Le bonheur

Publié dans Le Progrès social n° 2568 du 24/06/2006

L’augmentation du niveau de vie, les modèles présentés dans les séries télévisées de richesse, d’amour tendre ou passionné, le miroitement des rêves possibles ont permis de hisser au numéro un des revendications, celle du bonheur. Chacun en a une vision propre. Cependant les femmes et les hommes, en majorité, restent persuadés que le concept de bonheur est intégré au fatum, ce destin attaché à l’humain de sa naissance à sa mort. Voilà une donnée théologique où l’omniprésence divine et sa toute-puissance organisent un tri et choisissent les ayants droits. Les voies du Seigneur, dit-on, sont impénétrables. Cela signifie t-il que l’activité ou la passivité ne tient aucune place dans le devenir des individus ? La grande disparité des conditions fixes d’existence ( la naissance, le pays, la famille), quand elles sont dysfonctionnelles tracent une ligne de partage entre les uns et les autres, mais n’empêchent pas qu’à l’intérieur d’un même groupe en difficulté quelques-uns uns bénéficient d’un certain bonheur : c’est dire là sa complexité.

Les sociobiologistes pensent que la programmation génétique prédispose à l’attachement familial (une des bases du bonheur) et que le principe de loyauté serait relié au nombre de gènes partagés. Ainsi le frère aiderait plus volontiers sa sœur que la cousine. Dans ce cas le contexte culturel n’aurait aucune prise sur les liens alors qu’il influence l’intensité et la direction de l’attachement. Les nombreux types de structure familiale ( polygame, monogame, matrilinéaire, patrilinéaire) génèrent des sentiments qui font naître des relations et des attentes de différente nature. L’intimité familiale n’est pas le prototype de la stabilité intérieure. Il existe des familles chaleureuses, stimulantes mais aussi des familles qui fonctionnent dans la menace constante. « Ceux que nous aimons ont le pouvoir de nous faire le plus de mal. » La famille peut rendre heureux ou malheureux. Pour qu’elle permette l’accès au bonheur, il faut que ses membres aient un but commun : que les parents dispensent des formes d’éducation que les enfants acceptent ainsi que le style de vie basé sur des valeurs reconnues par tous. L’intégration de ce système de pensée rend possible une communication satisfaisante, normée, visant à l’harmonisation des intérêts de chacun qui, par ricochet, créent une base affective stable. Entretenir des liens étroits devient incontournable autant que l’entraide et la solidarité parce que ces valeurs dans l’enfance ont été énoncées, jamais refusées. Au sein de ces familles, l’encouragement à développer ses aptitudes et ses buts individuels est une évidence. L’individu est l’historien de sa propre existence. Le poids émotionnel des souvenirs d’enfance détermine en grande partie l’adulte qu’il deviendra, ses comportements, ses modes de pensée. Mais comment maîtriser le cours de l’existence, garder le contrôle des expériences vécues ? Il y aurait-il des dispositions particulières au bonheur ? Acquiescer à l’égalité des chances serait se donner bonne conscience. Tout le monde n’a pas le même possible face à des évènements inattendus. La capacité à tirer profit de la vie dans des situations susceptibles de provoquer le désespoir se retrouve chez ceux qui peuvent transformer les tragédies en expériences stimulantes pouvant faire émerger un nouveau but clair, bien défini qui rend caduc les choix contradictoires et secondaires. Telle l’angoisse qui est un moteur ou un frein selon la personnalité. Cet affrontement des nouveaux défis amène à une découverte fondamentale non connue car non perceptible en situation ordinaire : celle d’un remaniement ou d’une création d’une existence neuve source de fierté. Mais ceci est conditionné par trois principaux critères : accepter ses limites en essayant de les dépasser, essayer de changer les situations déplaisantes, être tolérant envers les autres et envers soi-même. Quand survient la tragédie, la priorité des priorités consiste à faire face au stress et à mettre en route des stratégies de gestion. L’adaptation est une conséquence des attitudes personnelles et environnementales. La ressource du soutien social n’est pas négligeable, la famille solidaire apporte un réconfort moral quelque fois financier trouvé aussi auprès de l’aide sociale publique. Les ressources psychiques ( niveau scolaire, personnalité, intelligence) entrent en grande partie dans les stratégies d’affrontement et rétablissent plus promptement l’équilibre rompu. Par exemple en cas de perte d’emploi, la réévaluation des priorités est capitale, son action débouche sur une réorientation autorisant l’acquisition de nouvelles aptitudes. Ce sont les capacités psychiques qui permettent de rebondir rapidement et à faire que la souffrance ne soit pas intolérable. Quelques données de base sont nécessaires à cette  transformation. Il faudrait :

  • Renoncer à orienter son énergie vers la maîtrise de l’environnement mais la concentrer sur la manière de composer avec lui
  • Porter son attention sur l’extérieur, signe d’une attitude d’ouverture et de grande objectivité
  • Rechercher de nouvelles solutions en enlevant l’obstacle qui empêche la réalisation du but poursuivi en vérifiant la pertinence d’autres buts.

Certains parviennent à une harmonie totale en investissant dans d’autres centres d’intérêts quand le milieu professionnel déçoit, ils optent pour le resserrement des liens familiaux ou la pratique d’une activité secondaire gratifiante, sport, association. Ils démontrent leur perméabilité psychique aux possibilités créatrices de bien-être et de confort moral.

La question de la recette du bonheur est portée en permanence à l’adresse du psychothérapeute comme si son expérience de prise en charge de l’âme humaine le rendait détenteur des clefs ouvrant des portes derrière lesquelles se trouveraient la jouissance, l’absence de souffrance, la solution de tous les maux. La déraison couronnait le Prozac, un antidépresseur, sur le trône de la pilule du bonheur. Ses effets secondaires ont temporisé un engouement grandissant relayé par tous ces ouvrages prometteurs d’un «  prêt à mettre en pratique », facile, sans efforts à accomplir. Finalement le bonheur c’est quoi ? Un état de plénitude total, une satisfaction de tous les désirs, une accession à la toute-puissance des divinités ? Il ressemblerait alors à un idéal impossible à atteindre ! Sa notion de degré se perçoit au quotidien dans l’inventaire des petits et des grands bonheurs. Il ne saurait advenir sans une profonde implication dans l’accomplissement des actions, sans se donner des buts émanant d’une décision personnelle et se concentrer sur la poursuite de ces buts. On voit poindre là un élément important qui réside dans le sens à donner à sa vie. La tournure qu’elle emprunte s’oriente dès lors vers un projet de vie bien identifié, un engagement sans ambiguïté à travers une relation mutuelle entre effort et but ; une volonté d’harmonie vers laquelle tendraient les buts. Le bonheur entrevu de cette manière serait une série d’apprentissage où des corrections à apporter surgiraient en fonction des embûches rencontrées, tentative de maintien d’un équilibre intérieur et d’une humeur constante. Il ne saurait se fixer définitivement en chacun, mais serait modulé au fil des évènements extérieurs et de leur incidence sur la psyché.

Qu’est-ce qui empêche d’être heureux ? Les interdits énoncés ou non dits dans son milieu familial ou son groupe d’appartenance : « Tu ne mérites pas, tu n’as pas droit », les buts contradictoires et les possibilités d’action incompatibles quand les pensées sont en opposition avec les actions, la cacophonie des croyances, des valeurs, des choix disparates synonymes de désordres et de confusion. S’autoriser à être heureux dans une société qui n’offre rien sur le plan culturel à ses membres en attente de mise en valeur de ses potentialités, est un véritable exploit. Mais est-ce une raison pour ne pas être en quête de bonheur combien même serait-il fugace fugitif ? Les mots qui lui conviennent le plus sont : estime de soi, décision, tolérance, harmonie, satisfaction.

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