Publié dans Le Progrès social n°2589 du 25/11/2006
L’enfance devrait être cette période d’insouciance pour le petit humain durant laquelle son environnement familial en premier lieu lui donnerait accès à une plénitude, une quiétude dont les apprentissages ne seraient pas exclus, puisque la construction de l’être passe obligatoirement par l’intégration de règles ( la loi) que conditionne le respect des limites et des interdits admis par la société. L’édification de la socialisation ne gomme pas la primauté accordée à la satisfaction des besoins vitaux et de ses obligations écrites dans la convention internationale des droits de l’enfant ( alimentation, soins, scolarisation, protection, etc…) ni à cet élément indispensable au futur adulte : le besoin de sécurité. Beaucoup de délinquants mettent les personnes en insécurité parce qu’ils ressentent eux-mêmes une grande insécurité intérieure. L’ère de modernité et ses moyens de diffusion de l’information a permis aux parents de percevoir l’évolution mondiale des principes éducatifs et à délaisser certaines méthodes obsolètes et inadaptées à ce siècle de communication et de négociation. Le constat des chiffres élevés de la maltraitance en France et dans la caraïbe, laisse à penser que les messages envoyés en direction des familles sont en inadéquation avec la représentation qu’ils ont de leur progéniture. Ces petits blessés physiquement, martyrisés, marqués à vie par des brûlures de cigarettes éteintes sur leur peau, violés, prostitués et pis harcelés psychologiquement, humiliés, méprisés n’arrivent qu’après de longues années à se remettre du malheur « d’être tombés dans une mauvaise famille. » Sans aborder la maladie mentale d’un ou des deux parents et ces cas d’infanticide ( cf progrès Social n°2525 du 13/08/2005 et n°2528 du 10/09/2005) dévoilés semaine après semaine, la femme et l’homme maltraitants sont des gens ordinaires, issus de toutes les classes sociales, prenant partie à la vie de groupe, donnant leur opinion sur des faits jugés horribles, lisses à l’extérieur et véritables bourreaux au-dedans. La violence peut se dissimuler des années jusqu’à ce qu’un évènement majeur la fasse découvrir : la perspicacité d’un adulte dénué de lâcheté, la compétence du médecin traitant, l’ouïe fine du voisin et son courage. Hormis ces situations inacceptables, l’enfance peut être confisquée de différentes manières. L’amour parental n’est pas déficient et n’est pas remis en cause dans ce comportement courant mais ô combien détesté par celui qui le subit. Dès six ans, la demande incessante de menus services au début amuse l’interpellé auréolé d’un cercle de responsabilité : savoir la place des choses, comprendre une consigne et la respecter, faire plaisir surtout, sont flatteurs. Mais chaque jour être obligé de délaisser ses jouets, sa lecture, à quérir les chaussons du papa assis devant la télé, à apporter un verre d’eau glacé à maman au gosier asséché par la conversation téléphonique, transforme les gentillesses en obligations et contraintes. L’atmosphère familiale n’autorise pas le refus jugé rejet, ingratitude voire insolence avec sa menace de supprimer certains plaisirs au «mal obligeant, pas rendant de services. »» Dans le monde rural jadis, la fille aînée remplaçait la mère, elle abandonnait sa scolarité pour s’occuper du reste de la fratrie qu’elle prenait en charge même les jours de repos de la génitrice. Son sacrifice ne lui donnait droit à aucune considération sauf à l’affection de ses sœurs et frères dont la tendresse restait ancrée dans le souvenir. Quand, dépassée, elle usait de la ceinture par crainte d’être blâmée ou par peur de ne pas être à la hauteur, l’acrimonie des années plus tard, recouvrait son attitude oublieuse d’une reconnaissance méritée. La revanche à prendre sur la vie orientait sa détermination à vaincre les obstacles dus aux lacunes de culture générale et de savoir, essayant de se hisser à la hauteur de ceux qui avaient « percés », essayant aussi de récupérer une admiration maternelle ayant fait défaut. Cette situation s’est améliorée mais n’a pas complètement disparue parce que les aînés s’entendre encore dire : « Va voir où est ton petit frère, range les jouets de ta petite sœur » par des parents assis peu soucieux du dérangement causé. L’exaspération vient de la répétition des sollicitations qui ne tiennent pas compte de l’investissement dans une activité obligée d’être interrompue : l’enfant doit obtempérer. Quelques-uns uns à la personnalité forte font le sourd, d’autres se réfugient dans les arbres du jardin invisibles parmi les banches feuillues, d’autres encore sont des maîtres es catastrophe : que de verres et d’assiettes cassés, d’eau renversée, d’objets confondus. Chacun utilise un moyen de défense contrairement au bienveillant, futur protecteur des parents qui continue à accepter le déplacement de son corps d’une demande l’autre, même quand il faut descendre de voiture et acheter la pizza ou le poulet rôti, le parent attendant au volant. Quelque fois, il a fallu passer un vêtement plus présentable que celui de la maison, pour cette mission à 1km et remettre une fois arrivé le précédent. Cette utilisation permanente de l’enfant en fait un objet malléable à souhait, redevable de cette vie qui lui est donnée( il n’a pourtant rien demandé, certainement pas à naître) ayant un tribut à payer comme si les dépenses occasionnées par sa croissance devaient être par lui remboursées. « C’est un ingrat » est une phrase qui éclaire la nature des modes de pensée.
Le dessein maternel sous couvert de bienveillance prive l’enfant/lolita des mets convoités parce qu’interdits. Elle est destinée à être une star, beauté et minceur obligées. Aucune égratignure ne doit dévoiler ses escalades des arbres, aucune griffure sa course dans les allées d’épineux. La démarche étudiée est celle d’une danseuse, pointe en avant, bras le long du corps, sourire éternel de circonstance posé sur le visage. Les vêtements choisis moulants de préférence, miniatures de ceux de l’adulte, semblables à ceux de la mère au physique modelé par les régimes alimentaires et le sport, marquent déjà l’avenir d’une petite fille centrée sur l’image de reine de beauté. Elle ne peut échapper à la volonté de récupération du désir non réalisé de celle qui l’a mise au monde. Lolita est sa vengeance, un baume mis sur sa blessure narcissique. Par procuration elle en tirera bénéfice. Les petites filles n’ont pas la force psychique de se dépendre de ce piège, elles sont amusées et flattées de s’entendre dire plus belles que les autres. Rien ne compte hors de cette sphère de séduction dont on les entoure : elles se croient nées stars. Quand la puberté laisse l’acné s’installer sur le visage, le désarroi est à son comble. Les soins en institut ne calment pas l’appréhension d’un enlaidissement possible, caché derrière un mouchoir. Les crises de gavage et de vomissements pétrissent l’âme d’une culpabilité qui n’a d’égale que les reproches de non contrôle de soi. Pygmalion veille jalousement sur sa fierté. Les seins sont mal acceptés, ils gonflent à vue d’œil ; les bander afin de limiter l’excroissance ? L’image du corps envahit l’être tout entier : la féminité est un devoir, une obsession.
Les enfants doivent d’adapter, certes, cela démontre leur capacité à grandir, à aborder les rives de la maturité. Mais pourquoi ne peuvent –ils être dispensés du plaisir égoïste de l’adulte qui gomme leur existence à l’occasion d’une relation amoureuse ? Le nouvel arrivant est à peine accepté qu’un second lui succède, remplacé par un troisième. Il fallait au début se retirer dans sa chambre pour ne pas gêner les tourtereaux, se débrouiller le matin seul pour le petit déjeuner( il faut un début à tout), ne pas s’attarder dans la salle de bains et être en retard à l’école : les réveils amoureux sont difficiles. Celui-là était sympa, il souriait, avait le mot gentil. L’autre ordonnait, exigeait, relevait les fautes de comportement. Le je ne sais plus lequel quand il buvait avait l’œil lubrique et fixé sur la ceinture du jean diesel. S’enfermer à clé, ne rien dire pouvant faire de la peine. Mais comment s’adapte t-on à l’angoisse, à la perte de repères affectifs, au monde méconnu de ceux qui devraient être parents et protecteurs ?
La période d’enfance est déterminante, mal vécue, elle lègue en héritage les cassures, les blessures qui au début d’une vie n’ont pas eu la possibilité d’être évitées, s’imprimant dans l’inconscient de l’adulte, jusqu’à ce que le refoulé fasse retour. Ne pas voler l’enfance est une évidence à entendre comme une loi du coeur.