Un drapeau pour le sport

Guadeloupe terre de champion. Le slogan répété et entendu a façonné une image valorisante de courage, de ténacité, d’endurance dans la psyché des jeunes générations, contrebalançant les clichés négatifs véhiculés par certains qui, se faisant, refusent l’appartenance au groupe. En disqualifiant autrui, on se croit forcément meilleur que lui.  

Et pourtant : « Tout ce que tu dis parle de toi singulièrement quand tu parles de l’autre. » Paul Valery.

Les célèbres champions guadeloupéens sont de nationalité française et dans toutes les compétitions leurs victoires hissent au premier rang le drapeau de leur pays la France, comme les américains le drapeau des USA. Afro descendants, ceux-ci sont originaires de l’Outre-Mer, ceux-là des Etats Unis, tous deux ont en commun un ancêtre. Si je cite en exemple les Etats Unis c’est que sa configuration géographique ne donne aucune opportunité d’une différenciation par un drapeau d’un groupe minoritaire à l’intérieur de la Nation. Tenter de se désolidariser du bloc/continent à l’instar des contestataires afro américains, Tommie SMITH et John CARLOS qui, lors de leur succès aux jeux olympiques de Mexico en 1968 (médaille d’or et de bronze dans l’épreuve du 200 mètres) ont levé leurs poings gantés de noir pour attirer l’attention sur la situation des noirs au USA, serait passible de sanctions comme eux à l’époque.

Le fait d’appartenir à un lieu, un pays, une terre distincte, d’avoir conscience de sa culture semble plus aisé à vouloir élaborer l’idée de ce drapeau. La demande qui m’est faite de porter réflexion sur la visibilité d’un drapeau guadeloupéen dans les compétitions sportives, revient à envisager la création de ce drapeau, le choix des symboles à y insérer, les stratégies possibles à son acceptation et à son imposition par une reconnaissance officielle.

En France, il existe des drapeaux régionaux, départementaux, régis par le principe de non reconnaissance officielle. Exception est faite pour les territoires d’Outre-Mer tels la Nouvelle Calédonie dont le drapeau depuis 2010 représente les deux légitimités définies dans l’accord de Nouméa, celui de la Polynésie Française depuis 1985, et celui des Terres Australes et antarctiques françaises depuis 2007.

La Guyane entre deux visions politiques, malgré un sceau officiel relève d’une certaine complexité. Les drapeaux régionaux les plus connus sont ceux de la Corse, de la Bretagne et du Pays Basque. Ils sont brandis lors de mouvements contestataires : bonnets rouges, gilets jaunes, symboles d’opposition et de résistance.

La Guadeloupe utilise localement deux drapeaux qui n’ont pas de statut officiel. Les indépendantistes sortent le leur lors de manifestations ou de rencontres. Il rappelle les coloris et les emblèmes du drapeau du Surinam dont quelques-uns ont souligné la ressemblance et exprimé par-delà les mers, le risque de confusion. Le second, régional, plus acceptable pour les détracteurs de la séparation d’avec la mère patrie, donne à voir trois fleurs de lys sur fond bleu d’un soleil rayonnant au centre, sur un fagot de canne à sucre et un fond noir. Il était hissé sur les navires de commerce faisant route vers la Guadeloupe, dont les navires négriers. On peut l’apercevoir à l’entrée du chef-lieu, paisiblement installé. Puis surgissant de partout et de nulle part, dans les arbres, sur les ponts, dans les lieux de contestation, le troisième, un drapeau rouge en rappel du sang versé, fait référence à la défaite du commandant Ignace à Baimbridge.

Voilà trois bannières animées par des mobiles différents, ayant un impact pétri de paradoxe sur l’imaginaire, engoncées dans un interdit à débattre ou même à évoquer dans les groupes amicaux ou professionnels, comme représentant une menace pour le politiquement correct. Déjà entachées de suspicion, elles ne sauraient s’inviter dans une volonté de neutralité, cependant mêlée de reconnaissance, de l’ensemble d’une population désireuse de bénéficier du talent et de la réussite de ses enfants. A considérer que ce registre là, démontre l’épaisseur de la tâche à entreprendre.

Créer sans déplaire, convaincre de la nécessité de se mettre à distance d’un courant de pensée, non de la lutte pour la dignité, concilier les points de vue en ménageant les susceptibilités, mais surtout persuader les instances supérieures de son accès à un statut officiel. Cela signifie, qu’à partir d’une identification des champions portant les couleurs de la Guadeloupe, un drapeau s’imposerait pour tout le pays, mettant au rebut l’existant régional et ses trois fleurs de lys le reliant à la France ? Mais serait-il suffisamment représentatif de cette quête d’être guadeloupéen occultant le désir de se mettre à distance de la France sans en énoncer la raison ? La reconnaissance sportive serait-elle l’unique intention de cette démarche ? Comment logiquement obtenir un drapeau au statut officiel sans changer le statut de la Guadeloupe ? Ce questionnement doit mettre en lumière les contradictions non dévoilées de voir autrement le devenir de l’île région et département.

Sous-jacent, l’inexprimé d’être soi passe par des phases de fusion où l’acceptation est totale et la dépendance sécurisante, confortable, à une phase de prise de conscience de l’annihilation de la pensée, de dépersonnalisation, de déstructuration de l’identité qui alimente un projet de révolte contre la mort psychique et un grand besoin de désaliénation dont l’aboutissement est la colère explosive dans la dissociation ou la séparation conciliante profitable aux deux parties. La troisième phase, la plus importante est la reconquête de son soi et le surinvestissement narcissique : avoir conscience d’exister par soi-même.

Se défaire de l’emprise de la dépendance, implique de surmonter des obstacles tels la peur de ne pas pouvoir avancer seul, l’angoisse de séparation, la perte des privilèges, semblables à la crainte de grandir d’un enfant. Ainsi se cristallisent des résistances, légitimées par des prétextes économiques, surtout de subsistance, comme l’impossible suffisance alimentaire, les systèmes de production aléatoires, qui masquent l’anxiété de cette part d’inconnu et du doute de soi, imbriqués dans un destin historique qui entravent l’initiative et la créativité.

Reste à convaincre d’abord le guadeloupéen du bien fondé de cette entreprise en argumentant sur la réappropriation d’un savoir-faire aux multiples facettes : fait en Guadeloupe, label revigorant utile pour les champions et pour le pays habité par des citoyens à part entière. Que l’on se souvienne de l’interdit de parler créole et des méfaits sur l’expression orale, privant d’une totale liberté à l’éveil nombre d’enfants, parce qu’embarrassés d’une dépense d’énergie consacrée à la vigilance de composer avec le permis et l’inacceptable.

Reste à convaincre le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, l’Etat. Comment une minorité parvient-elle à influencer une majorité ?  C’est de cela qu’il s’agit dans l’espoir d’un statut officiel du drapeau. L’influence minoritaire ne s’exercera que dans des conditions relativement limitées avec obligatoirement les caractéristiques suivantes :

  • Induire un conflit
  • Appartenir pleinement au groupe majoritaire, c’est-à-dire au même parti
  • Être vécu par la majorité comme étant libre de toute pression extérieure, ni manipulé, ni soumis à des intérêts particuliers
  • Être consistant, faire preuve de fermeté dans l’énoncé répété de ses arguments et ses opinions
  • Être flexible, savoir faire des concessions
  • Explorer un point de vue cohérent avec les normes latentes de la majorité.

L’influence minoritaire pour être efficiente doit saper lentement les certitudes majoritaires en comptant sur la répétition et le temps. Cette mise en lumière était nécessaire à l’évaluation de la tâche et sa chaîne de prohibitions, sa cascade d’interdits face à ceux qui prétendent tracer l’horizon du monde et s’en prennent pour les maîtres. Alors manches retroussées et tête relevée, s’impliquer dans ce rapport de force qui permettra de goûter aux saveurs brutes de la transgression ne serait-ce que dans le confort d’y avoir au moins pensé.

A quoi servirait ce drapeau qui franchirait les mers et les océans ? 

  • A déboiser les champs nouveaux de liberté, liberté de penser, liberté d’entreprendre, liberté d’exorciser les doutes et les peurs.
  •  A accéder à la découverte de soi en guise de réhabilitation d’une représentation pernicieuse et dévalorisante accolée à l’être antillais.
  • A activer les frontières par la séparation des identités : les athlètes français/antillais, masse compacte dont l’île est privée du rayonnement, au phénotype identique pour les mal voyants, auront une origine, un groupe d’appartenance.
  • A aller à la rencontre d’avec soi, embrasser le désir dans une force de conviction et vibrer de fierté, d’enchantement. L’émotion est indispensable à l’existence. Je n’ose pas dire rêver, bien que l’on ait droit au rêve.
  • Sortir du piège de l’universel qui dilue et exclut, se déterminer en tant que même et différent.

A s’enorgueillir d’un drapeau, le club de taekwondo affirme qu’un possible est envisageable sans préciser que le leur reléve d’une discipline déterminée. Faudrait-il un drapeau pour chaque discipline ? De plus ce drapeau flotte au vent uniquement dans la Caraïbe, serait-il accepté dans une compétition internationale et que deviendrait-il face à la délégation française ? Serait-il autorisé et à quel titre ?

Certains disent que la Guadeloupe à déjà un drapeau, celui de l’UPLG. Introduire le débat avec l’ensemble de la population et tenir compte de son avis est une piste qui ferait démonstration d’une ouverture certaine. Proposer et non pas imposer.

Ces deux exemples montrent bien qu’un drapeau voulu pour le sport et uniquement pour le sport est peut-être une suggestion à reformuler.

Tout projet novateur suscite des bouleversements surtout s’il s’agit de modifier les modes de pensée, de mettre à mal les fondements anciens de l’immobilisme, de susciter des idées individuelles et collectives. Le changement génère de l’angoisse d’autant plus qu’il n’est pas suffisamment explicité, justifié. Il faudra alors que la témérité se double de subtilité, de doigté, en sachant faire fi du découragement face aux désaccords et à l’incompréhension.

Oui, nos champions méritent un drapeau, mais l’obtenir ce sera gagner la médaille d’or de la détermination.

Fait à Saint-Claude le 12 mars 2019

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