Publié dans Le Progrès social n° 2539 du 26/11/2005
Vieillir est un processus normal auquel personne ne peut échapper. Néanmoins l’égalité face au vieillissement n’existe pas. Quand il est réussi, forme idéale dont bénéficie une majorité de seniors, les maladies aiguës ou chroniques affaiblissent l’organisme et accède à la phase de récupération. En cas de fragilité, il faut entendre par là, réduction des aptitudes, la personne âgée passe de l’autonomie à la dépendance. Chez le sujet fragile tout prend une proportion démesurée. Pour qu’il y ait fragilité à l’évaluation il faut deux ou trois marqueurs augmentés de maladies. Ces derniers s’ancrent dans quatre facteurs :
- Les facteurs médicaux : poly médication, dénutrition, troubles de la marche et de l’équilibre, incontinence urinaire, troubles sensoriels.
- Les facteurs psychologiques : dépression, antécédents psychiatriques, médiocre perception de qualité de vie, dévalorisation de soi.
- Les facteurs cognitifs : syndrome confusionnel, troubles comportementaux, déclin cognitif (perte de mémoire, manque de concentration.)
- Les facteurs sociaux : confinement au domicile, isolement, usure des aidants, absence d’activités quotidiennes.
La fragilité est liée à l’estime de soi, aux éléments de la psyché, mais aussi à l’environnement et enfin à la qualité des soins. L’usure de la vie augmente la vulnérabilité et met en exergue la notion de risque : risque vital, psychologique, social. Les seniors fragiles se retrouvent en institution écrasés sous le poids de maladies associées avec une grande diminution des réserves adaptatives. Les paramètres âge, maladie, contexte de vie favorisent la perte d’autonomie.
Les hommes sont plus fragiles que les femmes sous toutes les latitudes. Le lieu de la fragilité se situe au domicile. Penga tombé ! gare à la chute qui est redoutée et redoutable. La fracture, la décompensation, le syndrome post-chute chez un sujet fragile va entraîner une cascade en chaîne d’alitement, d’escarres dus à la dénutrition. Toute la problématique du soignant sera d’enrayer l’évolution de la fragilité.
La prévention passe par trois axes principaux : celui de la dénutrition, de l’incontinence, de la poly médication. La prévention ne saurait s’entrevoir sans le dépistage qui sous-tend des consultations de spécialités gériatriques. Ce ne peut être qu’un rêve de gériatre dans l’état actuel du soin public et en Guadeloupe comment l’envisager quand ce département est celui qui accumule le plus grand retard s’agissant de la prise en charge des seniors ?
La consommation médicamenteuse est en croissance constante parce que ses bienfaits sont optimisés dans l’imaginaire. L’attente de soulagement des douleurs, de la souffrance morale, gomme les effets indésirables et les complications constitutifs à la plus lente élimination des cellules vieillissantes. Ils créent en plus une dépendance tels les benzodiazépines qui luttent contre l’anxiété et l’insomnie. Les pathologies oculaires sont plus fréquentes sous notre climat, les cataractes, les glaucomes alors que la dégénérescence maculaire est moindre.
Un constat : les maladies dégénératives semblent être partout les mêmes à part de légères variantes dues à l’environnement géographique. Les désagréments de la surdité se compliquent de l’absence de prothèse auditive au coût trop élevé. Les faibles budgets, la précarité, sanctionnent lourdement une alimentation équilibrée dont la carence entraîne une sarcopénie (fonte musculaire.) Quant à l’insalubrité de l’habitat, elle renforce l’impression d’abandon de la famille et des instances de décision.
La douleur, celle des articulations, du corps dégénérescent, celle des vertèbres dictent au thérapeute des gestes d’apaisement. La vertébroplastie cutanée, méthode qui consiste à injecter un ciment acrylique dans la vertèbre avec un soulagement immédiat de la douleur autant que l’opération chirurgicale de la cataracte sont une trouée de bonheur dans ce sombre panorama de souffrance.
Si le médical prend en charge le corps et ses pathologies, l’âme elle, subit les contrecoups d’une image de soi dont la tendance à l’effondrement varie en fonction de la représentation sociale du vieillissement dans un monde où l’éternelle jeunesse et le désir d’accéder à l’immortalité autorise le rejet du reflet ridé dans la glace. Cette image de soi est valorisée par les sollicitations des proches qui instillent une vision positive de soi, l’impression d’être utile, de servir à quelque chose, une réassurance par l’amour. Ceux qui à défaut de proches bienveillants, en butte au désespoir ne se ratent pas dans la volonté de mourir, choisissent le suicide par pendaison, par arme à feu, les hommes plus que les femmes, les veufs plus que les célibataires, impliquent aujourd’hui de mieux être attentif des signes de la dépression qui sont atypiques, tristesse mineure, absence de pleurs, quelque fois agitation psycho motrice.
La fragilité procède d’une rupture, d’une rupture de l’être avec son espace ; même la ville n’offre plus un accueil suffisant, cet espace n’est ni sécurisant, ni fonctionnel. Alors l’enfermement survient, coupe le senior d’avec une réalité nécessaire à son équilibre mental. Quand l’aîné n’a plus sa place dans la ville transformée en lieu de tous les dangers, cela signale un début de déchéance sociétale. Que faire sachant que le changement d’environnement induit un déclin cognitif ? Les plus forts psychiquement arrivent à opérer un passage de la désadaptation à l’adaptation, à opposer une résistance au stress et les autres ? Le contexte de vie (précarité, petits budgets) influence nombre de désagréments et de bouleversements physiologiques irréversibles conditionnant le concept de fragilité. Un milieu pathogène est-ce acceptable ? la question reste en suspens !
Evaluer est indispensable. Les droits du malade âgé dépendant avec la loi du 4 mars 2002 laissent entrevoir une volonté de tenir compte de la personne toute entière dans une logique de prise en charge. L’institution n’est pas en reste puisque l’hospitalisation, malgré les décès relatifs à cette condition de fragilité, réfléchit à une approche adaptée aux seniors, même si leur fragilité fait écho à la fragilité des soignants, même si la peur de l’identification les maintient à distance combien même cette présence viendrait interroger là leur identité professionnelle.
L’enthousiasme généralisé des infirmières de faire ce métier malgré les difficultés au quotidien des « sans » et des « ya pas », malgré le rappel de l’organisation scientifique du travail qui ne prend pas en compte les réalités, donne un aperçu de prises en charges réussies. Elles évoquent l’absence des familles et leurs présences parfois si lourdes à supporter à cause de leur exigence. Elles disent sans équivoque leur angoisse face à l’imprévu et à l’inconnu, la peur d’être jugées, la peur de ne pas être à la hauteur. Un dire à avoir envie de se faire soigner par elles.
Il ne saurait avoir de conclusion sans souligner l’indispensable nécessité de la prévention :
- Prévention alimentaire impliquant l’amélioration du niveau de vie,
- Prévention de l’isolement ( traitement de l’incontinence, de la surdité)
- Prévention du suicide ( suivi psychologique)
- Prévention des chutes ( marche, sport.)
La prévention sociale en Guadeloupe qui serait de l’ordre du relogement est du ressort du Conseil Général qui se donne le temps de voter et de débloquer un budget pour ce faire. L’allongement de l’espérance de vie oblige à axer des actions concertées en direction et au bénéfice des seniors. Les prises en charge médicales et psychologiques ne suffisent plus à limiter les risques. Le politique doit porter sa pierre à l’édifice.