Publié dans Le Progrès social n°2646 du 05/01/2008
En abordant les rives d’une nouvelle année, il semble indispensable de faire le bilan d’un passé récent. Ce bilan est comme un inventaire des faits marquants qui ont jalonné la vie collective. Ils ont certes été vécus de manière individuelle mais ont été partagés par des milliers de personnes. Certains sont éphémères ou évènementiels, d’autres vont se prolonger et régir le devenir des groupes sociaux, modelant les attitudes. Les évènements sociaux ont des incidences sur les comportements. Quand ils sont contraires aux intérêts des groupes ou contradictoires ils créent des perturbations modulées selon les personnalités. Ils peuvent cependant jouer un rôle de catalyseur lorsqu’ils avantagent l’appartenance, l’estime de soi et la fierté. C’est dire que les évènements sociaux ne sont jamais dénués d’affects. Pour ou contre, révolté ou admiratif, analyste froid ou passionné, la participation ou l’opinion souligne l’existence du quidam porteur d’un nom, d’un âge, d’un sexe donc d’une identité. L’important cependant, est de savoir comment le collectif perçoit les évènements et surtout comment il en tire expérience. Savoir aussi dans quelle mesure il est capable de mettre en route une stratégie pour la défense de ses intérêts ou au contraire s’il n’a aucune réaction constructive. Seules les enquêtes d’opinion peuvent fournir ces renseignements. Sans en être totalement dépourvu, le Département n’a pas encore saisi la nécessité d’utiliser ces outils de sondage peut-être jugés trop onéreux ou trop sophistiqués. Une tendance est observable, à petite échelle, par l’esprit toujours en éveil. Les gens parlent ; ils s’expriment sur leurs lieux de travail, au marché, dans les familles. Interrogés dans la rue lors de rencontres fortuites, la parole se déverse souvent accompagnée d’un agréable sourire.
L’évènement de 2007 a été l’élection du Président de la République. Un gouvernement de droite a succédé à un autre gouvernement de droite. La surprise de taille étant au deuxième tour la mise en présence d’une femme du parti socialiste et d’un homme. Du jamais vu jusqu’ici. Avec 46% des suffrages exprimés, elle a démontré qu’un possible s’offrait à la gent féminine et que la politique ne devait plus être laissée aux seuls tenants du sexe masculin. Les promesses électorales d’établissement d’une zone franche étendue, d’augmentation du pouvoir d’achat, de la baisse des impôts, d’un mieux être enfin ne se sont pas encore concrétisées. L’outre-mer est loin. Le problème endémique de l’île : l’emploi, est resté au même point. Le slogan : travailler plus pour gagner plus devrait dans une grande cohérence se muer en : partageons le travail. La création d’emploi et l’embauche des jeunes gagneraient à être mis au premier plan. Les heures supplémentaires ne sont pas significatives ici et tombent sous le coup d’un non-sens. La vision lointaine reflétée par les médias de ce gouvernement fait de dissensions sur des sujets aussi pointus que la politique extérieure, se teint d’indifférence. L’incompréhension d’une agitation d’un point à l’autre du globe assoit la certitude d’une boulimie médiatique constituée d’un viatique d’images comme nourriture quotidienne. C’est une nouvelle manière de gouverner en instituant un modèle original, que ce soit sur le plan de la vie privée, que ce soit sur la place laissée aux autres ministres. Tout décider, tout annoncer, il y a de quoi trébucher sur le perron de l’Elysée. Ceux qui ont mis leur espoir dans le dynamisme d’une autre gouvernance ne se sont pas doutés qu’ils auraient droit à la décision d’instaurer une politique à l’américaine. Faudrait-il encore changer les mentalités ! L’enthousiasme passé, la dénégation du choix électoral, plisse les lèvres en un KIP sonore. Ils avaient cru à la manne : ils déchantent après seulement sept mois. Les catholiques n’en reviennent pas. L’annonce de la consécration de chanoine d’un homme divorcé est devenue un sujet de conversation animé. L’église renverse la foi. L’acceptation du remariage chrétien d’une princesse de Monaco divorcée avait rétabli dans les mémoires la phrase de La Fontaine : « Que vous soyez riche ou misérable, les jugements de cour vous ferons blanc ou noir. » Mais là, l’étonnement est à son comble.
Le second évènement marquant qui hante les consciences demeure le scandale des pesticides. La chloredécone empoisonne la vie au propre comme au figuré. Ne pas en savoir exactement les effets nocifs constitue le pire des tourments. Sa découverte dans le cordon ombilical des nourrissons, l’évocation du cancer de la prostate, l’absence de cartographie désignant les zones touchées, laissent perplexe une grande partie de la population. Les effets d’annonce, les marches arrière, les avancées, augmentent la tension. Par bravade ou par défi pour sauver l’agriculture, les camionnettes d’igname vendaient au bord des chemins la production locale durant la période de Noël. Peut-on s’habituer à cette alimentation à risques ? Après la vache folle, la grippe du poulet, le tremblement des moutons, le cuivre du poisson, voila racines et légumes mis au banc des accusés. L’humain pour survivre a besoin de nourriture. Les grandes famines d’antan ont décimé des populations et frappent encore l’Afrique de la misère. L’abondance est en train de tuer d’une autre manière : hypertension, diabète, obésité et maladies futures à découvrir. L’économie locale est en péril : les rares exportations, bananes et melons sont boudées par les habitants de la France hexagonale. Quelles sont les perspectives d’avenir pour les agriculteurs et qu’envisage t-on comme production de remplacement ? Aucun procès n’a énoncé une sentence qui aurait un double effet : désigner les responsables et décider du coût du dédommagement.
Le troisième évènement de taille a été la bataille engagée entre les responsables de gestion des décharges. Les ordures ont encombré les poubelles, se sont couchées sur la chaussée, festin apprécié par les rats, allant presque à provoquer la peste. Les fermetures successives de la décharge de Baillif, non conforme depuis toujours, a forcé le contribuable à brûler dans son jardin ses déchets domestiques. Il devrait refuser de payer l’impôt sur les ordures ménagères. Mais le scandale provoquant la vindicte populaire a résidé dans la découverte de malversations financières d’une association chargée de mettre en place une ou des structures de traitement des déchets de toutes sortes ; ménagers et industriels. L’ingérence du représentant de l’Etat a contribué à la démission de son président. Depuis de nombreuses années, un projet relatif à une usine de traitement des rebuts quotidiens ne s’est jamais concrétisé. Par laxisme, incompétence, manque de prise de position, les décharges obsolètes brûlent dégageant des fumées délétères mauvaises pour la santé, accentuant la fragilité des voies respiratoires. De bataille en guerre, qui s’en soucie ? La situation est identique à celle de 2006 ; rien n’a avancé. La force d’inertie, encore elle.
2007, l’année de la morosité a ajouté à ce tableau peu joyeux le cyclone Dean et le tremblement de terre d’une magnétude de 7.5. Ce dernier a causé une grande frayeur et des troubles dus au stress post-traumatique qui peuvent être pris en charge par les « psys. » Cela ne lui a pas suffit : à trois jours des fêtes de Noël, un incendie dans un magasin provoqué par des pétards a endeuillé des familles : bilan sept morts et un blessé grave. Une émission radio de RCI avait mis l’accent sur la dangerosité de ces engins mais entendu par qui ?
Afin d’atténuer le pessimisme de ces lignes, le souvenir de Gwada Boys, cette équipe de football amateur doit rester vivace : elle a avivé l’estime de soi des guadeloupéens en leur insufflant un vent d’espoir. Bonne année 2008.