Béni oui-oui

Publié dans Le Progrès social n° 2522 du 25/07/2005

La propension à dire oui à tout ne relève pas seulement de la crainte d’induire un conflit ; elle s’assortit d’un certain nombre d’éléments qui dans la culture correspond à une forme de communication dont l’étranger est exclu. Comment comprendre et admettre que quelqu’un qui a donné son approbation à une proposition puisse ne pas se présenter le jour de la prise de décision ? Comment interpréter l’absence du plombier, du jardinier, du scieur de long sans excuse ni explication ? Il ne s’agit pas de cas isolés mais de comportements réitérés qui méritent d’être interrogés.

La période d’enfance interdit le non. L’éducation dont la base est l’obéissance ne souffre aucune contestation signifiant un souffle de rébellion. La docilité étant l’apanage des enfants bien élevés, la fessée/punition vient rétablir l’ordre des choses. Les petits doivent écouter les grands dans un sens unilatéral. Ce principe de base peut entraîner la crainte de l’autre ( « Si je te refuse quelque chose, la revanche viendra comme un retour de bâton. ») L’évaluation d’être mal armé pour se défendre dissimule une crainte plus grande : celle de ne plus être aimé. Le fait de dire oui à tout est une preuve d’amour dont on attend une réciprocité. Le processus s’ordonne aussi dans le besoin d’être reconnu à travers cette disponibilité («  Tu peux compter sur moi. ») Celui qui l’affirme se trouve dans l’incapacité à définir ses limites ; il peut tout absolument tout. La notion de toute-puissance est là en filigrane, elle s’allie à la compétence. Accepter de faire correspond au désir de démontrer son savoir aux yeux des autres et même si l’inaptitude contrarie la démonstration, elle conforte l’ego qui se satisfait d’une image positive de soi. Cette personne pense quelquefois qu’elle aura le temps avant le terme défini de s’instruire, semblable à cet autre qui la tâche acceptée appelle le spécialiste, essayant de grappiller des miettes de connaissances. Le confort narcissique est souvent illusoire car la dérobade du dernier moment oblige à faire face à l’insuffisance, ignorée cependant des autres.

Pour se débarrasser d’inopportuns, refusant de perdre son temps en discussion futile, lassé de dire ses réticences, le oui arrive à arrêter la polémique. L’indifférence ponctue de oui les projets, les demandes, les sorties, les menus du midi et du soir, les invitations, les achats. Une jeune fille a quitté son fiancé pour cette raison : « Que sera ma vie avec un béni oui-oui ? »Elle a pressenti que l’ami de cœur ne voulait point se positionner, et avoir une paix royale. Quelquefois le sentiment immédiat d’une dette cautionne la parole positive : quand service a été rendu il n’est d’obligation que de le rendre. Personne n’y oppose un refus même dans l’impossibilité à tenir sa promesse.

Le oui fait-il partie d’une philosophie antillaise ?

Il y a certes un art de communiquer relatif à chaque culture. L’histoire qui a pétri le peuple laisse des traces dans les relations humaines. Dire oui n’est pas anodin. Il laisse entrevoir des enjeux tels :

  • Le pouvoir : pouvoir à prendre ou à conserver, il met dans l’attente. Le pouvoir est un mécanisme quotidien de l’univers social utilisé sans cesse avec les amis, les collègues, la famille. L’individu devient un acteur autonome et l’autre ne peut l’utiliser comme il veut. Celui qui dit oui a capacité à marchander sa bonne volonté. L’exemple du plombier attendu met en évidence cette relation de pouvoir. Le client ne peut rien faire d’autre qu’attendre. S’il est le maître de l’affaire, il est aussi le Maître puisqu’il tient le demandeur à sa merci. Rien d’étonnant à ce que l’agressivité se manifeste par le non-paiement systématique de la réparation.
  • Le jeu concilie liberté et contrainte. Le joueur reste libre mais c’est un être capable de calcul et de manipulation qui s’adapte en fonction de ses partenaires. Le jeu est instrument que les hommes ont élaboré pour régler leur coopération.
  • La persuasion permet de dire ce que l’autre désire en semblant désirer ce qu’il dit. Elle s’alimente d’une connivence, production qui met l’interlocuteur en situation de se convaincre lui-même. La connivence avec la réalité du moment  apte à tout faire, malléable, souple, insaisissable est le tenant d’une personnalité caméléon. L’individu montre  à chacun un aspect différent de lui, change d’attitude au gré des besoins, préfère la plasticité à l’intransigeance. L’emploi de la ruse et du détour fait partie d’une intelligence quotidienne contraire à la personnalité impulsive.
  • Le transfert qui tient au désir réciproque des protagonistes : « Je veux ce que tu veux », s’engouffre dans les dédales de la séduction en soulignant son rapport certaines fois à l’indifférence et à désintérêt.

Le oui est tenu pour déloyal et frauduleux par ceux qui sont soucieux de la vérité absolue, du respect d’autrui, d’une sagesse nécessaire, et admiré par ces autres qui reconnaissent là un moyen de mettre le plus fort à genoux, à s’imposer, à faire changer les choses et basculer les rapports de force. Son actualité met en exergue un monde dominé par la compétition entre des forces inégalement réparties, un monde où quelques-uns uns cherchent à imposer leur propre vision des choses. Le oui peut constituer une forme d’habileté face à une trop grande intransigeance. Accepter de prime abord un projet exagéré et se désister par la suite sous un prétexte quelconque c’est en quelque sorte en vouloir à l’autre de demander presque l’impossible. Mais dire oui tout le temps dénote une forte dépendance émotionnelle vis-à-vis des autres et des situations. Il serait préférable de mieux connaître ses vulnérabilités et faire preuve d’une affirmation de soi dans un monde ou être soi devient de plus en plus important.

Oser dire non, c’est d’abord et avant tout se défaire du discours parental intériorisé : « Fais ça pour moi. » Plus on est proche, plus on a tendance à dire oui ; pourquoi ne pas se maintenir à une distance respectable ? Cela aide à accepter les défis. Ne pas craindre le jugement d’autrui qui ne doit pas guider la vie. Ecouter la demande en restant attentif à ses désirs propres : « Qu’est-ce que je veux ? » Ne pas vouloir être utile à tout prix : tout le monde est nécessaire, personne n’est indispensable. Apprendre à dire non sans agressivité c’est aussi admettre que quelqu’un puisse vous dire non. Si l’affirmation de soi va de pair avec l’estime de soi, prendre conscience de ses capacités et de ses limites aide à s’accepter tel que l’on est. L’honnêteté envers soi-même consiste à assumer ses émotions en s’engageant dans des domaines précis : l’amitié, la parole donnée. En se fixant des objectifs et en s’y tenant, le risque est d’avoir à affronter l’échec, prendre conscience de sa vulnérabilité. Pourquoi ne pas tenter d’être pleinement maître de son sort ? Même l’enfant dans sa volonté d’exister, de s’affirmer sent que la dé fusion est primordiale. Avant tout l’humain veut plaire, cela paraît une question de survie. Le bébé désire séduire ses parents parce que d’eux dépend son confort. En grandissant il assume lui-même ses besoins vitaux. Beaucoup de personnes demeurent dans cette situation infantile. Par désir d’être admiré ou par crainte d’être abandonné ils font le maximum pour satisfaire les autres sans penser aux conséquences que cela peut avoir dans la confiance qu’on leur accorde puis de la perte de leur crédibilité.

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