La faim de la honte

Publié dans Le Progrès social n°2663 du 03/05/2008

La parole à profusion s’étale sur la faim dans le monde. L’émotion est à son comble. Des émeutes réveillent les consciences. Le palais présidentiel d’Haïti est pris d’assaut  par une population incapable d’acheter des aliments de base. Le prix du riz a flambé. Le Premier ministre démissionne, le Président de la république tente en vain de rassurer la population. On se croirait à l’époque où Marie-Antoinette reine de France mangeait de la brioche alors que le peuple manquait de pain. Sa tête a roulé sous l’échafaud.

L’exemple d’Haïti proche de la Guadeloupe ne saurait effacer ces images d’enfants au ventre gros, la peau sur les os, les yeux immenses dans une face tellement maigre. Images d’Afrique, d’une Afrique plantant sur certaines terres irriguées des haricots verts destinés à l’Europe soucieuse de conserver la sveltesse de la ligne des femmes élégantes. Une autre partie de l’Afrique menacée de famine à cause de la sécheresse, n’a aucune vocation autre qu’agricole. Elle attend tout de l’aide humanitaire, après que les seins de la mère n’aient plus de quoi allaiter le nourrisson, que la dernière vache efflanquée garant de la survie du village ait disparu dans la panse de chacun.

Depuis toujours la générosité sollicitée, le «  A votre bon cœur » réitéré, a permis de collecter des tonnes de nourriture sans prévoir les difficultés d’après-coup. Le riz par paquet d’un kilo amené par les enfants scolarisés – la difficulté étant de trouver la main d’œuvre pour la mise en vrac – les aliments stockés dans des hangars espérant le financement du transport en camion tandis que les petits n’avaient plus la force de pleurer. Il ne suffit pas de mettre une montagne de chaussures en pleine capitale pour que les plus démunis soient chaussés. Sur l’heure cela donne bonne conscience, ménage la honte d’être en surpoids donc de trop manger. Les photos insupportables s’impriment dans le conscient le temps du regard. On ne peut porter toute la misère du monde !

Aucun continent n’est épargné par la pénurie alimentaire de groupes vivant au-dessous du seuil de pauvreté.

L’Amérique du Sud, l’Asie, la Russie, les Caraïbes, l’Afrique du Nord etc…. Il y a quelques décennies les USA avaient déversé des tonnes de blé à la mer afin de ne pas faire baisser son coût. Des agriculteurs français avaient jeté sur la chaussée des cageots de fruits et légumes en protestation à la concurrence espagnole. A Paris, des mères de famille ayant une activité professionnelle, face aux difficultés grandissantes, reçoivent de la Croix Rouge des colis alimentaires, suppléments d’un quotidien insuffisant surtout pour les enfants. L’augmentation des prix est mondiale, dit-on. L’habitude a banalisé les restos du cœur, devenus familiers dans le paysage du manque. Des personnes désocialisées, des chômeurs, des sans domicile fixe, en pourcentage stable, bénéficient de la soupe populaire améliorée. Cela est définitivement acquis. Mais les salariés, ayant recours à une aide alimentaire, dévoilent le nouveau panorama de la pauvreté en France. On estime, au niveau mondial, qu’environ un habitant sur cinq souffre d’une alimentation insuffisante. Pourtant les progrès techniques de la révolution agraire ont permis d’augmenter les rendements des terres et de nourrir de plus en plus de personnes

L’Afrique a toujours laissé percer son désespoir. Entre le taux de fertilité, les guerres intestines, le déplacement des populations, la rareté de l’eau, la mort du bétail, les gouvernements successifs n’ont pas suffisamment axé leur politique sur un plan ambitieux contre la faim. La FAO dresse des constats, analyse des chiffres, se préserve de la culpabilité en désignant ceux qui pourraient trouver des débuts de solution. Elle oriente son  discours  en direction des possibles décisions de la Banque Mondiale, dont les cordons de la bourse ont quelques réticences à s’entrouvrir.

Pendant ce temps, les affamés pillent les espaces de distribution. Des émeutes ont lieu. La faim de la honte traitée comme un fait nouveau par les médias, écorche les sensibilités. Des décideurs annoncent une réunion d’urgence programmée un mois après l’évidence de la réalité. Heureusement qu’elle est dite d’urgence cette réunion. Pourquoi se presser maintenant puisque depuis des décennies des personnes meurent de faim.

En silence, mourir de faim ne dérange personne. L’agitation par contre crée un intérêt croissant autour du problème.

En mars 2002, la conférence des Etats Unis s’est tenue à Monterrey au Mexique, elle avait comme objectifs le financement du développement et la lutte contre la pauvreté. Plusieurs pays des Etats Membres avaient débattu avec sérieux. Le résultat aujourd’hui laisse à penser qu’elle n’était qu’une tentative de prendre en compte des intérêts à priori difficilement conciliables. Les causes de la faim dans le monde, explique t-on, sont essentiellement dues à l’augmentation du baril de pétrole. Cela signifie que le pouvoir d’achat dépend des pays fournisseurs de ce produit. Déjà le choc pétrolier de 1993 avait laissé entrevoir la situation de dépendance induite par les besoins. Il fallait donc diversifier les sources d’approvisionnement et  réduire la consommation de pétrole.

De plus, la protection de l’environnement a nourri l’idée d’une perspective écologique : le bio carburant à base de céréales. La production de céréales ( mal répartie dans le monde) ne fait que renforcer les inégalités car les acheteurs riches flairant l’affaire financière se sont emparés du marché, participant à la flambée des prix. La cotation en bourse en a suivi l’ascension. Si au départ l’augmentation financière du baril de pétrole a été la cause de la pauvreté et de la faim, la surenchère des profiteurs en a été le facteur aggravant. Le proche fustige  le lointain intouchable, l’accusant de tous les maux, essayant de dissimuler sa propre part non négligeable dans cette affaire. Les experts en économie ont souligné les effets désastreux de la course à la production. Ils recommandent une croissance zéro pour arrêter de surexploiter les ressources de la planète  et permettre aux pays pauvres de rattraper leur retard. Les céréales incluses désormais dans les filières énergétiques commencent à avoir des incidences sociales, économiques, politiques sur les régions défavorisées.

Les étapes de la croissance économique passe par quatre phases :

  • La réunion des conditions nécessaires à la croissance économique (apparition de l’idée de progrès, développement de l’éducation des habitants)
  •  Le décollage économique
  • L’avancée vers la maturité
  • L’apparition de la société de consommation de masse.

Si beaucoup de pays n’arrivent pas à franchir le cap de la deuxième phase, c’est que le commerce international entre les mains des grandes entreprises multinationales  constitue un obstacle majeur à leur démarrage. Elles les maintiennent dans une situation de dépendance malgré le taux élevé de leurs matières premières. La théorie de l’échange inégal ( exploitation double de la pauvreté) est un parcours imposé et subi qui ne facilite pas l’avancée des conditions de vie des populations défavorisées.

Les organisations non gouvernementales ( ONG) mettent en place des programmes d’action diversifiés. Est-ce suffisant ?

S’il est possible de faire coopérer les gens,  quand il s’agit d’Etats les choses semblent plus complexes. La quête perpétuelle auprès des gens de bonne volonté n’est pas une solution durable : elle n’est qu’une miette dans un océan de besoins. Parrainer un enfant demeure un bienfait qui sauve une famille de la désespérance. Toute fois amenuiser les situations de pauvreté en attendant de les faire disparaître doit être une décision au niveau de la planète. Elle s’axe sur le renforcement du système de solidarité, le changement du mode de commerce mondial, la réduction de la dette des pays sous-développés.

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