénétrer cet espace d’incompréhension, forme subtile de rejet des mères seules face à un événement jugé inacceptable.

L’attitude qui consiste à céder au chantage en donnant l’argent du crack  et quelquefois aider à s’en procurer pour avoir la paix et faire en sorte que rien ne filtre au dehors dévoile le degré de la honte parentale semblable à celle qui suggère l’enfermement en psychiatrie dans une volonté de réprimer cette tendance à la transgression. L’enfant devient une victime émissaire au sein d’une famille coupable de ses échecs et de ses impasses. Il en est le symptôme.

Il n’est point ici question de jeter l’opprobre sur des mères et des pères aimants mais de comprendre le processus des inadaptations affectives observées et entendues lors des prises en charge. La substance psycho active(drogue) met en évidence une pathologie du lien et du manque. Sa suppression sans socle et sans contenant augmente les suicides et les tentatives de suicide : c’est dire que le produit remplace quelque chose de l’ordre de l’essentiel pour la survie psychique. Il ramène à une situation antérieure régressive de dépendance, expression d’une nostalgie permanente.

La dépendance a une origine. Le nourrisson vient au monde avec un équipement affectif portant des inscriptions présymboliques autant violentes que tendres ; cet équipement est malléable et influençable. Les parents en premier lieu participent à l’originalité des ces inscriptions en proposant des modèles gérés par l’inconscient. La condition de la rencontre, l’interaction parent/enfant, leurs formes de relation façonnent les composantes de l’imaginaire infantile. Les caractéristiques des sentiments de base, notamment les éléments de tendresse régissent les principes de la violence fondamentale (présente en chacun) permettent son intégration ou son débordement.

La personnalité autonome est le résultat d’une mise à distance satisfaisante, échanges gratifiants entre l’appareil psychique de l’enfant et les modèles extérieurs proposés par les parents. Très tôt les mécanismes à l’œuvre dans la relation fusionnelle vont organiser les conduites futures et en fonction des circonstances être relayées par des rituels toxicomaniaques, recouvrant la souffrance de la perte.

A tout cela s’ajoutent les failles éducatives. L’adolescence est la période où le besoin d’identification est dans l’attente d’une cohérence des réponses données dans un climat serein où chacun conserve son rôle, sa place, son identité, ses responsabilités. La crise est révélatrice de dysfonctionnements insupportables qui signale qu’une remise en question des habitudes éducatives doit être entreprise et que les problèmes relationnels ne sauraient rester invisibles.

Si les intérêts réels de l’enfant font l’objet de tricherie et de manipulations, la rupture consommée de la confiance accordée au parent débouchera sur la recherche d’un baume apaisant : par exemple la rivalité induite entre frère et sœur dans une course à la réussite scolaire et la pression d’aimer plus ou d’aimer moins selon les résultats obtenus. Certaines idées reçues proclament que l’herbe rend intelligent et spirituel et la désigne comme compagne de la désillusion.

Chaque famille a ses propres représentations de la consommation de substance psycho active. L’alcoolisation socialement acceptable est à un niveau de tolérance tel que la visite chez le médecin généraliste s’assortit d’une demande de vitamines pour déficience physique ou d’une consultation magique afin d’expulser le mal subi.

Dire le désarroi des parents, c’est dire l’impossibilité à faire face sans aide : aide de la parentèle compatissante, aide des spécialistes qui se doivent de les accompagner  sur le plan éducatif, sur le plan thérapeutique.

L’école a aussi un rôle à jouer dans le signalement des conduites à risque mais aussi dans l’accompagnement/orientation quand les parents font défaut.
Que faire quand on se doute que son enfant se drogue ? En parler avec lui, puis prendre conseil auprès d’une association, entreprendre une démarche de suivi psychologique s’il le désire et pour soi aussi afin de mieux l’aider.

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