Les urnes de l’émotion

Publié dans Le Progrès social n°2657 du 22/03/2008

Les élections municipales du 09 mars ont augmenté les éclats de voix le soir des résultats à l’intérieur des familles paisibles. Les cantonales passaient au second plan. Après une campagne tonitruante ( hurlements des voitures avec haut-parleur, diffusion de musique comme dans les foires, débats animés sur les vérandas des partisans), ceux qui n’étaient pas dans les bureaux de vote ont entendu après 20 heures s’égrener les voix sorties des urnes. Quinze maires réélus au premier tour auraient le sommeil serein cette nuit là. Sur le nombre, deux femmes ( Basse-Terre et Grande-Terre à égalité) pour treize hommes, ont fait l’expérience du bonheur : celui du constat de la confiance de la population. La reconduction d’un mandat ne semble plus chose aussi simple qu’auparavant. Le niveau intellectuel et social du peuple des votants a augmenté. Il a pris conscience du pouvoir que détiennent les bulletins : vote sanction, vote récompense, abstention régulière ( de 30 à 45%), et maintenant de plus en plus de bulletins blancs et nuls (de 3 à 6%. Que signifie le bulletin blanc et quel message communique t-il ? Il dit la vigilance et la désapprobation. « Je vote, c’est mon devoir de citoyen, mais aucun candidat ne me satisfait, aucun programme ne m’agrée. Le deuxième tour, après le tri, bénéficiera, peut-être d’un bâton ajouté à une liste. » Les municipales font fi des partis. Le choix d’un édile est sentimental. La proximité chaleureuse, l’écoute, la défense des dossiers difficiles, la connaissance des besoins collectifs, l’emploi d’un langage commun, l’ancre dans une représentation de bonne mère ou de bon père. La ou le nourricier qui en outre construit la maison commune, donne assise au besoin de sécurité. Quand le déplaisir dessine les bouches allongées sur un kip, le pouce tel celui du spectateur de l’antique Rome, se dirige vers le sol. Mise à mort électorale après parfois plusieurs mandats que l’on aurait cru illimités : tant d’années se sont écoulées depuis la première élection! La foule est attentive, elle observe patiemment les attitudes paresseuses, les incompétences, la gloriole. Un jour elle sanctionne. Plusieurs figures de style sont employées :

  • La mise à l’écart momentanée qui donne sa chance à un autre prétendant au fauteuil qui ne doit absolument pas décevoir ; ou bien gare au retour de l’ancien dont l’espoir n’a pas failli.
  • L’éradication définitive sans aucun conteste par le plus grand nombre d’électeurs de la reconquête du siège.
  • Le choix d’un personnage neuf symbolisant l’espérance et rattaché à une figure emblématique ; fils spirituel portant flambeau à l’olympe de promesses réalisables.
  • La mise en scène d’un suspense d’une réélection au second tour. Frôler le danger de la perte sert d’avertissement en induisant une forme de communication qui devrait déboucher sur une révision des données de départ. Installation dans le confort de la mairie, promesses oubliées, négligence des affaires communales au profit d’un carriérisme politique, acheminent l’élu vers la sortie. La première semonce annonce la suite. Attention, ça craint !

« Merci mes chers compatriotes de m’avoir rappelé auprès de vous. Vous m’avez manqué. Aujourd’hui je suis un homme heureux. » faudrait-il encore ajouter : « Ma reconstruction narcissique ne dépend que de vous. » Effacée la rancœur du passé, gommé le désarroi de l’échec face à la certitude silencieuse d’avoir été un meilleur méconnu. Les actions avant-gardistes, trop avant-gardistes, on le sait ou on ne le sait pas, n’obtiennent pas l’adhésion des couches populaires, pense celui qui se prend pour le roi. Si trop de supériorité met hors jeu, alors pourquoi vouloir désirer si ardemment gagner un tel électorat ? Que demandent les administrés ? Que l’on tienne compte de leurs besoins, que leur élu soit accessible et visible, qu’il fasse bon vivre  et en toute sécurité dans une ville propre. L’activité de quinze maires élus au premier tour le démontre.

Le second tour des municipales a dévoilé l’importance de l’affectivité contenue dans le scrutin. Le déchirement d’un père, écartelé entre son fils et son gendre : « Je n’ai qu’un fils et une seule  fille. » Le soutien à la parenté de sang a été sujet à critique et à désunion. Succéder au père correspond à une volonté de perpétuer la lignée, d’établir une dynastie, de faire preuve de la démonstration d’un enseignement réussi depuis l’enfance, d’être le digne fils d’un digne père. Ce qui n’exclut en rien les capacités de gestionnaire, de politicien tactique, de volonté de collectivisme du successeur. Ce qui interpelle c’est la chose de famille devenue chose publique. Quand le petit-fils reprend la mairie à celui qui en avait sorti son grand-père, l’image conduit directement au registre de la réparation. L’honneur perdu et retrouvé renforce les liens de la parenté. La mairie ressemble ainsi à la maison de famille dérobée par effraction ; sa réappropriation légitime l’héritage du droit de l’affiliation. Les biens de famille se prêtent mais ne se donnent pas. La génération suivante n’a pu que faire le constat de la perte en fourbissant les armes de la reconquête pour le petit-fils, le moment venu. La victoire familiale déborde dans le grand public ; l’élu se meut en vainqueur salvateur. Peut-on gagner par défi ? Démontrer qu’une parole lancée par un adversaire avancé sur un fief qui n’est pas le sien, engageant un combat de soutènement, blessant l’orgueil du grand âge, a mené à la victoire ? Les premiers mots d’un retour ont laissé entrevoir l’émotion refoulée depuis combien de temps ! Il n’y a que les bulletins des urnes qui permettent d’accéder au fauteuil de maire. L’électorat procède d’un choix. Il dit sa préférence. Un candidat n’a pas la possibilité de s’élire tout seul. Qu’une campagne soit bien orchestrée, bien menée est un fait. Mais en général l’électeur en grande majorité décide individuellement et vote pour qui il veut. La discipline qui préconise le report des voix sur un candidat désigné par son parti au deuxième tour, n’est respecté ni par le candidat battu, ni par les électeurs. Passant outre les directives, des alliances sont scellées sur la base d’un consensus ou d’une détermination revancharde d’aider la chute d’une amitié trahie. Parti de droite ou parti de gauche les dons se soucient peu de la différence de visée politique. Les affects s’installent en lieu et place de la raison. Ne pas se plier à la discipline de vote  c’est en quelque sorte refuser la tutelle de sa famille politique et décider seul comme un grand en assumant les conséquences. De consensus ou de rupture, les alliances perdent de leur valeur dans un monde où l’individualisme prend le pas sur le collectif. Quel est désormais l’avenir des partis ? Avant, le changement d’un camp à un autre était synonyme de retournement de veste. Maintenant il s’imbrique dans l’ouverture. Plus de signes distinctifs, si ce n’est le désir de pénaliser ses amis en leur démontrant que seul compte le pouvoir de décision de s’accommoder d’une personne de son choix. Quelques-uns, trouvant leurs pieds trop grands pour la petite pointure proposée ont joué les trouble fête, brouillant les cartes, ils ont été le troisième homme, montant d’un cran l’émotion des deux premiers, assurés de rien en ces temps d’imprévisibilité des résultats.

Les maires nouveaux ont pris possession de leurs écharpes en présence des battus au cœur gonflé d’amertume. La télévision a diffusé l’image d’un ancien maire assis dans une foule debout : mauvais perdant ? Les électeurs de la Guadeloupe ont pris la dimension de la valeur du droit de vote. Ils doivent en assumer la responsabilité.

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