Le nom du père

L’hégémonie maternelle a relégué le père au second plan ou même l’a jeté aux oubliettes, autorisant la société à le juger sévèrement. Combien d’hommes sont encore accusés de ne pas assumer une pleine paternité alors que le législateur permet de l’officialiser par une reconnaissance. Le nom, la filiation d’un enfant né hors mariage est aujourd’hui possible. Un homme marié peut s’il le désire faire d’une fille ou d’un fils son héritier au même titre que l’enfant légitime. 

Les appellations de bâtard, demi-sœur ou demi-frère, déversés sur une progéniture qui n’a pas demandé à naître, sont autant de blessures d’amour-propre traînées tout au long d’une vie. Le concubinage, père présent dans la maison, n’obligeait nullement une reconnaissance que la belle-mère n’approuvait pas. Parfois les filles continuaient à porter le nom de la mère, soulignant là une unique filiation, tandis que les garçons étaient reconnus afin d’assurer la continuité de la lignée. La fille était souvent barrée du désir paternel par le seul fait que des épousailles effaceraient le don. Le nom au mérite établissait une frontière entre des enfants porteurs d’espoir d’ascension sociale et les autres. Celui qui entreprenait des études bénéficiait de ce privilège avant le départ ou au bout de deux années d’études supérieures, prouvant sa capacité à être digne d’un père sans qualités ni profession prestigieuse. Cela ressemble fort à une volonté inconsciente d’être réparé, mais aussi à signifier publiquement que l’intelligence serait un héritage paternel : chose pensée par la belle-mère, dite les jours de confidences. 

Quand après des années de cohabitation le couple s’unissait par le mariage, les enfants étaient légitimés. C’est dire comment le nom du père souscrivait à une valorisation optimale. Privilège, mérite, des mères ne reconnaissaient pas les enfants, attendant que le géniteur se décide. Elle leur octroyait deux prénoms à défaut de nom. Quelques pères après longtemps, très longtemps se sont rendus en mairie faire le nécessaire que découvrait l’enfant lors d’une demande de fiche d’état-civil. Comment endosser une appellation qui ne faisait pas se retourner le non habitué au cadeau donné en secret ? Quelle était la fonction de ce secret ? Ne point déplaire, ne point mélanger son sang, (le blanc créole perpétuait la tradition en la croyance d’une lignée au sang pur), ne point assumer une paternité inattendue. La pluri paternité de la misère devenait le dévoilement des manquements. Absence de communication, de contraception, d’informations, d’égalité, un système dont l’origine était une construction ancienne, violente, de l’utilisation des corps de femmes et d’hommes. Ainsi l’enfant était rattachée à la mère, l’utérus en attestait sa véracité. « Tu es sûr de ta mère, tu n’es pas sûr de ton père » Le père est incertain. 

Père réel, père symbolique

Naître sur l’habitation impliquait de faire partie du cheptel du colon. Les enfants noirs, métis, sang mêlé ou peau chapé appartenaient au maître qui pouvait les séparer de leur mère, les vendre, les prêter. Il était seul décideur de leur destin, leur autorisant une scolarité, une place de contremaître ou leur concédant une part d’héritage quand la stérilité de sa femme le privait de descendance. Le père symbolique était blanc. Aucun homme réduit en esclavage n’assumait une paternité combien même sa semence d’homme étalon laissait supposer une nombreuse progéniture. Il n’en avait ni les moyens, ni les prérogatives. 

Démuni face à la possession du corp féminin, incapable d’assurer sa défense, chosifié lui-même, il a occupé peu d’espace dans l’imaginaire de celle qui l’a remisé au registre de la dette. Elle lui en a voulu et l’a banni de son désir d’autant plus que les références aliénantes, s’il s’en faut, tendaient à valoriser les traits phénotypiques proches de ceux du maître. L’aliénation a forgé la situation paradoxale de la femme séduite et violée. L’homme noir miniaturisé, déprécié, a été évacué des lieux ordinaires où se tiennent les pères. Subsistent encore des postures révélatrices de traces mnésiques laissées par cette histoire douloureuse. Rien ne s’hérite tant que le bannissement. Le père réel est partout et jamais à sa place et chercher sa maison équivaut à la perdre. Tantôt héros paré d’or, tantôt en guenilles, on ne lui a pas octroyé un statut au contour définitif. Quel est pour l’enfant la représentation du père ?  A-t-il le droit de se dire : « A quelle histoire j’appartiens ? ».

Les postures maternelles

La filiation peut être la résultante d’un processus impliquant à la fois le biologique, l’affectif, le symbolique, le juridique. Le foyer monoparental est une structure qui donne accès à la réflexion sur la place centrale de la question des origines dans la structuration de l’individuation et du sentiment d’appartenance. Pour qu’un enfant puisse construire son identité, il faut qu’il puisse reconnaître sa double filiation et la part des différents acteurs lui ayant permis de naître. Dans la culture antillaise, le çà ne se parle pas. La grossesse est presque toujours un accident même chez le couple marié. Rarement programmée son annonce suscite des sentiments mitigés selon les circonstances. Le rejet de sa prise en charge par l’homme peu soucieux d’une couverture contraceptive qu’il estime relever de la seule décision de la femme, justifie une fuite. Elle lui fait un enfant dans le dos affirme t’il. Selon ses convictions religieuses, sa condition sociale, son désir inconscient de continuer la relation amoureuse, elle fait le choix d’avorter ou de garder le bébé en gestation. L’API (allocation parent isolé) est versée à toute maternité célibataire durant trois ans à condition que le géniteur soit banni d’une paternité qui l’autoriserait à reconnaître l’enfant, le nourrir, et nouer une relation continue par sa présence. Le juridique vient là, conforter un dispositif historique singulier qui sépare. L’entente entre les deux géniteurs de se plier aux règles restrictives de l’API, pour des raisons financières, et de décider que la reconnaissance paternelle soit actée à l’âge de trois ans, n’aboutit presque jamais. Les conflits, puis la séparation privent l’enfant du nom du père. 

La rumeur qui clame que les femmes font des enfants afin de percevoir des allocations, est dénuée de fondements. Quelques-unes par excès de fierté refuse d’entamer un procès pour reconnaissance de paternité, d’autres capables d’assumer seules l’éducation n’admettent jamais le manque de communication et de dialogue avant l’évènement. Parler du désir d’enfant est impensable, et il est plus facile de rejeter la faute sur l’irresponsabilité et la lâcheté du partenaire. L’irresponsabilité, en fait, tient à l’absence de préservatif, mais elle est d’un côté comme de l’autre. Quand un homme ne veut pas d’enfant, il se protège. S’appuyer sur la seule pilule contraceptive s’ancre dans les méandres d’un désir contrasté. Ne pas vouloir clairement d’enfant mais espérer une fertilité qui viendrait cautionner une virilité toujours en doute, cohabitent dans son fantasme.

Les incidences de la non-reconnaissance paternelle

Le père est le tiers séparateur qui signifie à l’enfant que sa mère ne lui appartient pas et que la triangulation (relation à trois), est une nécessité qui vient signifier l’interdiction de l’inceste. La fonction paternelle sera alors portée comme marque par le sujet selon que le nom de famille sera ou non le nom de son père. Le père est porteur de la Loi donc de l’interdit. De là à penser que l’absence de père génère des hors la loi, des délinquants, des turbulents, relève d’une méconnaissance d’une réalité de substitution. Être mère et père à fois oblige à une construction originale permettant une intervention intrapsychique assurant l’imposition de la loi. Dans les cas de monoparentalité, où se situe la loi ? La loi est comprise dans la parole de la mère. Il suffisait d’un regard, pour maintenir l’enfant dans l’obéissance et le respect. Le non maternel était rarement transgressé, il établissait le permis et l’interdit. Le phénomène de délinquance a augmenté à partir du moment où les défections maternelles sont apparues pour des raisons diverses, rompant les digues des barrières contenantes. Sans demandes d’aide éducatives, les ménages ont accumulé les carences de toutes sortes jusqu’à démissionner de leur fonction première. La modernité et son lot de besoins inassouvis a désaccordé un système qui avait fait ses preuves. 

La reconnaissance par le père véhicule des signifiants refoulés. L’enfant peut vivre cette absence du nom comme un rejet, un abandon, un refus d’inclusion dans une lignée. Il peut l’attribuer à son manque de séduction envers ce père comme une assignation coupable, une faute commise que l’on retrouve dans les symptômes abandonniques. Pas assez beau, pas assez attractif pour plaire ! Le délaissement exacerbe des blessures narcissiques étalées sur toute une vie, limitant le devenir affectif. Comment aimer quand on n’a pas été aimé ? La recherche d’une figure paternelle est une entreprise douloureuse jalonnée de déceptions et de frustrations dès lors qu’elle est pétrie d’attentes, pleine d’exigence. La souffrance s’exprime sous forme d’accusation comme dans la chanson : « papa ou pa té jan là », impensable il y a quelques années. La chose restait secrète, il ne fallait pas en parler, ce serait ajouter au silence des mères et à leur acceptation. 

Quand d’aventure, la présentation de d’autres enfants bénéficiant du nom du père, accentuait le rejet supposé, l’envie de dévoiler l’histoire de sa naissance peuplait les nuits. Partis à la recherche du père, certains se sont heurtés à une souffrance intolérable d’une deuxième indifférence. Longtemps le sujet a été nié, balayé d’un revers de main car tous les enfants savaient d’une manière ou d’une autre qui étaient leurs géniteurs, répondait-on. Est-ce si simple ? Un aspect positif s’aperçoit chez ceux dont la non-reconnaissance paternelle est un moteur. Le dépassement de soi, la réparation maternelle, le choix d’une famille unie et aimante sont des éléments de reconstruction échappant au phénomène de la reproduction inconsciente. Souffrir d’une situation et l’identifier, aide à trouver des moyens nécessaires à sa résolution.

Fait à Saint-Claude, le 30 mai 2022

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