Les banlieues, une histoire toujours recommencée

Publié dans Le Progrès social n° 2538 du 19/11/2005 

L’absence de mémoire autorise à ne pas évoquer les flambées de violence qui embrasent de temps en temps les banlieues parisiennes. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui n’est pas nouveau, seulement cette fois elles ont duré un peu plus que de coutume entraînant par un effet boule de neige à leur suite des villes de province, et la peur aidant, ont fait envisager le couvre-feu comme mesure et moyen d’action contre les violences urbaines. A observer le phénomène, l’aggravation des manifestations viendrait comme une suite logique à la conservation de l’image (représentation) des groupes issus de l’immigration, du maintien de la distance sociale, de l’inexistence d’une reconnaissance en tant qu’interlocuteurs valables. Qui pourra expliquer pourquoi après trois générations de maghrébins nés sur le sol de France, un enfant est appelé BEUR alors qu’il possède sa carte nationale d’identité française ? Aura-t-on seulement l’idée d’établir un lien entre la mise en exergue de cette différence et les comportements transgressifs d’une tranche d’âge située entre 12 et 16 ans ? Les chiffres disent que la grande criminalité subit une légère baisse en France, mais que les vols à l’arraché pas seulement des téléphones portables mais des sacs et cabas des personnes âgées sont en augmentation. C’est un signe de l’abolition du respect manifeste et une escalade des formes de cruauté à l’égard des aînés. Il n’est donc pas étonnant que l’impulsion et l’incitation à passer à l’acte y trouvent un terreau favorable. A 13/14 ans, un adolescent est encore scolarisé, il n’est pas dans la réalité de la frustration de l’emploi refusé à cause des caractéristiques de son nom et de son phénotype. Sa transgression est à rechercher dans l’écart social de sa famille et ce sentiment d’une marque d’infériorité indélébile pesant sur son groupe d’appartenance. Rien ne s’hérite tant que le bannissement.

Violences urbaines ou violences sociales ? Comment les dissocier les unes des autres ? Elles sont une histoire sans cesse recommencée. Les fois précédentes, après une nuit d’incendie de poubelles et de pneus d’automobiles, de jets de pierre, les promesses gouvernementales d’amélioration des conditions de vie avaient  permis le dynamitage de quelques grands ensembles dans un bel effet de spectacle. Jugés désocialisant, on se souvient de la Courneuve, ils avaient été remplacés par de petits bâtiments à dimension humaine, en petit nombre. Quelques centres socio culturels avaient vu le jour amorçant une vie de quartier. Le nettoyage des murs et des cages d’ascenseur avait donné un air de propreté à quelques habitations en hauteur. La routine par le manque d’impulsion novatrice s’était réinstallée. Le processus connu pour toute exagération autoritaire, emprises directes avec la police, arrestation jugée injuste, exacerbaient les émotions. Quelques décisions gouvernementales telles la discrimination positive(cf Progrès Social n° 2521 du 16 juillet 2005) abordaient les réalités sans envisager de solution, ne serait-ce qu’à moyen terme, aux attentes réelles d’une population consciente de la croissance des inégalités, dans une situation de paupérisation de plus en plus grande.

Les bandes de jeunes ont existé à toutes les époques, associées à l’insécurité, elles se battaient entre elles à coup de chaînes de vélo, rivalisant de force et de pouvoir. A Arcueil, une banlieue est de Paris, le quartier du chaperon vert faisait l’objet de ces rencontres tant redoutées par les immeubles avoisinants. L’imaginaire aidant, quand il y avait 10 jeunes, on en évoquait 40 ou 50 : le nombre étant proportionnel à la peur instillée. Cependant la distance était maintenue avec le corps de police. Aucun affrontement direct, pas d’agression physique systématisée. La loi occupait une place non négligeable dans l’intégration de l’interdit. Actuellement, la police a perdu ce qui fondait sa légitimité : elle n’est plus intouchable. L’effort entrepris en direction des banlieues n’a pas su dans sa tentative de dissuasion des violences, implanté une présence policière en relation avec les besoins. Ou elle est trop présente, ce qui la stigmatise, ou elle est inexistante.

Le rapport à la loi s’apprend à l’intérieur de la famille. Les parents sont de plus en plus dépassés par les réactions d’enfants « qui refusent l’autorité » disent-ils. Non seulement ils n’exercent aucun contrôle sur : le scolaire, les sorties, les lieux de loisirs, mais ils se complaisent dans une ambivalence à propos de leurs attitudes : ils nient les actes répréhensibles causés par leur progéniture afin de pas nuire à la réputation de la famille. La contradiction n’échappe pas aux intéressés qui se persuadent du soutien familial en toute circonstance.

Mais pourquoi une partie de la France flambe t-elle autant ? Au point de mettre Paris sous surveillance. Du samedi 12 au lundi 14 novembre aucun rassemblement ne doit avoir lieu dans la capitale, même si un défilé assez conséquent, autorisé, proteste contre la politique du gouvernement dans les banlieues. Le feu a brûlé des écoles maternelles symbole de l’apprentissage débouchant sur un devenir professionnel meilleur que celui des parents, lieu de socialisation par excellence et d’égalité des chances( moins sûr.) L’échec scolaire et le désoeuvrement dans une volonté de purification ont supposé qu’elles renaîtraient de leurs cendres porteuses de réussite sociale. Beaucoup de véhicules ont été incendiés pas uniquement pour la liberté de déplacement qu’ils sous-tendent, ni pour l’image du bien de consommation le plus courant, mais parce qu’ils correspondent au prototype de la protection (à l’abri dedans on ne subit pas les intempéries), on se sent tout-puissant ( seul maître à bord), et aussi pour le feu d’artifice du moteur explosant : les étincelles de la fête, feux de joie, feux de rage et de désillusion, désir d’enflammer la tristesse et le désarroi ; cela ressemble fort au clown vêtu de paillettes et d’or qui pleure de solitude et de chagrin. En passant on se venge du rejet de ces endroits ou sans ségrégation énoncée d’aucuns se sent indésirable. Alors, oui il faut bien garder les Champs Elysées, la plus belle avenue du monde dont certains ne pénètrent que les salles de cinéma, Virgin mégastore, les Champs et c’est tout. Ils arpentent le trottoir droit ou gauche, traversent le passage clouté, le dernier tout en haut du côté de l’arc de triomphe et descendent le trottoir en vis-à-vis. Ils côtoient beaucoup de monde surtout le samedi soir, des touristes, des parisiens, des provinciaux qui s’assoient à la terrasse des cafés ou sous les tentes improvisées des écaillers, dégustant fruits de mer et vin blanc. Eux, ils ont tiré de leur sac à dos les canettes de bière et de coca cola qu’ils boivent debout ou appuyés contre un arbre. L’amertume c’est aussi çà : pas d’emploi, le sentiment d’être hors monde, hors norme. Que sont devenues les propositions issues de recherche de spécialistes qualifiées de la question, des sociologues, des psychologues, des anthropologues qui à l’époque prônaient une politique de re-dynamisation de certains groupes par le truchement de la formation, de l’emploi durable, de l’accompagnement des familles, de l’insertion des jeunes ? A-t-il été plus rentable de mettre des caméras partout et d’infliger à la société d’être sous surveillance, ce qui augmente la peur? Cette nouvelle flambée de violence nécessitera de trouver des coupables. Quelques suggestions en direction des étrangers, les autres surtout clandestins, devenus bouc émissaire, arrivera t-elle à calmer les esprits ? Quel enseignement tirer des lieux qui se sont embrasés ? De l’interrogation politique à la mise en place de dispositifs socio-économiques, il faudra rapidement trouver des stratégies d’accompagnement des jeunes par le biais de la médiation et de l’institution scolaire.

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