Les voisins d’à côté

Publié dans Le Progrès social n° 2541 du 10/11/2005

« Avant il y avait une entente entre voisins », « pwémié fammi awe cé voizin awe », entend t-on . Ces deux phrases reviennent souvent, très souvent, énoncées par des nostalgiques du passé car à rechercher dans les archives des journaux sur dix ans, de 1960 à 1970, les causes des coups et blessures volontaires et les menaces étaient en grande partie dues aux mauvais rapports de voisinage.

Dans les mémoires anciennes restent gravées les conflits pour le bornage de terrains. Ce qui signifie que l’entente entre personnes partageant un espace donné est fonction de critères individuels tels la notion de distance et de proximité donc de territoire, le niveau d’éducation, la personnalité c’est-à-dire le caractère, enfin l’âge. Interviennent aussi certains facteurs sociologiques : la profession, la classe sociale, les caractéristiques du logement.

Les règles indispensables à une vie acceptable en commun dans ces habitations en hauteur ne sont pas connues ou perçues de la même manière par tous, puisque chacun appréhende son habitat selon des modes de transmissions familiales, ou des pressions environnementales. Les raisons de fâcheries, de mécontentements avec le voisin incombent à l’autre gêneur, mal poli, fauteur de troubles sans qu’aucune critique ne vienne remettre en question une quelconque responsabilité venant de soi. Les deux cas examinés ici sont révélateurs de ce que peuvent être les mauvais voisins.

Madame et monsieur ZEN ont habité Gonesse, une banlieue nord de la région parisienne dans une HLM où il fallait éviter de tirer la chasse d’eau après 22 heures et mettre des chaussons qui étouffaient le bruit des pas. De leur fenêtre du 5ème étage, ils contemplaient les week-end d’hiver les arbres rares et nus noircis par le froid. Ils avaient deux enfants en bas âge qui s’ébrouaient quelquefois, vite rappelés à l’ordre par : « La ferme là-haut. » Bien sûr, ils avaient eu quelques altercations avec certains voisins irascibles mais tant bien que mal ils arrivaient à contenir les enfants, pas aussi souvent que le chien du 8ème étage. Personne ne se saluait, personne ne se fréquentait. Ils rêvaient d’un appartement ensoleillé et clair.

Arrivés en Guadeloupe, ils aménagèrent dans un logement collectif, neuf. Le bonjour d’une ou deux personnes en leur direction n’avait pas eu d’écho ; ils étaient surpris. Voulait-on faire connaissance ? Dans quel but ? Ils avaient demandé aux enfants de ne pas emmener de camarades à la maison et d’éviter d’aller chez les autres. Les pas martelés au-dessus de leur tête sur le carrelage les troubla, la musique les fit bondir. Ils entendaient les mots adressés à la voisine en vis-à-vis. Le dimanche avant dix heures, la perceuse, les cris, les rires, les portes claquées. Du bruit, du bruit, ils portèrent plainte.

Pourtant , elle avait tissé des liens avec une jeune femme dans le bâtiment d’à-côté, rencontrée dans le parking. Cette dernière lui avait parlé de ses difficultés financières en pleurant. Solidarité de mère, elle avait donné la somme avec promesse d’un remboursement quatre mois plus tard. L’échéance venue, l’endettée la fuyait, faisant semblant de ne pas la voir. En colère, un soir après le travail, alors qu’elle l’avait aperçue rentrant dans l’immeuble, elle alla sonner à la porte, personne ne lui ouvrit.

Ce cas montre la différence qui peut exister entre des personnes n’ayant pas le même style de vie, des attitudes incompréhensibles parce que non décryptées. Deux mondes séparés où chacun se soucie peu de rencontrer l’autre. La conduite idéale serait de faire connaissance en se présentant puis d’échanger des points de vue et avant l’outrage suprême la plainte à la police, dire aux bruyants le désagrément ressenti. Tout au moins en parler. On rétorquera que c’est la chose la plus difficile qui soit : qu’il y a risque d’agression verbale et physique. Mais souvent la peur retient les pas, bloque les mots dans la gorge, empêche une démarche constructive.

Le problème de l’argent est à quelque chose près semblable dans toutes les sociétés. Si vous voulez conserver vos amis ne leur prêtez pas d’argent ; ils vous en voudront d’avoir un pouvoir de domination. L’argent génère de l’agressivité.

Des rapports corrects de voisinage peuvent tourner à l’aigre comme dans ce cas d’une villa bien arborée abritant un couple paisible, jeune, dynamique. A peine le dernier meuble rentré, une invitation à la ronde dévoila le nom et la profession des habitants des autres maisons. Présentation faite autour d’un verre, la réciprocité du geste se justifia. Sympa, joyeux, le voisinage se tenait juste à sa place. Pas trop envahissant, ni trop distant. La voisine sur la gauche célibataire, seule, parlait de temps en temps par-dessus la haie de petits riens au féminin et devint une relation privilégiée. Au bout de quelques mois ayant fait le tour des petits riens ; les coucous par-dessus les hibiscus se raréfièrent. L’installation des diverses pièces tirait sur sa fin et la déco absorbait beaucoup du temps de l’épouse moins aidée par le mari. Elle ne l’avait pas remarqué tout de suite mais il passait beaucoup d’heures enfermé dans l’atelier de bricolage sous la maison. Il rentrait tôt contrairement à ses habitudes lui qui aimait prendre un verre après le travail, traînant un peu, dénichant le petit objet qui lui plairait ou apportant l’extra pour le repas du soir, la langouste vivante et la glace à la cardamome qu’elle appréciait tant. Dans l’atelier ou dans le jardin, bénéficiant de moments de détente, elle ne le dérangeait pas. Puis, il reprit son comportement coutumier négligeant l’atelier et descendant rarement au jardin. C’est alors que le premier carillon au portail retentit. Vite levé : « Je vais voir qui c’est », il revint en disant : « Quelqu’un qui demandait la maison des junon. » Le lendemain en courant à toute vitesse, il aurait du voir le doigt, au moins, qui s’était oublié sur la sonnette. Non, il n’y avait personne. C’était un samedi soir, il avait préparé le repas, dressé le couvert, il lui remuait son punch quand la stridulation longue interminable les fit sursauter. Il bondit, elle suivit à distance. Les gifles et les cris sourds de colère : la voisine qui s’enfuit ; le choc de l’évidence. Lui penaud le visage griffé : « Pardon cela n’arrivera plus. »

Comment se vivent des amours de voisinage après la fin des relations ? Comment rentrer chez soi sans détourner la tête sous les insultes ? Quelque fois l’intervention de la police est nécessaire.

Est-on un bon voisin pour l’autre ? Quels types de rapports aimerait-on voir se développer ? Accorde t-on le temps nécessaire aux échanges concernant les problèmes communs ? Et si l’autre ne faisait que nous renvoyer notre image, serait-elle positive à nos yeux ?

L’arrivée dans un quartier dans une maison ne  pouvait être satisfaisante sans les salutations d’usage. Il fallait signaler sa présence cela sous-tendait de secourir et d’être secouru en retour. Si les fenêtres ne s’ouvraient pas aux heures habituelles, il était de mise de s’en inquiéter. Aujourd’hui l’indifférence tend à se développer.

Des gens meurent dans une totale solitude, découverts plusieurs jours après. Les relations de voisinage sont de la  responsabilité collective et individuelle. L’autre n’est pas seul en cause quand surgissent les conflits. Essayer de trouver des compromis afin de vivre ensemble passe par de règles et des codes que les constructeurs de logement devraient promouvoir, en affichant un règlement intérieur applicable à tous, en organisant des rencontres de voisins, en ajoutant à la construction un espace vert à la manière d’un patio, lieu commun informel d’échanges.

Mais avant tout, vivre en harmonie avec autrui implique d’être en harmonie avec soi-même.

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