Rimèd Razyé, cosmogonie et imaginaire

A l’origine de toute pharmacopée étaient les plantes que seuls ceux qui dotés de connaissance et de savoir utilisaient. Ils étaient reconnus parce que garants de la santé de la population qui s’en remettaient à leur pouvoir.

Au commencement de l’histoire du peuplement, les personnes réduites en esclavage n’avaient pour seule référence de médication que ce que leur mémoire avait conservé de l’Afrique lointaine. Elles ont du avec beaucoup d’ingéniosité établir des correspondances avec ce qui se trouvaient sous leurs yeux, qui poussaient spontanément, les expérimentant et inventant des remèdes aux maux qui donnaient la mort. Cette observation des rimèd razyéque l’on peut définir par broussailles dans les chemins creux ou aux abords des routes ont une connotation d’insignifiance, parce que non cultivées, à la manière d’herbes folles non encore reconnues. L’évolution obligée avait relégué lentement la tradition dans les confins de la dérision faisant un clivage entre monde citadin et monde rural. Mais à l’époque il fallait combattre les maladies et diminuer la mortalité. La faculté d’adaptation à ce nouvel environnement a fait apparaître la figure du doktè feuille, homme à la connaissance empirique. Ce doktè feuille bénéficiait d’une certaine notoriété cependant teintée de crainte, car il s’inscrivait sur le double registre du guérisseur et de l’empoisonneur. Les empoisonnements ont fait partie de la vie sur les habitations, réels ou imaginaires, ils ont donné lieu à des procès et à des déplacements de corps dans d’autres colonies en absence de mise à mort. L’utilisation des plantes devint interdite par un arrêté du 08 mars 1799, infligeant amendes et punitions corporelles aux utilisateurs. C’est sous le coup de cet arrêté que les plantes antillaisesdevinrent hors la loi. Il a fallut une lutte acharnée à 200 chercheurs pour que le 23 février 2011, la modification de cet arrêté entre en vigueur. 

En 2000, se crée l’association pour la promotion des plantes médicinales et aromatiques de la Guadeloupe (APLAMERADON). Le docteur Henry JOSEPH (PYHTOBOKAZ), le professeur Paul BOURGEOIS, le Professeur Jacques PORTECOP se battent pour la reconnaissance de rimèd razyé. Marie GUSTAVE et son association participent à la diffusion publique de leurs vertus. Aujourd’hui certaines d’entre elles ont fait leur entrée officielle dans la pharmacopée française. Une quinzaine en tout sont sacrées, sorties de l’officine de l’apothicaire créole, elles endosseront le statut européen (peut-être.) 

  • Glycérine : peau et cheveux
  • Pwa di bwa : coliques, toux et infections cutanées
  • Té péyi : troubles digestifs, états grippaux, hypertension
  • Bwa nwé (mahot noir) : blès
  • Chadwon béni (herbe à fè) : états grippaux, troubles digestifs
  • Gwo bonm : fièvre, règles douloureuses, stimule l’appétit
  • Grenn an ba fey : maladie du foie, pathologies digestives, refroidissements
  • Bwa dinde : fièvre, rhumatismes, douleurs dentaires, états grippaux
  • Goyav : gastro entérite, diarrhée, diabète, hypertension
  • Suwo : grippe, toux, fièvre
  • Catalpa : troubles respiratoires, digestifs, urinaires
  • Verven queue de rat : fatigue, nervosité, rhume
  • Zèb à pik : protection du système immunitaire, grippe, refroidissement 
  • Senna alata ou cassia alata : maladie de la peau, dermatoses.

Désormais, les rimèd razyé ont une connotation de scientificité, ils soignent les affects du corps. Mais un corps sans âme, sans inconscient, ne ferait pas sens dans la relation à l’autre. Les états grippaux, les douleurs, les pathologies digestives et respiratoires ont peu de liens avec la cosmogonie, le monde du sacré et du surnaturel, c’est-à-dire l’univers de sens.

La plante utilisée dans le maniement des pratiques magico religieuses participe à la vision manichéenne du bien et du mal. Dans le rituel magique, elle conserve ses vertus curatives et protectrices, dans le rituel de la sorcellerie, elle sombre dans les méandres offensifs et destructeurs. Ce double signifiant lui confère des puissances léguées par des forces occultes qui s’impriment dans le corpus des croyances donc dans l’imaginaire des populations.

L’humain dans toutes les sociétés a une relation particulière à la nature et ne saurait ignorer l’environnement dans lequel il évolue. Cette nature est partie intégrante de son système de pensée. Les éléments du cosmos ne sont pas indissociables de son mode de vie et des liens inextricables régis par des lois secrètes conditionnent son vécu quotidien.

Par exemple la pluie, le soleil, ont des incidences sur le volume des récoltes, la qualité des produits agricoles. Les semis ou les plantations sont en phase avec les caractéristiques de la lune, montante ou descendante, elle influence taille ou floraison.

Mais les catastrophes naturelles peuvent perturber l’ordonnancement des choses selon la volonté divine. Persuadé de la capacité de Dieu à dominer la nature, et par là à le soumettre à sa seule décision, il accepte ces situations, l’expliquant par le fatum,ou la punition, ou la malédiction. Dieu a une double fonction : il protège, il punit ; mais il demeure l’emblème du BIEN.

Par contre l’autrui malfaisant possède cette capacité à détruire son semblable, à l’engoncer dans la déveine, le malheur. La jalousie et l’envie sont à la base de l’agir sorcier. L’âme manichéenne induit l’existence du bien et du mal comme des données incontournables.

Les croyances en la sorcellerie justifient que tout mal-être, tout conflit, toute maladie incompréhensible trouvent là un système explicatif. L’envoûtement, l’envoi de maléfices, se traite selon des règles établies par chaque gadé-zafé[1].

Afin d’éviter d’être la proie de la méchanceté des autres, des dispositifs de protection sont érigés et ont pour fonction de baliser le sentiment de sécurité. Les plantes font partie de ces moyens de prévention très élaborés. Elles ne se contentent pas d’une place de choix dans la pharmacopée traditionnelle qui prend soin de l’intérieur des corps. Elles éloignent les ondes perturbatrices, purifiant l’espace de vie, opèrent la fermeture du corps (le corps ouvert est sujette aux maléfices), gardiennes des environnements intimes. Rentrant dans la composition des bains, elles s’utilisent parfois à des fins de destruction.

PLANTES DU DEDANS, PLANTES DU DEHORS

« Ce sontdes fleurs de cimetière, ne les rentre pas dans lamaison. » La balaguetterouge ou orange tout comme les chrysanthèmes européens, sont interdits à l’intérieur. Les tombes lui sont familières.

Le monde des morts et celui des vivants sont des mondes séparés, même si des canaux de communication à sens unique cautionnent l’affirmation : les morts ne sont pas morts. A chacun sa place, et par analogie, les représentations des éléments liés à la mort risquent de porter malheur.

La lavande rougepar contre sauvegarde l’équilibre des familles. Son rôle purificateur chasse les mauvaises énergies circulantes, prévient les conflits, aide au rayonnement de l’être. Prometteuse de chance, de richesse, ses bouquets s’assoient au salon et à la table de la salle à manger. La plante est ornementale et bénéfique.

La misère malgré son nom est acceptée dans les vérandas, appelée aussi chance selon les régions, elle se complexifie par une double appartenance. En cas de diminution des apports financiers, elle s’exporte dans la cour ou au fond du jardin. Le pouvoir des plantes s’érige selon l’habitant de l’espace de la maison.

Sans explication satisfaisante, les craintes s’étalent de génération en génération, imprégnées d’influence ethnique dont le sens s’est érodé. C’est ainsi que les œillets ne s’offrent pas, ces fleurs non cultivées sur le sol antillais qui arrivent dans les containers frigorifiés tentent une timide entrée dans les bouquets des fleuristes d’ici. Comme elles ne s’offrent pas, les personnes qui les aiment les achètent pour elles mêmes. 

 Le jardin créole se construit sur un modèle précis et semble être le révélateur des relations sociales et familiales. Les plantes protectrices se cultivent à l’entrée de la maison. Garant de l’équilibre psychologique des familles, elles sont comme des garde-fous, bouclier et repoussoir des maléfices qui pourraient venir troubler la sérénité de tous.

Mine de rien, l’habitante, quelque soit sa condition sociale assure la sécurité de son entourage. La connaissance empirique d’une aînée dont elle est l’héritière renforce sa méfiance et ses peurs envers la cruauté et la méchanceté naturelles de l’humain.

La verveine queue derat, le cavalier de onze heuresdouvan nom, l’aloès vera, la lavande rouge le balé sizé, le maniok bwableu, le sandragon pour ne citer que celles-là, vont contrecarrer les projets de destruction des plantes sorcières ou maléfiques qui se déposent sur le pas de porte, dans les interstices des barrières, devant les voitures.

L’organisation du jardin du gadé-zafé est constituée de manière plus élaborée. Il fait partie de ses outils de travail, qui servent à soigner les individus que la médecine officielle et classique n’arrive pas à soulager

L’UTILISATION DES PLANTES

Le montage :La plante maléfique s’utilise surtout pour renforcer un amour en voie de disparition, retenir l’être aimé ou faciliter un retour d’affection. Le montage à un double sens : se faire bien voir de quelqu’un ou retenir auprès de soi un être cher. Une photo au pied de la plante ; à l’air, est une technique employée pour un charmeou une passion à partager.

A l’inverse le nom inscrit sur un parchemin vierge et enterré au pied de cette même plante sème la zizanie et la discorde dans l’entourage de cette personne. Le montage amoureux se dissimule à l’intérieur comme pour préserver l’intime. Aujourd’hui il est plus facile de dire le nom de celui avec qui on dort que de celui qu’on aime. Le montage intérieur concerne les plantes femelles ou mâles en fonction du choix du partenaire.

A l’extérieur le malanga flé, la vervenet surtout le cocotier de par son aspect de solidité (il ploie sous la force des vents mais ne rompt pas), est l’arbre de prédilection pour le montage conflictuel, tandis que l’enrichissement et la puissance sont demandés au maniok bwablé et àchans. Par magie analogique, la personne qui monteest liée à la plante.

En cas de mortalité, obligation est de défaire le montage en arrachant ou en détruisant la plante. L’âme du monteur ou de la monteusen’atteindrait pas le repos éternel. Elle reviendrait errer dans le monde des vivants. De même quand une plante montée dépérit, son propriétaire meurt.

La protection : celle de l’humain (les bains) et de la maison perdurent encore. Afin d’éloigner les mauvais esprits, l’eau de nettoyage du sol reçoit avec l’ammoniaque ou l’alcali des herbacées dont le rôle est d’éliminer et les ondes maléfiques et les esprits malfaisants. La feuille de fouyapin réputée pour récurer les planches de la case avait un pouvoir non dévoilé.

Le prétexte du blanchiment était évoqué palliant la pauvreté sans produit ménager. Aujourd’hui que le plancher est ciré en ville, les anciens déplorent le craquement des pas des revenants dont le champ est libre. L’acacia, le rameau béni sont des protecteurs installés au haut de la porte d’entrée, un ciseau en croix consolide l’ensemble. La badine de bois vert qui flagelle le corps de la femme sortie de la couche de son amant renseigne sur la fonction du gadé zaféet de son traitement de la culpabilité.

Corps possédé, désobéissant à une logique de bonne épouse, de bonne mère, les flagellations, dans un non-dit lui permettent de franchir le seuil, la tête haute jusqu’à la prochaine escapade. La volée de bois vert est thérapeutique.

Le bain : Les plantes rentrent dans la composition des bains : bains de chance, de réussite. Depuis le plus jeune âge l’enfant est confronté à ce rituel qui l’assoit dans la bassine du gadé zafé. Plus tard l’affrontement aux épreuves scolaires justifiera ce rite de protection et sa période d’adulte confirmé le ramènera en cas de difficultés diverses à se tremper dans ces feuillages odorants et multiples prescrit par l’impétrant.

Quelques abus sexuels au moment du bain ne sont jamais dévoilés par honte et crainte du retour des maléfices. La vengeance est à redouter comme dans le cas de non paiement de la séance. Le mal revient augmenté de deux onces de malheur. Dans le baindémarré on trouve entre autre des feuilles decorrossol, de pié monben, de grenadier. 

La mer reçoit en groupe des personnes, en majorité des femmes accompagnées d’un guide métaphysiquequi se plongent dans l’immensité salée, se frottant de bouquets de lys blanc de la couleur de l’innocence, envoyés par-dessus l’épaule à la sortie de l’eau. Il est conseillé de ne jamais se retourner.

Le bain qui éloigne les maladies, celui qui permet d’être accepté professionnellement, celui pourvoyeur de bien-être et de calme se sont exportés dans ces contrées lointaines et froides où le rejet et la discrimination fragilisent l’être antillais. Pareil au frotteur qui rétablit l’équilibre du corps, le bain va faire écho à ce moment de petite enfance, quand les soins de puériculture dispensés par la mère confortaient le sentiment de sécurité. Souvent des parfums s’ajoutent aux fleurs et aux feuilles, donnant une armature au plaisir ressenti. La fleur de soleil ou tournesol est par excellence celle qui accroit le rayonnement et la réussite.

Les maléfices s’installent devant la porte, en croix ou en nœud. L’herbacée pié de pouleest une promesse de malheur pour une ou plusieurs personnes de l’habitat. Quand la maladie ou l’accident survient, la recherche de l’agresseur éclaircit le mystère. Souvent accusée, la maîtresse ou la parentèle de l’époux cristallise la haine de la famille. Agrémentée d’un poisson mort le sens est grave : il décide d’une mort. Attention à ne point la fouler. Si elle n’est pas destinée à une personne elle n’occasionnera qu’un trouble bénin, le gonflement du pied. On parvient à couper ses effets délétères en l’arrosant de crésyl ou d’alcali et enfin à l’enflammer.

Une prière spéciale doit être récitée durant l’acte de purification. Douvan nom retient au foyer un volage dépourvu de son autorité. Cette attitude n’entre pas dans le registre du mal puisque la place d’un homme est auprès de son épouse, pense cette dernière. La plante est placée devant le pas de porte et la belle-mère l’apercevant dira que son fils est en proie à un lav têt[2]. Ce dernier qui une fois rentré ne ressort plus, trouve sa solution en n’ouvrant la porte du foyer qu’au petit matin.

Reste à utiliser le citron dans lequel un parchemin vierge est glissé et la prière inscrite dessus. Il sera mis dans le congélateur en même temps que seront murmurer ces mots : « Citron ce n’est pas toi que je refroidis mais Robert qui doit rester à la maison ». La survenue de l’impuissance prive les autres de plaisir et l’épouse aussi. Impossible de défaire ce qui est fait. Seul un quimboiseur[3]major autorisera le malchanceux à échapper au déshonneur de sa vie, quand bien même étonné de trouver un citron assis dans le congélateur, il le sorte de sa prison. Il n’obtiendra aucune explication à ce sujet. Rares sont les cas de demande de frigidité à l’égard de la femme.

Le parfumage : Le brulot s’allume dedans ou dehors selon la problématique du sujet. Les feuilles de pwa dibwa se jettent dans les fumigations pour se débarrasser des esprits des enfants morts dans la case sans avoir été baptisés. Aux plantes séchées se mélangent des graines dont la fumée exerce un effet purificateur.

Tôt le matin ou au coucher du soleil, le parfumage tient à distance l’ennemi, protège la maison et le seuil. Il est assimilé à la fumée d’encens dans les églises qui éloigne les mauvais esprits du corps mort susceptibles d’entraver sa rencontre avec Dieu. Les revenants, les malfaisants sont tenus à distance et ne continuent pas à tourmenter une victime innocente qui avoue que la base de la persécution est l’envie : « Je ne suis ni belle ni riche mais on m’en veut ».Cela procure un confort narcissique de savoir que quelqu’un quel qui soit trouve un certain intérêt à sa personne. « Les gens sont jaloux d’un bobo bien pansé ».

L’arbre magique est le fromager sur lequel repose le soucougnan ou volandurant son long périple où il va sucer bovins et humains. Il suscite de l’effroi à cause du bruit non identifié la nuit. Ce sont ses graines qui éclatent en lançant des particules et dont le vacarme aux alentours presse le pas du passant courageux et occasionne la fuite du peureux.

Les pets du diable n’ont rien de diaboliques, ils sont un phénomène naturel de fonctionnement de l’espèce comme les piments oiseaux ou sorciers qui redeviennent verts la nuit alors que la couleur rouge le jour témoigne de leur mûrissement. «Les arbres dorment et pour leur prendre leurs fruits durant leur sommeil il faut murmurer à voix basse un pardon qui occasionne le dérangement ». Cela en terme clair s’appelle le respect.

Les utilisateurs : Qui utilisent les plantes ? D’abord les spécialistes de la magie et jamais de la sorcellerie. Aucun gadé zafé ne se reconnaît sorcier. Tous travaillent avec le bien, Dieu et les Saints. Difficile d’identifier celui qui lève de sa tombe les morts qui sème zizanie et troubles dans les maisons, décide de la mort à distance par le truchement de voults, complique de maladie voyée[4]les maux des petits et des grands, commandite l’échec scolaire et la désunion.  

Des gadé zafé ont leur jardin propre. Insuffisant parfois, la cueillette au fond des bois au moment de la pleine lune ou du premier quartier agrémente les plantations. Ces spécialistes sont formés à l’initiation des plantes par un connaisseur qui a fait ses preuves. La formation ne suffit pas faut-il encore avoir ce don magique qui se révèle très tôt, dans l’enfance.

Quelques femmes vendent sous le marché des plantes et des fleurs dont elles connaissant les vertus et s’en servent pour elles-mêmes et leur environnement familier. Elles n’offrent pas de plantes sorcières, les connaissent mais refusent leur utilisation. Celui qui en rêve recevra une recette de bain, de boutures à planter à un endroit défini du jardin aura obligation de suivre ces conseils. Un mort bienveillant le protège et veille sur son devenir. 

Conclusion

Les plantes sont manipulées par de nombreuses personnes, en grand particulier des femmes qui sont les garants du bien-être de la famille. Leur utilisation s’insère dans le contexte de l’environnement naturel et social de l’individu. Elles ont souvent divers usages qui se combinent à la couleur et au parfum. Le jaune est la représentation du soleil, l’astre rayonnant, et ses parfums adjacents sont le jasmin, le lys, la lavande. Bénéfiques ou maléfiques les plantes participent à la continuité de la pensée magique et scindent le monde en deux : celui des bons et celui des méchants. Elles cessent d’être entièrement elles-mêmes pour se mettre au service des croyances donc de l’imaginaire.

Le rimèd razyé re-situé dans le contexte de l’époque esclavagiste est une des formes de marronnage, peut-être moins spectaculaire que la fuite, mais un marronnage construit, élaboré, durable qui démontre la force de créativité d’un groupe en quête d’une préservation de son identité, une partie tout au moins, face à l’aliénation et à la dépersonnalisation.

Le processus de reconstruction tenté est lisible. Le premier geste des personnes réduites en esclavage arrivées en Guadeloupe a été d’enterrer les morts du jour. Geste de tristesse et de désarroi accompli sur une terre inspirant peur et soulagement en même temps. Peur de l’inconnu (quel sera l’avenir), soulagement d’avoir accosté sur terre ferme, foulant un sol après les conditions de vie dans les cales du bateau négrier. Le mouvement de stupeur dépassé, il a fallut organiser la survie, la lutte contre les maux du corps mais aussi la lutte contre l’environnement malveillant. L’évidence de ce changement laisse apparaître la pertinence du concept cosmogonie, mot grec signifiant cosmo (monde), gon (engendrer.) La cosmogonie est le système de formation de l’univers de sens. Les mythes en sont partie intégrante.


La naissance d’un monde est souvent la résultante de conflits entre force antagoniste, l’ordre et le désordre. En effet la création d’un nouvel univers s’est fait par étapes. D’abord le chaos (l’esclavage) puis la naissance du temps et de l’espace (la nouvelle terre), l’apparition de la vie à partir de la rencontre et du mélange des éléments (terre, eau, feu air) enfin la réapparition de l’humanité (prendre conscience de soi.) Cette réapparition de l’humanité se conforte dans ce que les traces mnésiques ont conservé de la vie d’avant. Le rimèd razyié est un refus de laisser dissoudre ce pan de culture, refus d’en être dépossédé. Cette résistance constitue une victoire sur la soumission obligée.

A travers ce renouveau végétal apparaît quelques vérités :

  • Il y a possibilité de création d’un nouvel univers après un cataclysme primordial, même dans un déplacement, en générant des actions.
  • Un modèle exemplaire peut surgir de toute manière de faire (la création du bouquet à soupe[5]en est un exemple)
  • La liberté prise dans la nature, par intuition, est une nature reprise par la liberté
  • Ce qui pousse sur le sol où vit l’être est forcément bon pour lui.

Rimèd razyé est un des exemples de la créativité de nos ancêtres, créativité que nous n’avons pas encore tout à fait exploré.



[1]Tradipraticien, 

[3]Sorcier

[4]Maladie provoquée par les maléfices

[5]Addition harmonieuse de sept légumes en petite quantité pour la soupe

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