Surpoids, obésité, grossophobie

Les chiffres du surpoids et de l’obésité sont alarmants. Comment la traversée du temps a t-elle pu transformer et modeler les comportements alimentaires au point d’en faire un problème de santé publique ?
Le corps et sa représentation, car il s’agit là du physique qui se donne à voir à soi et aux autres, étaient intégrés dans une catégorisation précise. Celui de l’épouse et de la mère d’une nombreuse progéniture pesait plus lourd que celui de la jeune fille en quête d’un statut social. Le poids traçait une ligne de démarcation entre les catégories sociales, la fonction nourricière, la pauvreté et l’abondance. La femme forte et vaillante garante du bien-être de la famille, était fière d’avoir un bébé potelé signe de bonne santé relevant de bons soins. La minceur des jeunes personnes étaient une évidence mais pas la maigreur synonyme de fragilité, d’absence de force. Elle autorisait de lancer en direction surtout des filles : « Ta cuisine est toujours aussi loin de ta maison » ou « Tu ne manges que de la soupe à clous rouillés ». La future mère devait être prête à porter des enfants. Ni boulimie, surtout pas d’anorexie n’affectaient la population. Le corps d’homme, lui, n’était frappé d’aucun diktat ; on le recouvrait d’indifférence, il suffisait que celui de son épouse porte les marques d’abondance, de bien-être et d’épanouissement.

1960 est une année de la diffusion dans le monde de l’image du mannequin Twyggy, jeune femme androgyne, porteuse de l’idéal féminin qui impulse une mode d’une liberté absolue, en avant-garde du vêtement unisexe. La Guadeloupe n’a pas échappé à cet engouement faisant de l’extrême minceur un critère de beauté, à telle enseigne que les jeunes mères refusaient de donner le sein afin de conserver une poitrine ferme et désirable. Mais la société de surconsommation ajoutait aux caddies des supers marchés une nourriture abondante, accessible, créant l’illusion d’un Eden regorgeant de victuailles à portée de bouche. Les charriots débordants abolissaient les disparités sociales, nivelaient les distances. Les études ont démontré que les catégories sociales les plus défavorisées avaient un budget plus élevé pour la nourriture que les autres. C’est-à-dire que l’aliment était devenu un marqueur social dans le sens où il réparait les injustices financières, donnant assise à un fantasme d’égalité dans la psyché. La société de la misère tenait là sa revanche. L’ère de l’abondance s’est installée, reléguant aux oubliettes les principes de la cuisine/tradition tant sur le plan qualitatif que quantitatif.

60% des Guadeloupéens sont en surpoids, combien même la pratique d’un sport séduit les femmes.

Pourquoi manger est devenu un acte de dévoration difficile à contrôler, qui à un certain stade ne procure plus de plaisir ? Qu’est-ce qui fait sens dans cette contradiction d’une masse corporelle en progression et d’un désir d’une silhouette filiforme synonyme de beauté ? La nourriture constitue un refuge, un rempart, une communication dysfonctionnelle, mettant en relief ce que rencontre le regard. Mais c’est par-delà le corps qu’il faut rechercher et entendre la résonnance des causes de ce trouble alimentaire celui du grossissement de l’être qui prend de la place, occupe l’espace, autorisant une jactée d’anathèmes venant d’autrui, de tous les autrui, mêmes ceux touchés par le même état.
Les causes de la boulimie sont multiples. Ce trouble du comportement alimentaire se retrouve aussi bien chez les adolescents que chez les adultes femmes et hommes, tous âges confondus. Des pédiatres signalent un pourcentage d’enfants entre 3 et 6ans en surpoids. La cause dès le jeune âge trouve une explication dans les pratiques nourricières des parents qui ne refusent pas les choix des produits vus dans les publicités, mais aussi dans les rivalités que les grands-mères installent, en week-end et en vacances, où dans leurs robinets, ne coulent que de la limonade à l’anis ou du coca cola. A remplir la bouche des petits enfants de douceurs en continu, elles deviennent le symbole des nourritures affectives dont l’odeur et le goût remontent à la mémoire les jours de tristesse et de détresse adolescente (cf : « Mots de morne en miettes, la Guadeloupe l’âme à nu » Editions Au Caribéennes, 1991.)

Les causes de la boulimie s’inscrivent dans un registre de quatre volets principaux :

  • Neurobiologiques avec ses pathologies thyroïdiennes
  • Socioculturelles
  • Familiales
  • Psychologiques

De prime abord, s’aperçoivent des facteurs de vulnérabilité où l’impulsivité est apparente, semblable aux postures de prédisposition aux addictions. Les sujets atteints de boulimie ou d’hyperphagie boulimique présentent :

Des troubles dus aux traumatismes infantiles.

Une relation parent/enfant dysfonctionnelle engendrant un sentiment profond d’insécurité, assoit la réalité d’un enfant en absence dans le désir de sa mère, où le désamour imprime un manque, un vide impossible à combler. Prendre du poids correspond à vouloir être vu, reconnu, à crier son existence. Souvent le malaise parental est un héritage transmis de façon inconsciente.

Les problèmes d’identité sont des éléments perturbants quand l’adolescence impose ses transformations corporelles. La peur de la transparence du doute d’être fiché dans un genre mal défini, protubérances de la poitrine mal acceptées chez les garçons, surface velue chez les filles, créent une anxiété alimentée de violence et de dévoration. Manger, se rassurer dans la lourdeur de l’estomac, mais mordre aussi. Mordre c’est déchirer en engloutissant ce que l’on veut cacher.

Les traumatismes sexuels et ses viols incestueux ou non qui projettent l’enfant dans un monde impossible à aimer, quand l’adolescent ou l’adulte prend en grippe ce corps responsable de l’attirance de l’agresseur, s’obligeant à le gonfler de nourriture. On le punit d’avoir procéder à une séduction, habité par la culpabilité victimaire. Gros, il permet de maintenir la distance entre soi et les autres. Toutes les personnes ont des cercles concentriques autour d’elles, véritables barrières de sécurité à ne pas franchir. Par exemple la violence du schizophrène est incompréhensible pour qui pénètre ce périmètre. Le surpoids ou l’obésité abolit la proximité en niant la séduction.

Les personnalités anxieuses ont tendance à vivre des situations de stress permanent que la nourriture atténue sans les faire disparaître. Je prends 2 kilos dans un week-end quand je suis en colère et pourtant je n’ai pas le sentiment de manger beaucoup dit une dame, ignorant que le

 calme espéré n’est pas corrélatif au volume de nourriture absorbé.

 Les personnalités dépressives cherchent à échapper à l’ennui et à la morosité des jours. Se revivifier, exister, mettre du peps en dedans, sentir son corps autrement que corps souffrant.

Voilà étalée en partie la souffrance des personnes en surpoids et obèses, vie entrecoupée de crises, d’où s’est absenté le plaisir. Quand manger n’est plus un plaisir, la honte et la culpabilité orientent vers les calvaires de régimes du lundi toujours à recommencer. Les diurétiques, les laxatifs, deviennent obsessifs dans un essai de contrôle du poids. Les vomissements privent les dents de participer au sourire de la bouche parce que l’acide stomacal y a imprimé les marques de l’érosion. La faible estime de soi installe une haine envers le corps devenu préoccupation. Entre tentatives d’autolyse et comportements auto agressifs (scarification, négligence), les jours succèdent aux jours sans solution possible envisagée. Quelques-uns se dirigent vers un thérapeute dans un sursaut de révolte envers le monde entier, devenu de plus en plus blessant. La discrimination à répétition inflige des blessures narcissiques intolérables. La stigmatisation rabaisse les sujets à la condition de faibles, incapables de se contrôler. Nouveau par la dénomination, la grossophobie qui comporte des stéréotypes négatifs n’épargne pas le monde médical. Les remarques blessantes de certains praticiens n’incitent pas à la demande de soins. Les sujets ne veulent pas des regards méprisants et d’une absence d’écoute de leurs maux, le médecin se focalisant sur le poids et répétant qu’il constitue un danger. Comme solution, inlassablement, les propositions de chirurgie bariatrique reviennent comme un leitmotiv, à telle enseigne que les personnes ne veulent plus se faire soigner et se trouvent dans une précarité médicale, ce qui entraîne une aggravation de leur maladie. L’impression d’être hors soins, rejetés parce que le modèle exige de maigrir pour être heureux et en bonne santé, force à un isolement qui se partage avec la nourriture.

Combien même, pour les femmes, le concours de miss plantureuse a essayé d’évacuer le tabou du corps montré, les situations ou les objets rappellent que rien n’est pensé en fonction du poids et du volume. Les brancards qui cèdent les envahissant de honte, les fauteuils à accoudoirs, les fauteuils d’avion (pénalités de paiement de deux sièges), l’étroitesse de certains lieux de commodités, les appareils à tension non adaptés, les femmes et les hommes ont l’impression d’être sanctionnés pour le mal dont ils souffrent.

Des types de prise en charge proposent de l’aide :

  • Les thérapies de soutien analytique au long cours
  • Les thérapies cognitivo- comportementales (TCC) qui désamorcent les pensées négatives
  • Le EMDR ; les mouvements de yeux qui débloquent les mémoires et les émotions
  • La relaxation qui permet d’expulser les traumatismes emprisonnés dans la mémoire corporelle, socle du stress et de l’angoisse
  • Les thérapies familiales pour les adolescents.

Les informations grand public devraient distiller avec des images appropriées les éléments susceptibles d’accéder à une meilleure hygiène de vie. La décision de rembourser les pratiques sportives des obèses est remarquable mais ne semble pas porter ses fruits. Ne plus considérer l’obésité comme une maladie uniquement physiologique, et la traiter en tant que telle, mais aller voir ce qui se passe par-delà le corps est indispensable. Cela permettrait à certains de retrouver une part de leur humanité.

Fait à Saint-Claude le 04 mars 2023

Partager

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut