France : pourquoi tant de haine

La Guadeloupe a changé de teinte. Du mois de juillet au mois d’août 2021, le vert signalant le taux de contamination virale a viré au rouge. Cette codification colorée permet si le seuil d’alerte est dépassé de prendre les mesures sanitaires de protection qui s’imposent. Le vert symbole de la nature, est un indicateur de bonne conduite de la part des populations, qui ont contribué à mettre un frein à la propagation du virus. Dès la teinte orange, une analyse de la situation, et un rappel à la vigilance peuvent dans certains cas éviter d’atteindre le redoutable et redouté pic rouge voire rouge écarlate du danger de la reprise de la pandémie. C’est là affaire de prévention.

Département français très bon élève en la matière, ayant échappé aux successifs reconfinements drastiques imposés en France et en Martinique, sans explication autre que cette réticence à la vaccination, le voilà fustigé de toutes parts, sa population accusée d’être responsable de la situation de tourmente d’une quatrième vague, sans avoir subi la seconde et la troisième, hormis une limitation de dix kilomètres. La communication d’un tel taux d’incidence par les autorités n’a jamais cessé de mettre l’accent sur la responsabilité des iliens peu soucieux des règles sanitaires, augmenté de la venue des vacanciers avides d’embrasser la parentèle. Les touristes au nombre de 30.000, sont écartés de la cause de la propagation. Ce dire n’est pas nouveau, il est la reprise du discours du mois de février 2021 quand l’île avait reçu 38.000 touristes qui mangeaient sur la plage, s’y allongeaient, avaient des difficultés à admettre le masque à l’hôtel se plaignant de l’insupportable chaleur.

De plus, le Guadeloupéen a le taux vaccinal le plus bas du monde, cela leur est martelé en permanence. L’exercice de la lecture et des éléments comparatifs disent le contraire. Le monde ne se résume pas à la France dont le pourcentage de vaccination est de 51%, après un long temps d’hésitation. A écouter cette voix accusatrice, la contamination pourtant en hausse en même temps dans plusieurs pays, n’existerait qu’ici. « Le vaccin du refus », (H Migerel du 12 juillet 2021) et « La peur » (H Migerel 17 avril 2021), ne cessent d’expliquer les comportements vis-à-vis de cette injection génique (ainsi nommée par des experts). Si la propagation du variant delta est dû à l’entêtement à ne pas prendre la piqûre dans le bras, pourquoi il n’est jamais évoqué l’importance du lavage des mains dont ne peuvent bénéficier ces personnes privées d’eau depuis des années, à telle enseigne qu’au plus fort de la première vague de la pandémie, un préfet avait pris la décision de faire ouvrir les vannes des réserves d’eau. Qui s’en souvient ? D’aucuns, après-coup, dans un communiqué avait repris cet acte humanitaire à leur compte. Agie dans le contexte de l’urgence, la situation est redevenue comme avant.

Les gestes barrières garants de vie sont : le port du masque, la distance et le lavage des mains. L’avancée des connaissances scientifiques a récemment admis que les vaccinés autant que les non vaccinés n’étaient pas à l’abri de la transmission du virus donc de la contamination. Cette nouvelle donne va, peut-être, modifiée les attitudes de toute-puissance de personne se croyant sorti d’affaire définitivement. Le lavage des mains est souvent négligé par manque de cette fourniture liquide dans les robinets. Tout le monde le sait. Cependant le paradoxe reste d’un emploi courant depuis l’avènement du Covid 19. Les parents qui émettaient le refus d’envoyer les enfants à l’école où il n’y avait pas d’eau, recevaient en guise de réponse : « L’école est obligatoire ». Voilà le modèle appelé double-bind, d’une situation qui peut rendre l’autre fou. La désobéissance procède à la sauvegarde de l’intégrité psychique. Pourquoi n’avoir pas mis des citernes en milieu scolaire et permettre la continuité de l’apprentissage ? Personne ne peut affirmer que c’est une question de coût. L’absence d’eau participe à la propagation du virus. Qui osera dire le contraire. Il fallait commencer par là.

L’étalement de la haine

Le terme étalement a été préféré à celui de déferlement afin de temporiser les esprits révoltés par tout ce qui a été dit. La naïveté qui voudrait croire à la méconnaissance ou à la maladresse, ne réussit pas à mettre un baume sur les blessures ressenties. Un médecin invité sur une chaîne de télévision en France, affirme que le bas taux vaccinal Outre-Mer est dû à l’ingestion de rhum en guise de médicament, doublé de pratiques vaudou. La croyance en ces deux protections et de leur utilisation serait la cause majeure du refus de l’injection. Ces affirmations ont heurté de plein fouet les personnes dont l’Outre-Mer est la terre natale qui par le truchement des réseaux sociaux ont réagi comme s’il avaient oublié la représentation qu’a la France des ultras marins. Les stéréotypes ont surgi publiquement, ne pouvant plus être contenus. Mais qu’est-ce qui fait sens dans cette haine dite et écrite ?

La haine est un processus par lequel l’autre peut être reconnu comme autre, et la réalité comme réalité. Un objet satisfaisant qui ne se distingue pas de soi reste subjectif. Pour passer à la reconnaissance de l’autre, la frustration est indispensable, car elle suscite colère et attaque qui vont permettre un mouvement de séparation. Ainsi le mauvais est localisé au dehors autorisant à garder un bon dedans et ceci en lien avec une réalité justifiée par les circonstances. La crainte d’un retour à une relation égalitaire démontre que des failles narcissiques identitaires existent chez le sujet haineux : il a peur de perdre les limites de son moi, peur de la confusion moi/non moi. L’autre est alors reconnu dans un refus d’être un semblable et enrobé de haine. La conviction d’une supériorité apprise et/ou transmise renforce le rejet en la croyance d’une domination déguisée par une soi-disant bienveillance.

Comment oser refuser ce qui est offert de façon altruiste, mais comment par désobéissance, c’est à-dire par révolte oser tenir tête au pouvoir ? L’ingratitude est un vocable trop léger, il faut alors puiser dans les mots blessants : l’ingestion d’alcool qui fait perdre tout contrôle, les cultes religieux, ignorant que le catholicisme a aussi ses cultes, l’illettrisme qui renvoie à l’incapacité d’apprentissage. La culture pensée supérieure et dominante exhale sa haine diluée au quotidien dans les actes anodins. Comme les veneurs dans la chasse à courre, l’hallali est sonné en vue du dernier assaut, mais l’animal tient tête à la meute. Le journaliste dont l’invité a déversé sur un plateau télévisé de telles inepties participe aussi à la représentation discriminante. En France n’y aurait-il aucun spécialiste des Antilles capable d’être interrogé sur le sujet ? Mais il aurait aussi pu penser à l’outil informatique usité par-delà les mers de façon très fréquente, en échangeant avec des experts ayant traité le sujet. Aujourd’hui n’importe qui peut raconter n’importe quoi sans oser dire je ne sais pas. Ce serait pourtant faire preuve d’intelligence. Cependant doit-on à tout prix questionner l’invité sur un sujet qui ne fait pas partie du domaine de ses compétences en le mettant dans l’embarras ? Est-ce pour combler la vacuité de ses propres connaissances ou pour l’amoindrir ? L’exemple du professionnel du tourisme répondant à l’analyse demandée du bas taux vaccinal ne se rend même pas compte que cela pourrait être une façon inconsciente de l’humilier.

Dans la haine, la donnée que l’on doit gérer et négocier se trouve dans la conviction que le bon c’est nous et le mauvais tout ce qui n’est pas nous. Frustration et déplaisir mettent en évidence la butée du réel de l’autre au niveau de l’inacceptable. Mais alors comment continuer à se sentir bon quand on est envahi par la haine ?

Quelles sont les incidences de la haine, cercle vicieux qui attaque les identités, pousse à la destruction ? Les répercussions de toutes les défenses narcissiques qui se posent, efficaces pour le haineux en matière de jouissance et nocives pour les autres qui sont obligés de gérer des situations de déplaisir qu’ils n’ont pas cherché et auxquels ils n’ont pas été préparé, dont les réactions ont été déclenché par autrui, sont imprévisibles, si elles n’arrivent pas à être apaisées. Acculés, ils n’ont pu esquiver les attaques que par des parades de retour du refoulé : l’ignominie de la privation de liberté du temps de l’esclavage. « Rien dans la vie psychique ne peut se perdre, rien ne disparaît de ce qui s’est formé, tout est conservé d’une façon quelconque et peut reparaître dans certaines circonstances » Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation. Ainsi la haine poursuit son chemin dévastateur dans la défusion. Si l’illusion d’un changement de mentalité avait affleuré avec le temps, on se rend compte qu’elle n’a pas été corrigée dans ce fantasme de toute-puissance, car l’existence de l’autre n’a pas été prise en compte à part entière. Ce désillusionnement n’est structurant que s’il est lié à l’illusion d’un champ de rencontre et de partage possible soi/autre, sinon il dégénère en désespoir mortifère et en cynisme.

En visite en Polynésie, le chef de l’Etat a exprimé ses regrets au nom de la France pour les fissures causées à l’atoll de Mururoa, et de Fangataufa, lieux d’expérimentation de 193 essais nucléaires. Dans le même temps, il a évoqué la situation vaccinale du territoire en taxant les non-vaccinés d’irrespectueux et d’égoïstes. Comment parler d’irrespect et d’atteinte portée envers autrui face à une évidente violence envers la nature et envers un peuple ayant subi un tel traumatisme. La suprématie du pouvoir ne supporte aucune légitimité autre que la sienne, elle n’éprouve pas le besoin de l’échange, de l’écoute, du désir ou des peurs. Elle accuse en scotomisant ses propres comportements envers un lieu sacré la terre des ancêtres d’un peuple, méconnaissant ses signifiants, et se satisfait de regrets dans l’après-coup, en guise de réparation.

Dans le même schéma, une soignante arrivée pour prêter main forte à l’hôpital à cause du rebond épidémique, probablement déprimée, raconte dans une vidéo les conditions de patients assis recevant de l’oxygène dans un état de grande détresse et l’insupportable mot d’ordre de groupes nationalistes responsables du refus de vaccination des populations. Si elle était employée dans un service de médecine de son hôpital de tutelle, le choc causé par la réanimation covid a dû être rude. Sans préparation aucune, elle ne pourra pas tenir longtemps les soins en accélérés et l’évidence de ne pouvoir retenir la vie. Une sélection a certainement manqué dans le rang des volontaires au grand cœur qui spontanément ont volé au secours de l’ile sous équipée, à telle enseigne que l’expédition de tonnes de matériels s’avère nécessaire. Mais quelle est la nature de l’accusation portée s’agissant de groupes nationalistes, elle qui avoue ne jamais avoir fait partie d’une quelconque organisation ? Pourquoi parler d’elle dans un tel contexte de bouc émissaire désigné ? Les mots sont porteurs de la réalité psychique des sujets combien même l’addiction de leur image sur les réseaux sociaux (être star) motive leur démarche. Et insidieusement, dans le même ordre d’idée, celle qui raconte au journal télévisé qu’une de ses amies proches des syndicats n’ose pas dire qu’elle est vaccinée, alimente la mise en accusation.

En ces temps de souffrance et d’anxiété généralisée, alors que le chercheur s’accorde le luxe du doute, l’ignorant n’a que des certitudes. La pensée n’est pas d’essence rationnelle mais d’essence affective et le mode de pensée dépend exactement du mode de relation, instauré avec les autres.

 Fait à Saint-Claude le 15 août 2021

 

 

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11 commentaires pour “France : pourquoi tant de haine

  1. Bonjour et chère Hélène, merci, encore MERCI pour cet article qui donne des clés de compréhension des difficultés de communication auxquelles nous sommes confrontés dans ce contexte de crise sanitaire. Mes salutations respectueuses Myriam CHOLLET

  2. Mme Migerel est une femme très sensée et au fait de la culture Guadeloupéenne. Il serait bon d ouvrir le débat avec elle sur un plateau télé pour ainsi démystifier tout ce dont est accusé le peuple guadeloupéen. Ce peuple a déjà trop subi, il ne croit plus aux belles promesses et surtout pas en un vaccin salvateur!

  3. Merci Mme Migerel pour votre intervention qui m’apporte un peu de réconfort, je ne vous cache pas que je commençais à croire que nous n’avions plus d’intellectuels Avec
    de la jugeote en Guadeloupe . Merci, merci,merci. Je retrouve l’espoir.

  4. Face à cette crise sanitaire sans précédent, votre contribution me conforte davantage dans mes opinions.
    Madame MIGEREL vous êtes une Guadeloupéenne avec un talent remarquable.
    Un grand MERCI pour cet éclairage.
    J’espère vous voir très prochainement sur le canal de la télévision d’Etat.
    Toutes mes félicitations pour vos constats et analyses.

  5. Merci Mme Migerel. Avec vous toujours une posture SCIENTIFIQUE. Analyser. Argumenter. Critiquer. Sans jamais être moralisateur, ni donneur de leçons. Continuez à être comme cela, nombreux sont ceux qui vous suivent et cherchent votre parole.
    La chose qui ne dit pas son nom derrière tous les commentaires venus d’ailleurs.

  6. Excellent article qui pointe le doigt avec brio sur la fermeture du regard et de l’analyse dominante ou qui se pense légitime. Je suis triste de constater que l’humanité n’est pas plus avancée au XXIème siècle.
    J’aimerais lire de vous, même si quelques pistes sont données dans cet article, peut-être que c’est déjà écrit, une analyse sur l’obstination de tant des nôtres à braver le virus, refuser tout geste de protection.

  7. Mme Migerel merci pour votre courage et votre audace d’analyse pour donner votre point de vue dans ce contexte si complexe et volontairement diffu .vous rester bien accrocher à votre réalité sans tricher sur les détails qui otent la dignité de certains par des attitudes innapropriees et sectaires bon courage et bon travail chère Dame.

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