La solitude de la personne âgée (1/2)

Publié dans Le Progrès social n°2661 du 19/04/2008

Une société se jauge à sa capacité d’intégrer les individus de toutes les classes d’âge, à sa manière de servir de contenant aux croyances, à son attitude envers la mort. L’aîné qui était vénéré bénéficiait d’une grande considération de la part non seulement de ses enfants mais aussi de son environnement. La modernité a introduit de nouvelles données qui bouscule l’ordre des choses.

La qualité évidente du vieillissement tient à une donnée essentielle en soi, celle de la présence ou de l’absence de la parentèle. L’amour prodigué par les ascendants semble être la preuve que la vie de l’aînée relève de sa seule responsabilité. La solitude viendrait alors interroger son existence comme indicateur de l’échec de la relation affective dans une société où l’accent est mis sur nourrir pour être nourri à son tour. Dans les temps reculés, quand le vide commençait à s’installer auprès du parent âgé, une fillette lui était confiée ; enfant de fille ou de fils, elle tenait le rôle de bâton de vieillesse, dénomination créole de  l’enfant soignant. Elle palliait les forces déclinantes et les sens déficients, jambes, yeux, oreilles, conservant la source vitale dans la maison où le silence risquait de l’anéantir. Le bâton de vieillesse est le révélateur d’une approche inhérente à chaque famille, selon la situation géographique, la taille de la fratrie mais aussi l’acceptation ou le refus du vieillissement de l’un des siens, puisque le grand âge de l’ascendant rappelle l’accumulation des ans, comme l’avancée en âge de la progéniture. Dans d’autres sociétés, la notion de contre don est ressentie comme aliénante du point de vue de la réalisation de soi, ce qui explique la désertion familiale même dans les maisons de retraite : expression d’une incapacité à prendre en charge, d’une incapacité à définir cette prise en charge comme une priorité dans la difficulté à parvenir à un dépassement de soi à partir de l’autre.

La représentation de la solitude, sa vision négative, déjà difficilement acceptable pour un adulte en pleine forme physique et  psychique, va figer la personne âgée dans un cadre où son image se trouvera altérée.

« L’humain n’est pas fait pour vivre seul » affirme la sagesse populaire. La solitude est redoutée et redoutable. L’être solitaire est porteur de tares naturelles innées ou acquises qu’il cultive. Par exemple :

  • Il est difficile à vivre et empoisonne son entourage.
  • Il s’adonne à certains vices ( je ne vous dirai pas lesquels) et les dissimule. Ou bien ses tares ne sont pas naturelles, il les subit. Par exemple :
  • Il doit être frappé de malédiction, il expie ses fautes, les siennes ou celles de ses ascendants.
  • Il est sous l’emprise d’un mauvais sort. Dieu et le diable sont à égalité de pouvoir.

La solitude est entachée de mépris et de commisération. Elle donne matière à réflexion dans un milieu où la configuration de l’habitat suppose une présence permanente : l’éclairage extérieur dans la plupart des maisons ne peut être activé que par des interrupteurs intérieurs. L’arrivant n’avançant pas dans le noir. Le moment du repas signe l’inexistence de la fréquentation du lieu. L’unique assiette posée sur une table devenue trop grande rappelle les instants où les couvercles des faitouts étaient soulevés par les uns et par les autres selon l’ordre d’arrivée et plus tard quand la formation des couples avait obligé à des résidences séparées, le fils devenu époux et père, à défaut de s’attabler midi ou soir, emportait au quotidien sa gamelle, disant la supériorité de la cuisine maternelle, nourriture affective indispensable à son bien-être. Cruellement ressentie, cette désaffection va générer des troubles de la conduite alimentaire puisque l’acte de se nourrir est associé à des données socio symbolique et affective. L’abandon est le signe que le vieillissement ne peut constituer un phénomène intégrable dans un type de fonctionnement. Ici il devient réaction. Il n’est pas perçu et vécu de manière identique en raison de ses modalités dans toutes les cultures. Les liens distendus sans conflits manifestes, depuis toujours, ne vont pas se resserrer avec le temps. Le groupe familial est peu disponible et l’aîné ne fait rien non plus pour le conserver. C’est dans ce cas que la canicule, un été en France, a dévoilé l’indifférence envers des corps morts dans l’attente d’une sépulture et d’un cortège endeuillé. Avez-vous compté vos grands-parents ? Ne vous en manquent-ils aucun ? La pire des solitudes est de mourir seul, sans personne à l’enterrement. En Guadeloupe le trépassé deviendrait revenant et harcèlerait ses proches pour ce manquement. Pire que l’abandon passif, l’abandon actif est sous-tendu par l’effritement des relations fusionnelles de départ mais aussi par la désaffection d’une relation sociale de proximité. La situation fusionnelle établit une dépendance mutuelle où tout le monde y trouve bénéfice quand bien même elle ne serait exempte de souffrance psychique ( crainte d’être moins apprécié, rivalité entre les différents membres de la fratrie, revendication d’un rôle jugé gratifiant.) Quand survient la rupture pour des raisons multiples ( la préférence donnée aux plus jeunes au détriment des plus anciens entre autre), l’organisation se désagrège par défaut de l’élu qui se dérobe face à une tâche trop lourde, tandis que les autres maintiennent la distance, hantés pas la déception et le sentiment de trahison. Des îlots conflictuels s’installent en fonction des ressentiments antérieurs, réactivés par la honte et la culpabilité, celles qui rappellent à la conscience le devoir impossible à accomplir. Ces conflits dissimulent aussi la difficulté à assumer des modèles en pleine déchéance, subissant la marque inéluctable du temps à laquelle personne n’échappe, comme une image future de soi-même : l’effrayant en devenir. La relation sociale de proximité, moins dense, a comme socle une prévalence des liens sociaux assortis d’une satisfaction affective. L’abandon est vécu de manière moins passionnelle même s’il est perçu comme une rupture ou une agression. Passé le temps du malaise, une reprise de l’échange peut se négocier sur un mode plus large.

Dans l’institution, après cette stase du relationnel, une pratique de l’évitement consiste à traiter tous les pensionnaires à l’identique du parent. Le silence culturellement remplit une fonction. Il permet d’exprimer le mépris, l’indifférence ou la désapprobation. Il est mineur comparé à l’abandon mais participe à la solitude de l’être. Dès le matin, la mère en général, dépose sur les gens et les choses des mots sertis dans des phrases continues ; fond sonore qui anime la maison, le babyé lui donne l’impression de dominer l’environnement. Contraire au silence, il est l’évidence d’une présence bienveillante, indice d’un habitat où la continuité d’un quotidien assuré, assoit un sentiment de sécurité. Chacun occupe les espaces communs en communiquant différemment. Les uns avec des certitudes assénées, las autres par onomatopées. Le corps/son acquiesce à l’intérêt qui lui est porté, sa place est authentifiée, il est enveloppé de considération, il n’est pas seul.

La parole est reconnaissance, elle signe l’échange mutuel, elle admet l’autre même quand elle est révélatrice d’une confrontation. Le silence constitue une cause de perturbations profondes puisqu’il est à l’origine de la perte des repères au moment où le développement psychique de l’aîné aurait nécessité un renforcement.

 

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