Répression et adolescence

Publié dans Le Progrès social n°2695 du 13/12/2008

Le moment de l’adolescence est cette période charnière où la rencontre se fait avec l’autre social. C’est ce temps où le sujet quitte les marques des références familiales pour rechercher dans l’espace public, une place qui le représente aux yeux des autres. Il doit se situer en tant que sujet dans la société.

Dans les sociétés traditionnelles, les rites de passage indiquaient à celui qui était devenu pubère  son rôle et sa place, de façon claire. Il avait démontré sa capacité d’endurance, son courage, son aptitude à devenir adulte. Dans la modernité, l’adolescence est toujours une interaction entre un sujet et un moment social.

Cependant l’implantation sociale de l’adolescent  ne dépend pas seulement de sa détermination à être, elle dépend aussi du champ dans lequel l’autre social lui permet ou lui impose de s’inscrire.

La question primordiale à poser concerne le type d’accueil proposé par la société moderne, et la réponse apportée par l’adolescent. Deux formulations impératives lui sont adressées : passes ton bac d’abord et jouis. Passe ton bac d’abord le renvoie à une attente d’un futur qui le projette dans un possible retour en arrière du temps de latence du pré pubertaire. Plus tard, diffère la réalisation de soi, principalement la réalisation de ses désirs incestueux. Le discours social l’oblige à un retour dans l’enfance, le frustrant d’une démonstration de ses potentialités d’adulte. Cette injonction barre l’accès à son besoin de grandir. Par réaction, il va alors s’impliquer avec ceux de son âge dans la bande aux enjeux narcissiques gratifiants, et/ou dans l’agir du passage à l’acte.

L’autre formulation de la représentation : jouis est contenue dans le discours véhiculé par les médias et la science médicale. Jouir des biens de consommation et de son corps, est une place idéalisée et enviable. Elle alimente l’imaginaire actuel autant que celui du surmoi archaïque de la première enfance dans l’impératif de satisfaction. Les plus fragiles s’engouffrent dans cette suggestion sociale de jouissance en fonction de ce qui se trouve à leur portée.

Le plaisir à travers le paradis artificiel de la substance psycho active, les vols des objets de la tentation en témoignent. Ces attitudes délinquantes ne sont pas vécues comme telles chez celui qui n’entend que cela dans le discours de l’autre. Elles permettent le franchissement de l’étape entre son monde et le monde de l’adulte. Une épreuve initiatrice en quelque sorte. Chaque société recèle des normes véhiculées par des mots, des comportements. Elle est donc le lieu de référence, hors de l’espace familial, où l’adolescent va nourrir ses fantasmes. Il se construit en fonction de l’autre social. La délinquance est une forme déviante d’inscription dans le discours de l’autre.

Aujourd’hui, l’adolescence inquiète, comme à l’époque des mutations culturelles, mais elle est de surcroît la proie d’une inquiétude sociale. Il semble qu’une surenchère est constituée à partir de l’image de dangerosité que dessine l’adulte.

Quatre faits récents viennent corroborer la méfiance ressentie à l’égard d’enfants scolarisés, donc insérés dans un tissu social normé.

  • La mise en place d’un détecteur d’objets étiquetés dangereux, comme dans les aéroports. Les élèves doivent passer en dessous pour atteindre les salles de classe. Les agressions qui ne semblaient pas être nombreuses vu l’insignifiance des signalements, désignent à l’attention de la population cet établissement qui en est équipé, comme un lieu de grande criminalité. Par phénomène analogique, leurs pairs et les enseignants étaient des futures victimes d’énergumènes non identifiées avant la pose du détecteur. La sécurité s’en trouve t-elle accrue ? Les endroits bénéficiant d’une protection forte génèrent un sentiment d’insécurité. Si besoin est de veiller sur les personnes c’est que le danger prend figure de réalité. L’angoisse peut en être augmentée. Les comportements se trouvent de fait modifiés.
  • La présence de vigiles à la sortie des classes ne s’est pas encore généralisée, mais elle contient le risque d’une menace permanente.
  • La descente de police avec chiens renifleurs à l’intérieur d’un établissement en France, montre du doigt la supposée consommation de substance psycho active à l’école et surtout son commerce illicite.
  • L’intervention des forces de l’ordre lors d’une grève des scolaires à Marseille, où la parole d’enseignants et de lycéens vibrait d’une résonance de brutalité physique.

Ces lieux  reflets de conduites normées, où le respect autant que le savoir sont en apprentissage, font la démonstration d’une suspicion  puisqu’ils sont sous haute surveillance.

L’école n’est pas la rue. Se tiennent là des mineurs sous la responsabilité juridique de leurs parents qui ont à répondre de leurs comportements. Le caractère du dispositif d’intimidation qui se donne à voir depuis quelques temps, est l’adjuvant d’un détournement de l’autorité parentale au profit  d’une personne légale et ayant droit : la loi. La miniaturisation et la relégation du parent au statut d’éducateur manqué, incapable d’inculquer des règles de base, de faire respecter les interdits, participent à ce projet de répression obligée.

Pourquoi réprimer ? La répression prend sa source dans la volonté de démontrer une prise de pouvoir, quitte à empiéter sur le territoire d’autrui. Elle impose sa loi comme seule acceptable, se donne un cadre légal de fonctionnement. Elle assujettit l’agresseur ou celui considéré comme tel à  une reconnaissance de supériorité. On réprime par crainte de débordement, par crainte de perdre le contrôle d’une situation.

La démarche qui tente d’intimider est un coup de semonce avertissant le durcissement d’un projet de plus grande envergure. En effet la proposition de loi concernant l’emprisonnement des enfants à partir de douze ans, n’est que la finalité d’un plan destiné à empêcher une tentative de construction d’une limite entre le sujet et son semblable.

Pourquoi avoir autant peur de l’adolescent aujourd’hui ? Est-il plus violent ? Plus dangereux ? Plus inéducable ? La criminalité existe chez les sujets jeunes, mais a-t-elle la même signification que chez l’adulte  et la prison est-elle la réponse la plus efficace au passage à l’acte ?

On sait que l’enfermement produit parfois le contraire de l’effet escompté. La désocialisation des individus vient de la coupure d’avec la réalité, de l’inactivité physique qui induit une paresse de l’esprit et une propension à la rumination mentale. La difficulté d’insertion est encore plus abrupte chez ceux qui ont purgé une longue peine. Leur niveau d’étude est bas, à la limite de l’illettrisme. L’effort consenti à apprendre est un début d’apprivoisement  dont le surgissement est du à la personne investie.

L’empathie s’établit dans ces centres éducatifs fermés ou semi-fermés après des refus du règlement intérieur et la mise en échec des règles de vie. Ces espaces créés pour eux les horripilent parce qu’ils sont face à une réalité dont ils ne veulent rien savoir.

L’adolescence n’est pas à dominer mais à ensorceler, à aimer et à comprendre et surtout à pacifier. Nul doute que si la société ne lui accorde aucune possibilité de reconstruction, elle ne cessera de souligner en gras l’impuissance de l’adulte à régler son rapport à l’interdit. Le cloisonnement des classes d’âge n’a jamais contribué à une rencontre où la reconnaissance de chacun donnerait lieu à des échanges basés sur le respect.

Il serait temps que spécialistes et politiques s’entendent sur les projets à mettre en oeuvre s’agissant de l’adolescent qui pose problème : afin de l’aider à trouver ou à retrouver son humanité. Pour cela faudrait-il encore arriver à comprendre ce qu’il a à dire ou à démontrer.

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