Les sentiments romantiques

Pourquoi dans un contexte de violences conjugales accru, est porté à l’ordre de la conscience l’évocation d’amour romantique ? Serait-ce pour exorciser l’insupportable, l’inacceptable des féminicides chaque jour égrenés dans les médias ? Serait-ce pour s’accorder le droit au rêve d’un retour possible de l’amour courtois, dans une fascination respectueuse ?

Le vocable romantique sous-tend une approche progressive dans un désir contenu de l’être aimé que délivre le message du conte du temps d’enfance : une belle endormie réveillée par le baiser d’un prince, un soulier perdu d’une jeune fille pauvre et maltraitée qui donne accès à un mariage royal. Ce prince charmant, beau, généreux, aimant, hante encore certains imaginaires. Le modèle de Meghan et Harry en est la représentation. L’exception peut s’étendre à toutes, dans les confins du jardin secret.

Les mères et les grands-mères, les jours de confidence, racontent le permis et l’interdit des échanges entre filles et garçons, d’abord dans le regard, puis dans les mots avant que la main ne se pose sur le bras ou l’épaule. Au bal, c’est sous l’œil vigilant des mères en rang d’oignon au fond de la salle, que le quart d’heure de charme d’un orchestre complice rapprochait les corps dans un langoureux boléro. Joue contre joue dans la pénombre, la bouche ne glissait aucune parole dans l’oreille qui n’avait pas encore donné de consentement au dire. Pas d’imprudence, sans certitude avérée, le corps risquait de se dérober. Guetter un signe, une approbation, abaisser le bras en serrant la main jusqu’à la faire pendre. Aucune résistance ? C’est gagné ! Oser alors la pression dans le dos avec l’autre main. Bonheur du cœur qui bat, l’espoir d’obtenir toutes les danses à venir. La suite furtive des rencontres et le flirt enfin.

En ville sous les fenêtres, les sérénades la nuit venue n’autorisaient personne à se lever du lit, sauf le père, qui la bouche allongée le lendemain au petit déjeuner s’ouvrait sur un : « C’était pour qui ? » dans le quartier toutes les maisons contenaient des fillesLes plus grandes se regardaient. Même n’ayant aucune connaissance du « sole mio » italien , du Pierrot et de sa Colombine, elles soupiraient alors que les plus petites, moqueuses, chantonnaient les refrains en se poussant du coude. C’était pour qui ? Avait-on reconnu une voix ? Il y en avait au moins trois, les chanteurs au nombre de deux plus une guitare.

Arrivait le temps des fiançailles. Selon le statut social, le père demandait la main de la jeune fille. Lors de la cérémonie, la bague était offerte dissimulée sous des pétales de rose dans une assiette. Enfin le mariage couronnait les amours. La période romantique arrivait à son terme. Vaille que vaille, la famille se créait, les parents acceptaient leur rôle et leur place. Nulle contestation ne dénouait les liens sacrés d’autant plus que face au foyer monoparental le titre de MADAME résonnait comme une fierté. Femme seconde, enfant et maîtresse, violence conjugale, croix sur bouche, la fuite de l’illusion s’étonnait peu du prince charmant disparu.

Le monde rural se paraît moins d’apparat. La jeune fille tombait enceinte, restait avec la mère jusqu’à ce qu’un aimé la « mette en maison ». La coutume voulait que les filles et les garçons quittent la maison familiale pour se construire une famille. L’audace n’aurait jamais atteint le paroxysme en prenant seul son logement et vivre à sa guise. Le retour des premiers étudiants ne dérogeait pas à la règle. Célibataire quelque soit l’âge, la maison familiale retenait prisonnier. A la campagne, quand les fiançailles étaient programmées, la visite dominicale du futur gendre se faisait sous l’œil fureteur du père, se privant de sieste, posant son corps dans une chaise à bascule à proximité des pigeons roucouleurs. Au coucher du soleil ne percevant pas de mouvement de départ, il fermait les volets lentement, un à un et attendait droit comme un piquet de fermer la porte d’entrée. Une histoire sans parole qui ne vexait personne.

La raison économique accréditait le choix d’une cohabitation estimée provisoire. Les mariés restaient des enfants aux yeux des parents/logeurs qui continuaient à nourrir le couple même augmenté d’une bouche. La supervision maternelle servait de contenant aux conflits non exprimés qui enflaient jusqu’à l’éclatement. Homme ingrat, sans reconnaissance, qui était passé d’un corps filiforme à une taille supérieure qu’il traînait des jours entiers, les nuits avec, dans d’autres couches, s’autorisait en plus de promener des femmes dans une voiture achetée grâce aux économies réalisées d’un hébergement gratuit autant que l’alimentaire. Le mépris d’une belle-mère s’entend de loin.

On comprend que le romantisme a été fabriqué de toutes pièces pour imposer l’image du couple parfait, d’un ordre social et un établissement de pouvoir à travers la distribution des tâches. L’homme pourvoyeur de finances, la femme au foyer gestionnaire du bien-être de tous. Elle s’occupait des affaires domestiques tout en participant au maintien d’une démographie qui se devait d’être régulée selon les époques.

En 2020, que sont les amours devenues ? L’observation de sortie des collèges et lycées, révèle des aspects d’une rudesse de l’approche du corps de l’autre. On se bouscule, se frappe, se sauve, revient, rit fort, s’assied côte à côte en recommençant à se toucher fort. L’autre a-t-il tort d’exister et d’être là ? Combien même l’intimité d’un lieu couvert et d’un canapé dans un rapport de proximité favoriseraient la douceur, ou les chamailleries persistent, ou le silence laisserait à penser à de l’indifférence. A quoi correspond cette turbulence ? Se faire sentir de l’autre, crier son existence, lui dire qu’il est fautif d’une réciprocité de sentiment ? Imposer sa présence, lui en vouloir de ne pas être à la hauteur, mais de quoi ?

Les 15/17ans en début de relation sont sûrement surpris par les tensions dues à l’émoi. Sans avoir les jambes qui flageolent, les mains moites, les chevaux galopants dans la poitrine, ils sont en butte à une chose inconnue qui peut être tyrannie. Paradoxalement la répudiation est rapide. Fille comme garçon lance haut et fort des messages de rupture pour une histoire à peine ébauchée. C’est vrai aussi que la fréquence du changement de partenaire est proportionnelle à la fréquence d’un engouement amoureux.  Une jeune fille de 14ans est déjà tombée amoureuse trois fois depuis la rentrée scolaire. Quand le premier petit ami a rompu, elle a voulu l’oublier en pensant au suicide. Le second a vite réparé la blessure narcissique et le troisième est en phase de découverte. Les réseaux sociaux participent à la rencontre. «- Nous somme en couple » «- Pardon ? » «- Nous sommes en couple » entendent des parents interloqués d’une enfant de 14ans. Nouvelle façon de dire. Internet occupe beaucoup de temps, la communication en ligne enferme le corps dans la solitude de la chambre. 

Les plus âgés ne sont pas en reste. De plus en plus l’idée de rencontres à travers les réseaux sociaux, se justifient par le manque de temps, la raréfaction des sorties, l’investissement professionnel. Ces échanges virtuels, site de rencontre inclus, donnent une dimension nouvelle à la communication. Le premier rendez-vous est une évaluation type visualisation du descriptif, comme une commande dont on attend d’ouvrir la boîte pour constat de conformité. Point de fantaisie comme dans la situation : tout à coup un inconnu vous offre des fleurs. Le premier regard de l’inconnu sur les jambes ou la silhouette entière a déclenché une réaction de surprise agréable en activant sa sérotonine. En retour il éveille la curiosité de l’objet du désir, il attise son attention. Il ne manque que les accents du violon pour un parfait romantisme, à condition qu’il fasse soleil ce jour-là, à condition qu’il y ait un fleuriste dans la rue, à condition que la fille batte le pavé un moment, à rythme lent et qu’elle accepte le bouquet par un engouement partagé.

 Au constat souvent d’échec du sentiment virtuel, certains soulignent les mariages arrangés par les parents en Inde de cette manière. A la différence, que la mère indoue recherche une famille aux valeurs similaires et à la caste sociale identique à la sienne, qu’elle part à sa découverte en éclaireur et dirige les opérations Les futurs sont choisis par les parents dans un pays où la liberté n’a pas la même connotation qu’ici. 

L’avancée en âge amenant l’apaisement, les bousculades de la première approche disparaissent. Le premier rapport sexuel en moyenne à 17ans mène la relation dans le passage obligé des trois temps de l’amour : celui de l’amour fou quand tout est sublimé, accepté, amour aveugle, démesuré, n’obéissant à aucune loi logique. Le ça est en fête. Le ça aime. Durée 3 à 6mois. Survient l’amour lucide et malheureux. Brutal réveil de sortie de romance, incrédulité, « on m’a trompé sur la personne » dit la voix intérieure. Les qualités du vis-à-vis sont à minima, beaucoup trop de défauts ! La majorité des ruptures interviennent durant cette période. La sortie de crise débouche sur l’amour lucide et heureux. Les sentiments ne sont pas trop écornés.

Il faut savoir que la construction de l’identité personnelle se produit à travers la captation de soi dans d’autres personnes. Les relations que l’on a, sont des reflets ou des projections d’aspects de notre personnalité que nous aimons ou non. Ce que l’on aime chez autrui se trouve aussi chez soi. La théorie du miroir de Lacan suggère de ne point se protéger de l’autre de façon permanente afin d’éviter le mal qu’il pourrait faire, mais se poser la question de ce qui se trouve en l’autre qu’on ne supporte pas et qui se trouve aussi en soi.  

La relation avec les autres dévoilent les ombres cachées de soi-même dont on ne veut rien savoir et permet quand on est capable d’une introspection de se regarder et de se comprendre. Ce n’est pas toujours évident dans une société qui aborde les problèmes sous l’angle de l’accusation : « C’est de sa faute. » Cette théorie du miroir est directe et indirecte, elle explique qu’un comportement qualifié d’impitoyable difficilement supportable renvoie au caractère d’une même nature chez soi mais aussi révèle le besoin de correction d’une absence de rigueur que l’on s’octroie.

Tomber en amour paraît si simple et si compliqué à la fois. Pourquoi lui ? Pourquoi moi ? Le choix amoureux est conditionné par l’inconscient. Ce qui attire en l’autre est l’impression du connu du déjà vu. Acceptation et refus de manière paradoxale se coalisent dans ce choix Ce n’est qu’avec le temps de l’accommodation qu’on peut se dire : « Il ou elle est comme maman ou le contraire de maman, il ou elle est comme papa ou le contraire de papa » Après 15 ans de mariage et lors d’une dispute houleuse la femme elle-même étonnée a lancé à son mari : « Tu es radin comme mon père. » Cela signifie qu’aucun amour au monde ne peut remplacer l’amour, le seul immuable et indéfectible, l’amour parental dont l’empreinte subsiste aux tréfonds de l’âme.

C’est quoi donc l’amour ? La définition lacanienne affirme que : c’est vouloir donner quelque chose que l’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. Ce n’est jamais ça. Est abordée dès lors la notion de l’objet/leurre où s’entrevoit l’illusion d’une attente satisfaisante. Que signifie : « Je t’aimerai toute ma vie ? » promesse empreinte de sincérité et de fausseté puisqu’elle ne saurit engager un sentiment durable. La relation de deux êtres ayant des pratiques sexuelles n’est en réalité que du désir. Le désir comporte un cycle de trois ans. Il diminue, se mue en tendresse où se recherche avec nostalgie l’ardeur et la flamme du début. Des couples utilisent des stratagèmes en reconstituant des perceptions relatives aux premiers émois, le craquement d’une marche d’escalier alors que le corps palpite sous le drap en attente du plaisir fantasmé, la serrure de la porte qui grince. Mais la sensation n’est jamais celle des premiers frissons avec la patine du temps.

Les sentiments évoluent en fonction des caractéristiques sociales, de la place et des rôles de chacun, des droits accordés aux uns et aux autres. L’ascension sociale de la femme a instauré un dialogue nouveau au sein du couple. Autonomie et indépendance ne sont pas perçues de part et d’autre de la même manière. L’affirmation et l’estime de soi ont impulsé une volonté d’épanouissement chez elle que le masculin n’a pas eu le temps de digérer. La rapidité de ce nouvel état a bousculé ses certitudes sans lui donner la possibilité d’ériger des repères sécurisants face à une égalité et à une parité ressenties comme des menaces. Désormais les deux je se font face. Comment éviter l’affrontement ? L’égalité mal acceptée souvent pénalise les attitudes tendres, les gestes prévenants, la compassion dans l’adversité. Le double emploi professionnel et domestique installent les difficultés. Et pourtant l’augmentation du niveau de vie, les modèles présentées dans les séries télévisées de richesse, d’amour tendre et passionné, le miroitement des rêves possibles, ont permis de hisser au numéro un des revendications celle du bonheur. Chacun en a sa vision propre.

Aujourd’hui les femmes vivent moins de temps les liens conjugaux. 50% des mariages se soldent par des divorces. Un enfant rejoint celui né du premier lit, puis une seconde alliance se concrétise par la naissance du petit dernier. La pluri paternité qui s’était atténuée revient sous une forme autre que celle de la misère d’antan. Ces femmes ont un emploi et vivent avec trois enfants de noms différents. L’observation du phénomène devrait donner lieu à une étude approfondie en y décryptant le sens. Les personnes en grand nombre restent persuadées que le concept du bonheur est intégré au destin attaché à l’humain de sa naissance à sa mort. Cela signifierait que l’activité ou la passivité ne tient aucune place dans le devenir des individus.

La grande disparité des conditions d’existence (la famille, le pays, la naissance) trace une ligne de partage entre les uns et les autres mais n’empêchent pas qu’à l’intérieur d’un même groupe en difficulté quelques-uns bénéficient d’un certain bonheur. Les types de structure familiale génèrent des sentiments qui font naître des relations et des attentes de différentes natures. L’intimité familiale n’est pas le prototype de la stabilité intérieure. Il existe des familles chaleureuses, stimulantes, mais aussi des familles qui fonctionnent dans la menace constante.

Il y aurait-il des dispositions particulières au bonheur ? Tout le monde n’a pas le même possible face à des évènements inattendus. La capacité à tirer profit de la vie dans des situations susceptibles de provoquer le désespoir se retrouve chez ceux qui peuvent transformer les tragédies en expériences stimulantes pouvant faire émerger un nouveau but clair, bien défini qui rend caduc les choix contradictoires et secondaires. Telle l’angoisse qui est un moteur ou un frein selon la personnalité. Cet affrontement de nouveaux défis amène à une découverte fondamentale, non connue, car non perceptible en situation ordinaire : celle d’un remaniement ou d’une création d’une existence neuve, source de fierté. Mais ceci est conditionné par trois principaux critères :

  • Accepter ses limites en essayant de les dépasser
  • Essayer de changer les situations déplaisantes
  • Être tolérant envers l’autre et envers soi-même

La mise en place des stratégies de gestion démontre une grande capacité d’adaptation. Les ressources psychiques entrent en grande partie dans les stratégies d’affrontement et rétablissent plus promptement l’équilibre. Cependant il faut savoir :

  • Renoncer à orienter son énergie vers la maîtrise du comportement de l’autre, mais la concentrer sur la manière de composer avec lui.
  • Rechercher de nouvelles solutions en enlevant l’obstacle qui empêche la réalisation du but poursuivi en vérifiant la pertinence d’autres buts.

La question de la recette du bonheur est portée en permanence à l’adresse de la psychanalyste, comme si, son expérience de prise en charge de l’âme humaine la rendait détentrice des clefs ouvrant les portes derrière lesquelles se trouveraient la jouissance, l’absence de souffrance, la solution de tous les maux.

Finalement le bonheur c’est quoi ? Un état de plénitude total ? Une satisfaction de tous les désirs ? Une accession à la toute-puissance des divinités ? Il ressemblerait alors à un idéal impossible à atteindre. Sa notion de degré se perçoit au quotidien dans l’inventaire des petits et des grands bonheurs. Il ne saurait advenir sans une profonde implication dans l’accomplissement des actions, sans se donner des buts émanant d’une décision personnelle et se concentrer sur la poursuite de ces buts. On voit poindre là un élément important qui réside dans le sens à donner à sa vie. La tournure qu’elle emprunte s’oriente dès lors vers un projet de vie bien identifié, un engagement sans ambiguïté à travers une relation mutuelle entre effort et but, une volonté d’harmonie vers laquelle tendrait les buts. Le bonheur serait une série d’apprentissage où des corrections à apporter surgiraient en fonction des embûches rencontrées, tentative d’un équilibre intérieur et d’une humeur constante. Il ne saurait se fixer définitivement en chacun, mais serait modulé au fil des évènements extérieurs et de leur incidence sur la psyché.

Qu’est-ce qui empêche d’être heureux ? les interdits énoncés ou non dans son milieu familial ou son groupe d’appartenance : « Tu ne mérites pas, tu n’as pas droit ! », les buts contradictoires et les possibilités d’action incompatibles quand les pensées sont en opposition avec les actions, la cacophonie des croyances, des valeurs, des choix disparates synonymes de désordre et de confusion. S’autoriser à être heureux dans un couple qui ne garantit rien sur le plan de la durée et en attente de mise en valeur des potentialités de chacun, est un véritable exploit. Est-ce une raison pour ne pas être en quête de bonheur combien même serait-il fugace, fugitif ?

Le romantisme en regard à toutes ces réalités pourrait paraître désuet, fleur bleue, obsolète. Tout dépend sous quel angle il est envisagé.
Être parent ne dispense pas d’un peu d’enchantement en profitant à deux d’un diner aux chandelles à la maison, les enfants couchés, de partir en vacances de temps en temps sans eux afin de se retrouver, d’offrir des fleurs sans rien avoir à se faire pardonner.

 Madame la tendresse autant que monsieur la tendresse maintiendraient vivace l’intensité du lien et cet appui permanent si nécessaires à la relation amoureuse s’agissant de la durée du couple.

Fait à Saint-Claude le 16 février 2020 

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