L’infanticide

Publié dans Le Progrès social n° 2525 du 13/08/2005 

L’infanticide est le meurtre ou l’assassinat d’un nouveau-né viable de moins de trois jours : la déclaration de naissance à la mairie au service d’état-civil est obligatoire à partir de trois jours.

Qui commet l’infanticide ? Le père qui lui se situe dans le cadre du filicide (homicide sur les grands enfants ou sur les adolescents), quand il tue un nourrisson, le fait à la demande de la mère. La grand-mère parfois dans la famille élargie, endossant la responsabilité du chef de famille, comme celle qui dans la mer a accouché sa petite-fille et noyé le bébé et plus fréquemment les mères dont la tranche d’âge se situe entre 30 et 40 ans, ayant déjà un ou deux enfants : mères multipares, plus nombreuses que les primipares ( premier enfant.) Tous les sévices physiques graves sur nourrisson entraînant la mort ou non ( homicide raté) ont sens d’infanticide qu’il faut décrypter.

L’infanticide a toujours existé, dans tous les pays. En Grèce, Médée femme de Jason par jalousie et vengeance tue ses enfants, en Egypte, le prince Satni amoureux fou de la princesse Taburu accepte l’assassinat de ses enfants : elle refusait de se donner à lui s’il ne commettait pas ce filicide. Ce crime était admis au XIXeme siècle chez les paysans français miséreux et illettrés ayant trop de bouches à nourrir, ainsi que pour les bonnes engrossées par les bourgeois en milieu urbain. La pression sociale influence cette attitude des parents : élimination des enfants en surnombre en chine, sacrifice du dernier-né en cas de famine chez les aborigènes d’Australie. L’acte est légitimé et non punissable, son sens varie d’une culture à l’autre. Il existe des infanticides à répétition le « baby farming » qui est le meurtre en série de nourrisson par manque de nourriture ou par manque d’hygiène corporelle (incurie.) Qui se souvient de l’horreur de la population et de son incompréhension face à la mise en liberté de la mère et du père qui ensemble avaient enterré plusieurs bébés. L’acte justifiait le signe de croix des femmes curieuses de ce procès quand elles en parlaient. L’observation du pourcentage élevé de morti natalité était passé sous silence et les mères infanticides n’étaient pas inquiétées faute de preuve mais surtout parce que l’avortement n’était pas admis dans certaines sociétés et que personne ne voulait soulever un problème aussi grave que celui de la maltraitance infanto juvénile. La légalisation de l’avortement dans certains pays a fait diminuer le nombre d’infanticide. Les motivations d’interruption de grossesse répondaient à des facteurs d’ordre social, économique et psychologique.

Quelques infanticides tiennent à la représentation sociale particulière du bébé qu’on considère pas tout à fait né tant qu’il n’est pas reconnu par la famille et intégré au groupe social d’appartenance. Ainsi l’enfant au berceau était qualifié de diable tant qu’il n’avait pas reçu le sacrement du baptême. Il avait un statut bâtard mi-humain, mi-surnaturel : il faisait quelquefois peur. Quand la naissance n’est pas pensée réellement achevée, l’infanticide n’a pas valeur d’homicide.

Les causes des infanticides sont multiples :

L’infanticide commun tient à des raisons sociales banales. La femme célibataire élevée au sein d’une famille dans une morale rigoureuse, enceinte et délaissée par son ami, craignant l’affrontement familial, dissimule la grossesse et fait disparaître l’enfant à terme. Le contexte de naissance est primordial. Totalement isolée la jeune femme n’envisage aucune alternative autre que celle de jeter le nouveau-né dans le vide-ordures ou d’accoucher sur les W-C en tirant la chasse d’eau. L’enfant est vécu comme un étron (fesses) dont elle doit se débarrasser, un élément de souillure inacceptable.

Des parents immatures qui récupèrent l’enfant dont ils s’étaient séparés soit pour mésentente conjugale, soit pour un projet de construction, n’acceptant ni ses exigences, ni ses cris, incapables de contenir sa violence et surtout son instabilité qui fait écho à la leur, après des épisodes répétés de maltraitance et de carences affectives, un jour de grande crise, commettent l’irréparable à deux ou la mère seule avec la complicité d’un père silencieux comme dans le cas de ce petit garçon de six ans qu’une claque du haut de l’escalier avait privé de vie. L’autopsie révéla des ongles arrachés, deux fractures non réduites, des lésions anciennes de coups physiques. Les soeurs aînées n’avaient jamais été victimes de maltraitance.

L’infanticide plus tardif après le troisième jour est le fait de femmes mariées avec un ou deux enfants qui utilisent la suffocation par étouffement, la strangulation, la noyade. Ces femmes parlent souvent de mort accidentelle : «  la mort au berceau du nourrisson. » Elles éprouvent beaucoup de mal à dire que le rejet de cet enfant en absence dans leur désir ou la mise en acte d’une vengeance contre l’époux estimant que ce dernier accaparait l’enfant ou les en privait, avait déclanché leur jalousie et le passage à l’acte. D’autres atteintes de mélancolie (dépression grave) afin de préserver le bébé de ce monde de souffrance expliquent leur comportement comme un geste altruiste. Ce schéma se retrouve dans un contexte néonatal passionnel quand une malformation congénitale impossible à assumer met en relief l’échec de « l’enfant merveilleux » dont rêve tout parent. Les maladies du post-partum( après l’accouchement ) appelées «  psychose puerpérale » sont des états délirants qu’un suivi régulier peut prévenir. Le psychisme de ces mères fragiles envoie des signaux durant la grossesse : non-préparation de la layette, absence de paroles sur le fœtus, pas de projet incluant le bébé, grande indifférence à propos de l’image du futur né.

L’infanticide par passivité englobe tous ces éléments mais de plus, la mère présente une importante immaturité affective. Les liens avec la famille étant distendus, elle laisse mourir l’enfant par manque de soins et d’hygiène. Après le décès, quelque fois étouffement avec oreiller, elle ne semble ni affectée ni touchée par l’acte. Seule, isolée, la grossesse a été niée. Dans une espèce de bulle hors du temps, elle comptait sur une aide extérieure qui arriverait comme par magie et viendrait diriger sa vie. L’évènement considéré comme un acte de sorcellerie ou une malédiction, l’empêchait de se confier à quelqu’un de son entourage ou de prendre une décision qui aurait modifié le cours des choses. Le puéril espoir qu’un accident, une mort, une catastrophe naturelle, la disparition miraculeuse de la grossesse la sauvent de cette position honteuse, montre combien l’altération du raisonnement est grande.

L’infanticide comme réaction primitive à ce moment de l’accouchement perturbant : la délivrance venant réactivé le sentiment de toute-puissance maternelle se retrouve en très petit nombre.  La femme enceinte a cette constante perception du danger encouru ; durant la grossesse le fœtus peut la tuer par non-délivrance, elle aussi peut le tuer. La toute-puissance de la procréation se déplace dans la toute-puissance du droit de mort : « C’est moi qui l’ai fait, je peux le supprimer, il m’appartient. » La religion condamne l’infanticide : condamnation d’autant plus aggravée quand il s’agit de sa propre progéniture. Mais la faillite des interdits religieux et moraux a aboli cette valeur du respect entre parent et enfant.

L’homicide ou la tentative d’homicide sur un nourrisson frappe la conscience populaire et occulte souvent les autres formes moins tragiques d’infanticides déguisés et différés par omission : l’abandon d’enfant.

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