Le père meurtrier de son fils

 

Le meurtre est un homicide volontaire accompli sans préméditation. A l’inverse, un homicide involontaire (coups et blessures ayant entraîné la mort) semble moins grave sur le plan pénal. Mais quand un père tue son fils, l’impensable n’autorise aucune différence dans le passage à l’acte qui relève de l’interdiction, car il interpelle les notions de filiation et de parentalité. L’infanticide, meurtre d’un parent sur un enfant en bas âge est le fait en général de femmes. L’acte criminel en direction d’un enfant âgé de 15 ans a pour définition un filicide dont on ne comprend pas toujours le sens. Un père qui tue un enfant accomplit ce geste argumente on, pour se venger de la mère envers qui il avait déjà eu un comportement violent, ou franchit la limite en commettant un familicide (meurtre de la famille). Il se sent attaqué dans sa masculinité après la séparation, et croit que même l’enfant lui désobéit de façon délibérée, récusant sa place de père. Rares sont les femmes qui tuent l’enfant et le conjoint à la fois.

 L’acte mortel d’un père sur un fils adulte est à rechercher dans l’analyse de l’enfance du meurtrier. L’investigation des éléments transgénérationnels, laisse apparaître l’existence d’un conflit survenu très tôt avec un ou ses parents violents qu’il n’aurait pas évacué. Son propre fils en s’opposant, réactiverait une scène antérieure, le plongeant dans une reviviscence de non-amour, une révélation de l’inacceptable. Le meurtre viendrait là résoudre la problématique inconsciente lui permettant de sortir de l’imbroglio relationnel. Se retrouvant dans une impasse il ne peut éviter la rupture et le clash impossible à contenir tant il est submergé par la violence de ses émotions.

Le passage à l’acte constitue une décharge émotionnelle à défaut d’une élaboration de la pensée facilitatrice d’une négociation. Une seule pensée l’habite : le contrôle à tout prix de la situation au point d’éluder le problème par la disparition de celui qui en est le responsable, son fils. L’angoisse s’impose de façon telle, qu’elle devient insupportable, justifiant sa résolution par l’acte violent. L’agir arrive comme tentative désespérée de se débarrasser d’une confrontation pénible parce que n’est envisagé aucun appel à l’aide d’une personne extérieure, comme si aucune intervention quelle qu’elle soit ne serait susceptible de libérer l’oppression ressentie. La détermination du moment est d’affronter l’inaccepté. Le père, figure d’autorité dans certaines familles supporte mal la contestation. Un enfant reste un enfant qui ne doit absolument pas proférer une menace. Celui qui transgresse l’interdit en l’agressant, risque d’être rejeté ou renié. Frapper un parent constitue un crime selon la représentation de la famille, battre la mère c’est encourir la malédiction durant toute une vie de malheurs et d’échecs, battre le père ou le menacer, c’est remettre en question la notion de respect et de pouvoir. La plainte déposée en ce cas constitue une blessure générée par la honte d’avoir rater l’éducation de sa progéniture.

A parler de cette éventualité, la plupart des pères profèrent ces mots :  An ké fini évé ras aye. Je vais finir avec sa race. L’éliminer de sa vue et de sa psyché, c’est le tuer, mais aussi le sortir de la lignée filiative car mort il ne saurait avoir d’enfants. La continuité générationnelle est alors abolie surtout si ce fils est enfant unique. Quand par crainte ou lassitude s’est concrétisé l’appel à la loi demeuré inopérant, la fonction manquante du contenant est comme une désapprobation d’une attitude jugée plus qu’humiliante, un facteur de plus augmentant le sentiment d’une solitude extrême face à l’insoluble. L’isolement social est un facteur favorisant l’affrontement, comme la rupture avec l’entourage familial, et la monoparentalité où le père est complétement dépassé par ce qui arrive, coupé des liens protecteurs et des repères, habituels. L’intervention de sa propre mère pourrait baliser les difficultés à l’instar de l’accueil qu’elle réserve aux fils après le divorce. Livré à ses angoisses, le passage à l’acte survient quand se conjuguent des éléments intersubjectifs et relationnels discordants qui le submergent occultant une autre issue que l’agir. Ne pas se retrouver dans un contexte d’impuissance devient une obsession qui le hante autant que prendre conscience des défaillances d’un système qu’il ne maîtrise pas. Un fils doit un grand respect au père.

Le passage à l’acte est à rechercher dans l’enfance du père meurtrier dont les meurtrissures précoces ont jalonné le vécu. Très tôt, il a dû assumer des situations difficiles dans un contexte parental carencé où les séparations et les mauvais traitements se sont imprimés dans sa psyché comme blessures narcissiques indélébiles. La mère et/ou le père n’a pas su lui procurer la sécurité nécessaire à tout enfant en devenir. L’amour et la considération en creux, il s’est construit avec des manques qui ont perturbé les relations avec son environnement. Les traces mnésiques infantiles mal digérées et obsédantes, lors d’épisodes conflictuels, vont faire de son fils un persécuteur et son hostilité va autoriser le retour du refoulé. Le père se retrouve dans une répétition de son histoire personnelle avec une incapacité à la réparer. On assiste à un déplacement des conflits anciens dans la confrontation à l’enfant.

Les prémices du passage à l’acte présents dans la mauvaise gestion des pertes antérieures, l’accumulation des ruptures, leur impossible étayage vont générer une situation de stress. Incapable de s’adapter, sa logique vacille, et la confusion qui s’ensuit sans altérer son discernement va le plonger dans une rage à la hauteur de son désarroi. L’impuissance vécue ne saurait se renouveler, il s’engage dans une phase de récupération de soi et de maîtrise de l’angoisse paralysante. La disparition de l’autre est la seule voie envisagée.

Sur quel registre s’inscrit la paternité chez ce père violent ? Les carences parentales ont semé des germes d’une mise à distance dans la relation à l’enfant garçon, qui peut être nié par crainte d’être en situation de rivalité. L’édification de l’œdipe comme pour tous est une lutte pour l’amour maternel mais se résorbe avec le temps tandis que l’acte du père sur le fils montre que le meurtre a pour but d’assouvir le besoin de vengeance, sur l’autre parent par enfant interposé. Il est installé dans une forme de paranoïa ramenant l’envie sur le devant de la scène (la jalousie est vouloir égaler l’autre, l’envie est une volonté de destruction de ce que possède l’autre), détruisant l’enfant porté par la mère où transparaît une difficulté à s’identifier à lui et du même coup compenser ses désirs et ses frustrations précoces. Sa haine archaïque vient s’agréger autour du fils.

L’homme malmené dans l’enfance peu assuré de sa place généalogique, devenu père à son tour, va essayer dans un premier temps d’entretenir un rapport gratifiant avec son fils, faisant le contraire de ses parents, comme pour prendre le contre-pied de ses carences infantiles. Mais le conflit le met face à son échec. Il refuse cependant d’être à l’image de son père non protecteur, incapable de prendre une décision, et le meurtre viendrait là effacer la caricature du père impuissant mais autoritaire auquel il ne voudrait pas s’identifier. Il s’éloigne de ce père en le désavouant, en étant autre, lui qui va s’imposer à ce fils devenu ennemi dans un rapport de force et qui n’aura pas le dessus. Une confusion doublement trouble où se mélange les rôles et les fonctions, où se termine la fin de l’espérance d’une succession filiative. On est dans la compréhension de la phrase : an ké fini évé ras aw. Peut-on éviter ces drames filicides, peut-on entendre l’appel au secours souvent muet d’un parent à la recherche de son soi et son ancrage dans une difficile paternité ? Les conflits quand ils commencent à enfler devraient alerter l’entourage familial et social afin de ne pas laisser dans la solitude celui qui nécessite un accompagnement.

 

Fait à Saint-Claude le 13 novembre 2022

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