Suspension, réintégration des soignants : un système pervers

Le monde renvoie des échos d’une repentance tardive s’agissant de la décision de suspension des personnels hospitaliers ayant dit non à l’obligation vaccinale. La Guadeloupe a organisé la résistance en mouvements des collectifs en lutte, dont personne ne peut ignorer les revendications. L’action est structurée, permanente, diversifiée, édifiée en dispositifs de survie aux abords des deux centres hospitaliers : celui de la Basse-Terre et celui de Pointe-à-Pitre. Elle s’inscrit dans une attente logique de possible négociation. 

La visite éclair d’un ministre de l’Outre-Mer après un mouvement de colère et de blocage de l’île n’a donné lieu à aucun échange constructif, l’imbroglio volontaire n’ayant pas permis d’exprimer les problèmes. La méthode de brouillage est utilisée en communication ; elle empêche le mode de transmission de fonctionner. Elle jugule à la fois la parole et l’écoute. Le procédé peut être dangereux dans la mesure où il viole la liberté d’expression du locuteur, il viole les droits de l’homme et le principe de bonne conduite. Le collectif est renvoyé aux élus locaux, ceux qui ont accepté, et au préfet. Le jour venu l’absence du représentant de l’Etat a créé une telle stupéfaction dans le rang des élus, qu’ils sont repartis sans même daigner s’asseoir arquant qu’ils n’avaient de pouvoir ni de décision ni de négociation. Le faire semblant, dans un but de pourrissement des conflits, de lassitude et d’abandon n’a pas pris la mesure de la détermination des suspendus qui ne lâchent rien. Un seul mot d’ordre : la réintégration avec paiement rétroactif des salaires.

Un fol espoir naît avec le nouveau quinquennat du président de la République et la demande à l’adresse du conseil scientifique et de l’ordre des médecins de l’abolition de la sanction, il s’éteint rapidement. C’est non, doublement non. Le remaniement ministériel a offert un ministre à l’Outre-Mer connaisseur de la région où il a été préfet. Venu constater les dégâts de la tempête Fiona, il a tendu l’oreille à la problématique des personnels hospitaliers, rencontré au pas de charge les cadres soignants vaccinés et a rapporté que ce groupe refusait la réintégration de leurs collègues. Un pavé dans la mare. Le cynisme ne semble pas avoir de limites. Les lois sont elles différentes en traversant la mer ? Ont-elles fait des personnels vaccinés des législateurs à qui on demande un avis à propos d’une sentence prise par le gouvernement malgré les décrets et leur alinéa européens ? La zizanie a été inopérante, personne n’est tombé dans le piège de la manipulation. La collusion n’a pas eu lieu. La fabrique de bouc émissaire a été identifié. Sa fonction était de dire : « Ce sont les vôtres qui refusent de travailler avec vous. Nous…. » Être résistant et intelligent sont des qualités rares qui échappent à la représentation qu’a la France de l’Outre-mer. Un émissaire issu du cabinet ministériel est diligenté. Son phénotype identique à celui de la population, censé amadouer la délégation n’a pas eu d’effet. La proposition de 40 000 euros par personne pour en finir avec cette ténacité, et l’abandon des revendications, n’était pas recevable. Une infirmière débutante a un revenu annuel de 20 000 euros et plus. Que fait-on de sa carrière jusqu’à la retraite ? 

La durée des nominations des fonctionnaires d’Etat ayant atteint son terme, après le départ de l’ancien, le directeur général du CHU de Pointe-à-Pitre s’est installé à son poste. La prise de ses fonctions le désignait comme interlocuteur privilégié, lui qui connaît si bien l’âme hospitalière. Il n’a rien eu d’autre à proposer que l’offre de 40 000 euros du gouvernement. En conformité à l’obligation d’être des exécutants, le directeur général de l’ARS, lui, a écouté la délégation des suspendus, mais il n’a pu qu’affirmer ne pas avoir de mandat susceptible de résoudre le problème. Tout récemment, le 25 octobre, un maire guadeloupéen, dans un communiqué de presse raconte s’être entretenu avec le ministre de l’Outre-mer « qui s’est engagé à faire de nouvelles propositions, notamment la réintégration des personnels non soignants ». C’est le statu quo. Reste la démarche effective du ministre de la Santé qui avant son investiture alors qu’il était uniquement médecin urgentiste, s’était élevé contre l’obligation vaccinale. 

A l’analyse de ces différents faits, on peut mettre en doute une réelle volonté de réintégrer les personnels hospitaliers. La politique de la girouette a pour objet de désorienter le collectif en le dirigeant vers les institutions nationales et locales qui se renvoient la balle sans établir une véritable négociation. L’écoute et la discussion, bases de toute communication ordinaire ne sont pas présentes lors des brèves rencontres. Jamais la délégation n’a pu exposer l’ensemble de ses revendications, comme si elles ne sauraient être entendues. Dans un refus généralisé, l’objectif est de ne pas contredire la hiérarchie, de ne pas déplaire, de ne pas courir le risque d’être déplacé. Tous les fonctionnaires interpellés ont les mains liées par un système pyramidal qui avance les pions, soupèse les enjeux, et détient le pouvoir de décision. L’organisation ressemble à un système pervers dans sa construction.

Au commencement était la reconversion uniquement pour les Outre-Mer des personnels suspendus. En France cela n’existait pas. La reconversion était une forme de condescendance envers la situation économique dégradée de ces régions. Une première scission avait classé les suspendus en catégories différenciées, se désolidarisant des autres. Ceux qui avaient accepté de l’argent en renonçant à l’exercice de la profession et aussi accepté d’être accompagné dans un projet novateur, à terme ressentait de la culpabilité, ceux qui ne trouvaient pas à l’usage un intérêt majeur pour le choix, ceux qui avaient fait l’inventaire des propositions et refusé mais ayant subi les critiques envers une démarche infâmante, étaient tous insérés dans un système qui dépassait l’entendement.

Le grand paradoxe consiste encore à réintégrer les personnes non vaccinées durant quatre mois, dès lors qu’elles fournissent un document justifiant d’une positivité au covid 19 qui a valeur d’une dose de vaccin. Passé les quatre mois, leur obligation vaccinale sera à l’ordre du jour. Le message paradoxal double et obscur ne donne pas de possibilité de fournir des réponses appropriées à une situation incompréhensible. Si on considère que le vacciné peut être porteur et transmetteur du virus, à quoi correspond cette discrimination ? La manipulation perverse place le sujet dans une double contradiction : pas de vaccin, pas de travail : contamination, réintégration sous conditions plus tard d’une obligation vaccinale. Travailler quatre mois met du beurre dans les épinards après un an de suspension. L’employé devient victime d’un ordre incongruent qui le place dans une situation angoissante. Le troisième item de la manipulation perverse consiste à diviser et à cloisonner au risque de provoquer des conflits mais surtout d’empêcher des alliances. On l’observe dans l’affirmation d’une opposition de soignants à la reprise de travail des non vaccinés, dans l’annonce d’un projet possible de réintégration des personnels non soignants. Séparer, établir une ségrégation, monter les uns contre les autres en provoquant des rivalités ou des sentiments négatifs, c’est vouloir affaiblir un mouvement en jouant sur l’épuisement psychique et financier de femmes et d’hommes qui ont dit non à l’obligation vaccinale. 

Le père Noël ne passera pas pour la deuxième année consécutive (2021,2022) dans les maisons de personnes sans salaire depuis septembre 2021. Il a oublié que les enfants ont besoin de croyances qui sont les fruits d’or de leur imaginaire.

Fait à Saint-Claude le 6 novembre 2022

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