Après le carnaval 2020, manifestation de toute splendeur, l’annonce du confinement a dans un premier temps, généré de l’incrédibilité. Le moment de sidération passé, la réalité obligée d’une organisation, a allongé les files d’attente devant les magasins d’alimentation. La culture du cyclone avait enseigné les gestes et les produits de survie. Cette fois, l’enfermement édicté n’avait point besoin de consolider portes et fenêtres. Il obligeait à respecter la règle d’une sortie d’une heure, consignée dans une attestation. La nouveauté du confinement résidait dans le sentiment d’être libre/enfermé. En prison la geôle contient les corps par ordonnance juridique avec une durée connue. La chose est claire. Là le contexte de la pandémie maintient les personnes à l’intérieur du domicile et selon la stagnation ou l’avancée de la contamination, la décision gouvernementale prolonge l’isolement de façon graduelle comme pour créer un conditionnement. Si la durée de deux mois avait été énoncée tout de go, le risque aurait été d’aller à la rencontre d’opinions défavorables. Quelles certitudes autorisaient d’envisager la persistance du coronavirus ? De quelle science se réclamait-on à l’écoute des hypothèses contradictoires du défilé de spécialistes dans les médias, il y en a eu beaucoup, vraiment beaucoup, pour empêcher le franchissement des seuils. Alors de façon graduelle, à l’évaluation (pour faire intelligent), les quinze jours s’ajoutaient aux précédents quinze jours, expérimentant l’accommodation ou l’habituation, face au danger extérieur.
L’évidence du désordre psychologique observé, l’augmentation de troubles de toutes sortes, la montée de la violence, l’apparition de nouvelles pathologies, ont bouleversé des vies. L’impact à des degrés divers, a eu une influence sur le sentiment amoureux d’une population jeune, avide de contact et de rencontres.
Les conséquences chez les jeunes
La montée du désir sans captation des silhouettes croisées pour nourrir le fantasme et le rêve, a orienté vers le choix virtuel d’images excitantes. L’utilisation de vidéos pornographiques de manière presque addictive facilite le toucher solitaire à défaut de l’accès libre à l’activité sexuelle à deux, puisque la pandémie fait porter sur la relation le poids de l’angoisse de mort.
La contrainte de l’isolement selon la personnalité, l’âge, les croyances parentale, ont eu un impact différent. Les plus prudes, soumis à la rigueur morale placée sous le sceau de l’interdit sexuel, ont ressenti cette préoccupation angoissée vis-à-vis de leurs corps. Malgré l’évolution, les conséquences paradoxales subsistent à propos de la liberté des mœurs. Si elle a pu favorise pour certains l’accès libre de la relation à l’autre, elle n’a pas pour autant supprimé le conflit. La pratique sexuelle libre et précoce inscrite dans l’abolition apparente de la culpabilité et de tabous, relève plus de l’adoption d’un idéal du moi collectif que d’une véritable évolution psychique maturative. Le face à face permanent, durant de longues semaines avec les parents, et ce secret de la fréquence coupable, addictive, aux sites pornographiques générant l’excitation, ont fait parfois naître l’idée d’une trahison de la bonne éducation dispensée et de leur confiance. Le délit de temps en temps ne pèse pas du même poids que celui qui est répété, réitéré, en toute conscience.
La permanence de la présence, surtout du regard maternel, induit un sentiment de mal-être. Les garçons sont plus concernés que les filles qui investissent dans l’intime par le biais d’envois de SMS érotiques. Cette expérience du confinement, prive de l’investissement d’une réalisation envers une personne, puis l’engagement dans un autre différent de soi, permettant d’accéder à la libido. Antérieurement ont préexisté des mouvements faisant alterner l’intérêt pour les autres et le repli sur soi. Avant la rencontre avec l’ami(e) de cœur les préoccupations concernent le corps et sa capacité de séduction. Ces interrogations anxieuses dissimulent la peur de ne pas être à la hauteur. Le corps occupe chez l’adolescent une place essentielle à la croisée de l’intime et du relationnel.
Le déconfinement n’a porté aucune amélioration dans les retrouvailles avec le monde extérieur, puisque la distanciation a obligé la réduction des rapports sexuels. Interdit de drague, de flirt, d’approche. Même masqué, l’autre reste suspect de contamination. Comment sourire avec les yeux, transmettre un compliment par le regard ? Une photo immortalise la difficulté : deux personnes jeunes, approchant les lèvres presqu’à se toucher, se dévorant des yeux, visages masqués. L’incompréhensible barrière contre l’amour !
Les étudiants qui le pouvaient sont retournés chez leurs parents, échappant à l’enfer de la solitude et du dénuement financier, perdant en contrepartie leur indépendance. La privation de rapports sexuels les a ravalés au stade infantile quand les relations sociales n’étaient pas encore de leur âge. Pour quelques-uns, l’approche de l’aimé, comme une inquisition a été malvenue en ce temps d’immobilité. Mais l’heure de loisir quotidienne relevait d’une liberté suspecte. Le maintien du lien pour les peu bavards et les adeptes de l’écrit minimaliste, n’a pas été facile.
Certains ont bravé l’interdit en se retrouvant toute la nuit, conscient de la sanction qui pourrait s’ensuivre. Comme dans une conduite ordalique, la réassurance d’une protection divine, les a confortés dans l’absence de contravention donc de renouvellement de l’expérience. Le temps d’adolescence est une étape importante où se joue la confrontation du désir et sa gestion, la valorisation narcissique d’être aimé et accepté, la capacité à gérer la frustration. Et cet essor amoureux entravé, vécu comme liaison dangereuse, peut contribuer à une désorganisation de l’ordre de la dévalorisation de soi et du fonctionnement sexuel.
Une des conséquences de la dévalorisation de l’activité de la pensée, est une perte du plaisir à penser. Pour bien comprendre ce qui se joue là, c’est que la sexualité désinvestie semble provoquer une séparation entre le corps propre et le plaisir ou l’absence de plaisir. Il en résulte un déplacement des conflits sur la sphère intellectuelle générant une inhibition intellectuelle accompagnée d’une déprime exprimée. La perte du fonctionnement sexuel est vécue comme un manque, une absence d’intégrité qui ébranle le sentiment de soi et retentit sur le narcissisme.
Les conséquences chez les adultes
La répercussion du confinement sur la sexualité a mis en relief des registres différents selon l’âge, la durée de la vie à deux, les conflits existants. La fragilité du couple s’est accrue durant cette période où il n’a pas été possible de faire comme si. Le tête-à-tête permanent a altéré, modifié, diminué ou compliqué les relations sexuelles. A part les rares augmentations des rapports avoués, le désir s’en est trouvé modifié, plus dans le sens de l’insatisfaction réciproque. Quelques personnes voulant profiter de l’enfermement ont mis en acte le projet de vivre ensemble en vue d’expérimenter l’avenir. Ceux qui en parlent décrivent un fiasco d’une espérance duelle. L’obligation d’une présence jusqu’à saturation a contrecarré l’initiative du rapprochement des corps. La limitation des sorties a condamné l’infidélité à résidence surveillée. Le rejet du partenaire officiel a été une réaction non contrôlée ; gommant toute diplomatie habituellement déployée en temps ordinaire. Les violences ont démontré que la détresse et l’ennui ajoutés au stress abolissent toute tolérance à l’égard d’autrui quand la frustration s’empare de ce qui est décidé pour soi, son unique satisfaction personnelle.
Le franchissement du seuil n’a pas amélioré cette attitude embourbée dans la rancune du mépris montré, comme rendant l’autre responsable de la sortie interdite. La sexualité occupe une place prépondérante dans la vie du couple, son absence génère de nouvelles modalités d’actions. La pratique du sexe en ligne pour les célibataires a maintenu le désir, l’habillant d’une sorte de satisfaction pour le préserver en vue de la fin de la pandémie. L’espoir d’une rencontre prochaine a modulé une pratique oubliée touchant l’ouïe, exaltant une sensation remisée aux oubliettes. Le flirt, qui est une posture adolescente, a donné relief à une nouvelle découverte de l’autre : l’écoute, les silences, les soupirs, le partage du quotidien vécu et l’attente fébrile de la sonnerie du téléphone. Le célibat a gagné en vibrations intimes de communication ininterrompue.
Sur l’autre rive se révèle ce que les canadiens appellent l’apocalypsing. Ce besoin irrépressible de trouver l’amour coûte que coûte, à s’accrocher au premier venu, à vouloir vivre un roman d’amour exceptionnel, décidé vaille que vaille à vaincre la mort omniprésente dans le conscient. Le premier qui hasarde un compliment sur le net dans le réel doit être le bon, parce qu’il répond à d’énormes besoins affectifs, comblement d’un manque infini dont l’objectif est d’apaiser l’angoisse. Mais vouloir vivre à tout prix en se donnant l’impression d’être en vie, penser déjà à la couleur du marbre de la cuisine quand l’autre se trouve dans l’attente de mieux se connaître, débouche sur une déception.
Le coronavirus est le révélateur de la nature humaine. Face à un danger qui menace, l’imaginaire oriente les postures en matière d’investissement de soi et de l’autre, mettant en relief un équilibre imparfait, où, manque, peur, rejet, doute s’entremêlent autour du désir omniprésent dans un élargissement de soi ou de son refus.
Fait à Saint-Claude le 28 février 2021