Publié dans Le Progrès social n°2602 du 03/03/2007
Le tout public s’émerveille de commune en commune à la vue des groupes carnavalesques qui pour la première fois viennent à la rencontre des habitants. Les plus connus, les plus anciens, les plus récents, qui de déboulés en défilés répondent à l’invitation des maires à la grande joie des administrés. Ceux-ci assistaient déjà à des manifestations de proximité qui n’avaient ni cette envergure, ni cette ampleur. Une nouvelle dimension est donnée à la tradition festive et combien bienfaisante.
La splendeur des parades, les façades du décor, sont le résultat d’une organisation dont la charge de travail est insoupçonnée. Le thème choisi par la Fédération du Carnaval, conditionne le sujet de la pavane du Mardi-gras, puisqu’il autorise à concourir. Le nocturne du Lundi Gras est laissé au libre-arbitre de chacun pourvu que les danseurs se remarquent. L’aide du plasticien est parfois nécessaire : il associe les formes et les couleurs en fonction des matières à traiter.
Reste encore à dénicher les matériaux adéquats alors que les containers pleins de tissus chatoyants, de bijoux, de chaussures, ne sont pas encore à quai. Les prévoyants s’y prennent à l’avance sachant que la ruée sur les arrivages ne permettra pas de trouver un mètre de tissu imitation léopard après la mi-janvier. Il n’est pas question de faire du neuf avec du vieux, les rafistolages sont à proscrire. A idée nouvelle, costumes neufs. Après avoir calculé le coût de la tenue, ceux qui ont la possibilité d’en supporter l’investissement vont porter de l’intérêt à la chorégraphie et à la musique. Des groupes proposent une participation à la confection des habits, de la coiffe afin d’aider les couturières qui bénévoles, qui rémunérées, ne chôment pas en cette période déjà fébrile.
Deux fois par semaine la fréquentation de l’association devient obligatoire autant pour les danseurs que pour les musiciens. Accorder la musique au thème, au pas, apprendre les mots de la chanson, créer un ensemble harmonieux, nécessitent plusieurs répétitions. La préparation physique va de pair avec le conditionnement de l’esprit du mas représenté. L’attention portée à l’alimentation est l’égale de celle des sportifs ( cf « L’enfant et le mas » Progrès social du 10/02/2007 N°2599.)
La sécurité est pensée à l’avance : des femmes et des hommes membres de l’association encadrent le groupe, d’abord pour la protection des personnes déguisées, ensuite pour pallier l’indiscipline de la foule et sa tendance à envahir la rue dans une volonté de créer que des premières loges, enfin pour veiller à maintenir la distance entre le groupe précédent évitant une cacophonie de sons et de chants. D’autres en marge, travestis ou non, traînent le ravitaillement dans une glacière sur roulette, mettent dans des sacs poubelles les déchets, préoccupés par la propreté des lieux, ramassent les accessoires qui tombent, recueillent les coiffes trop lourdes. Savoir qu’on peut confier son chapeau facilite l’avancée.
Un défilé requiert que soit mis en place un dispositif dont l’efficacité va asseoir la tranquillité intérieure des carnavaliers. Les cordons de gendarmerie et de police très bien orchestrés et opérationnels ne fourniront jamais une sérénité comme le fait la proximité de gens familiers, bienveillants et responsables de la réussite du groupe.
D’aucuns affirme que la sexualité est débordante, exagérée chez les jeunes qui perdent la maîtrise et le contrôle de soi sous l’effet de l’excitation et de l’alcoolisation à outrance. Une étude menée par le service de gynécologie obstétrique n’a pas révélé de chiffres significatifs permettant une telle affirmation. Neuf mois après le carnaval, les naissances n’avaient pas subi une courbe croissante, ni les interruptions volontaires de grossesse non plus. Il est vrai que tout groupement favorise les échanges entre jeunes et moins jeunes. Se côtoyer souvent, passer du temps ensemble à une même activité, manger comme on peut, s’amuser de rien tissent des liens. Raccompagner la demoiselle, la dame ou le monsieur aussi, donne base à une complicité. Se revoir. L’atmosphère de frénésie ambiante autorise des propositions que le timide n’aurait envisagé en d’autres circonstances. La griserie de la foule doublée du stress d’un besoin de protection rapproche les corps dans une libération.
Le service d’Education pour la Santé de la Sécurité Sociale profite de cette liesse en rappelant que certaines précautions sont à prendre. Les maladies sexuellement transmissibles jouent souvent les troubles fête et la pandémie du sida est une réalité dont on doit tenir compte. Des préservatifs féminins et masculins sont mis à disposition ; ils gagneraient à être donnés aux associations qui participeraient à la prévention comme pour l’alcool. Les mouvements culturels AKIYO et VOUKOUM affichent lisiblement sur leur programme ce refus de l’alcool nuisible à la santé et à la réputation. Leurs locaux dès l’entrée ne tolèrent aucune ambiguïté envers le produit. L’interdit ne concerne pas un punch ou une bière, mais l’excès qui conduit à la déraison. L’imprégnation d’alcool scotomise la participation optimum à un évènement libératoire de tensions, fait rater le défoulement, enferme l’individu dans une sphère où tout est flou, artificiel, non distinguable. Les débordements à l’intérieur du défilé sont rares.
La violence n’est pas une caractéristique de la liesse populaire. Des éléments extérieurs, incontrôlés, ont à deux reprises entachés de façon momentanée l’émerveillement. La gravité de l’acte, le dernier, celui qui en dépit de la présence d’enfant, a armé un bras, montre à quel point l’agressivité a de multiples visages. Quelles que soient les raisons de ce geste, tirer sur un groupe est un comportement criminel et condamnable. Les motifs individuels ou collectifs ne justifient pas la mort de l’autre, des autres. Le passage à l’acte même quand il n’est pas agi, sur le plan symbolique, est une mise à mort. Un objet dangereux dirigé vers une personne signifie une volonté de destruction indéniable, pensée en tous les cas. La fête a continué, sans crainte excessive, en beauté. La population a compris qu’il ne fallait pas se refuser ce plaisir extrême.
Le carnaval a des retombées économiques pour les commerçants ( tissus et bimbeloterie), les petits artisans, les marchands ambulants. Se rendre dans un magasin de tissus où le pré découpage ne laisse aucune possibilité de faire un bénéfice relève parfois de l’arnaque. L’exclusivité du fournisseur unique fait flamber les prix.
L’ingéniosité et la débrouillardise sauvent des dépenses exagérées : ce n’est pas le cas pour tout le monde. Le carnaval coûte cher, très cher, malgré le sponsoring et les subventions. Trouver une aide substantielle ne serait-ce que pour le ravitaillement devient un exploit, s’agissant de groupe de moindre importance. La charge financière des costumes des groupes à « caisse claire », est en partie supportée par les adhérents. La richesse des déguisements, leur originalité, conditionnent les prix qui oscillent entre 300 et 1.000 Euros. A ce coût l’aide extérieure est insuffisante.
Les groupes à « po » n’ont jamais de dépenses de ce montant ; ils y gagnent en nombre de participants. Les déplacements, les accessoires, la nourriture, l’envers du décor, la réalité des difficultés financières grandissantes, ne sont pas souvent évoqués. A l’instar des femmes guadeloupéennes, serrer dents et poings et avancer envers et contre tout semble être le slogan du plus grand nombre.
Il faudrait peut-être se pencher sur la question du financement et l’étudier sérieusement par delà les scissions de la fédération ( fédération du carnaval et des fêtes de la Guadeloupe, fédération du carnaval et le groupement pour la culture, le carnaval de la région pointoise) afin que vive le carnaval pour notre plus grand bonheur. Derrière le Mas, les rivalités gagneraient à s’effacer.