Les conséquences psychologiques du confinement

L’observance des règles du confinement, chacun à sa manière, fréquence d’utilisation d’attestations dérogatoires, multiplicités d’achat de premières nécessités, promenades quotidiennes de santé, disparités des conditions d’habitat, permet d’étudier dans la globalité les conséquences psychologiques communes dues à cet enfermement au bout de cinq semaines.

La première semaine, temps de sidération, a été relayée par une quinzaine de mise en place d’une organisation susceptible d’accepter le vivre ensemble sept jours sur sept, marquant la survenue des difficultés ou d’accommodation d’une proximité inévitable des corps. L’analyse du temps écoulé a permis de collecter des données relatives au plus grand nombre et d’en faire un classement non exhaustif.

En tête se trouve :

  • L’ennui venu avec l’inactivité, l’immobilité, l’absence de projet et d’objectif. Ne plus avoir besoin du réveil matin durant plus d’un mois, ni d’obligation d’accomplir une tâche, créer un programme différent jour après jour qui ne génère pas de plaisir dans le face à face avec l’habitat nettoyé de fond en comble ne présentant plus d’attrait, même quand la permutation des meubles ne garantit en rien l’impression d’un changement, sont des perturbateurs qui se heurtent aux murs de l’inutilité. Le constat d’une absence de concentration, relecture de phrases non mémorisées, passage à vide momentanée en absence de rêve éveillé, soulignent le début d’une légère déprime. Puis arrive la clinophilie, vêtement de nuit conservé jusqu’à une heure avancée de la journée, diminution des douches et autres lavages, abaissement de l’image de soi particulièrement chez les personnes seules.

 

  • Les addictions, états de dépendance incontrôlable, celle au sucre inflige une double peine. Ce manque ressenti, ce vide à combler, ce besoin de réassurance précipite l’envie vers la nourriture/refuge sucrée, seul goût inné dont la fonction est de sécuriser jusqu’à rassasier et à apaiser. Le sucre c’est l’enfance, le réconfort, les desserts et les goûters, souvenirs de ces nourritures affectives dont les mères ont le secret. Double peine dans l’augmentation de la masse corporelle victime du grignotage. Ingestion considérable d’aliments, rétrécissement des vêtements, choix d’une garde-robe plus ample, incapacité d’amorcer un régime alimentaire avec le stress qui sourd, insatisfaction, tous ces critères participent au manque à s’aimer. D’autres addictions, l’alcool avalé en pente douce pour ceux qui ne prenaient qu’un verre de temps en temps à l’apéritif le week-end et les jours fériés. Maintenant, cette inaction prolongée obligatoire où chaque journée ressemble à la précédente, le verre du soir s’ajoute à celui du déjeuner pour « faire passer le temps ; ». Les personnes souffrant de maladies alcooliques sombrent dans l’augmentation du pire. Le confinement ne facilite pas le suivi du sevrage. L’addiction aux jeux informatisés ne demeure pas l’apanage des adolescents. Le geste répétitif d’un automatisme sécurisant empêche l’éclosion de la réflexion. L’isolement en est favorisé, il évite de se heurter aux autres, de rester à l’écart en silence. Il sert de contention à l’anxiété. La consommation de substances psychoactives et ses difficultés d’approvisionnement exacerbent les troubles de l’humeur, l’impatience, les séquences de somatisation et l’éclosion de la violence. En Polynésie française l’interdiction de vente d’alcool durant le confinement a généré des passages à l’acte dus au manque. L’arrêt brusque de drogue peut représenter un réel danger pour soi et pour les autres.

 

  • Le stress non identifié comme tel avec les jours et les heures qui échappent à la vigilance du lever au coucher du soleil, la fréquence des allées et venues, l’impression de tourner en rond, les tâches commencées en série et jamais achevées que l’on observe dans l’avancée du grand âge le DADA (défaut d’attention du à l’âge), l’épuisement sans raison apparente, n’établissent pas le lien avec l’anxiété tapie au fond de l’inconscient Cependant la patience envers les enfants bien gérée les deux premières semaines s’amenuise pour céder peu à peu la place à l’irritabilité. Les demandes réitérées : « Je veux voir ma maîtresse » du tout petit, ont épuisé toutes les réponses. Les pleurs d’insatisfaction, la détresse inconsolée sans autre parent pour prendre le relais et raconter une histoire interminable mine le moral. Le foyer monoparental semble plus en difficulté sans personne ressource face à l’imprévisible.

 

  • La violence intra familiale est en augmentation avec ou sans coups physiques, violence parent/enfant, violence enfants entre eux. Dans le registre de la conjugalité, elle est multiforme, plus fréquente car répertoriée grâce aux signalements de l’environnement. La prise de conscience, mainte fois répétée : « Mêlez-vous de ce qui ne vous regarde pas » infléchit la tendance de l’omerta encore trop courante. Les cris entendus plus souvent indisposent le voisinage.

 

  • Les troubles du sommeil sont révélateurs de l’inquiétude permanente comme le corps dont les manifestations émotionnelles dirigent les pas vers les toilettes plus souvent qu’auparavant. Insomnies, réveils brusques au milieu de la nuit, hypersomnies, ces dérèglements disent le mal à vivre une période jugée interminable au bout de cinq semaines, que la douleur somatique affole (tête, articulations, muscles.) Les attaques de panique avec leur sensation de mort imminente, les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) plus actifs, la phobie des microbes, l’hypocondrie (crainte d’avoir toutes les maladies) tiennent en état d’alerte paroxystique les personnes qui en souffrent et rendent leur sommeil plus difficile. Les déprimés luttent contre la tentative d’autolyse (passage à l’acte suicidaire.) Certains refusent la vie commune en utilisant le sommeil comme pare-excitation. Ils dorment tout le long du jour et se remettent à la verticale une fois la maison endormie. Une vie à l’envers, à contresens, d’où est absente toute forme de communication, un isolement signifiant seul et en famille. L’évitement dans une nécessaire préoccupation d’avoir plus d’air, plus d’espace, est comparable à un membre en trop qui se tient en retrait avant d’être confronté à un rejet réel ou supposé. Le phénomène se retrouve dans le « quittons l’amour avant qu’il ne nous quitte » soulignant un désemparement et une fuite face à la réalité. Que réserve le retour à la normale pour le groupe, comment échanger sur cette évidence. En parler ? Après peut-être.

 

  • Les troubles du langage chez l’aîné isolé qui s’entretient trop rarement avec une voix réconfortante lui donnant l’impression d’exister, débutent par une perte de vocabulaire, des hésitations, des répétitions, des oublis puis de la confusion. Sans incitation à communiquer, le délaissement ressenti accentue le repliement sur soi et l’amorce du désarroi.

 

  • La douleur morale, quand survient la mort sans veillée, sans bel enterrement ni dernière caresse, à fortiori quand le défunt par-delà la mer n’est pas contemplé, la douleur morale érode l’âme, refuse les étapes du deuil indispensables à son acceptation. L’absence de rituel mortuaire propulse l’angoisse au premier plan, étalant les regrets en culpabilité. Dans une maisonnée où vivent plusieurs membres d’une famille, le décès de l’un cimente le soupçon d’être responsable de la propagation du virus, agression inconsciente et torturante jusqu’au ressenti de l’impact du syndrome du survivant : « l’autre a donné sa vie pour épargner la mienne. » Accusation et persécution, culpabilité et angoisse, tant d’éléments entremêlés pas nettement perçus sur le plan conscient mais pourvoyeurs de mal-être. Un florilège de menaces intérieures se heurte à la question du : pourquoi moi, sans réponse avec en résonnance la douleur morale. Le retour à la maison d’un sujet guéri après passage à l’hôpital est aussi une interrogation permanente s’agissant de la transmission du virus dont rien jusqu’à présent ne prouve l’immunité après contamination. Le tout petit qui tend les bras, chaque geste, chaque déchirement, le doute, la crainte, le regard des autres et l’intime conviction de lire dans leurs pensées une appréhension, croire que rien ne sera comme avant. Est-ce comme cela que l’on devient un virus, la personne a disparu ? Le crier au monde entier.

 

  • La notion du temps est tributaire des charges émotionnelles et de la qualité de l’environnement. Quel jour est-on ? Jeudi ou vendredi ? La date s’efface assez rapidement si le calendrier n’est pas consulté de temps en temps. Le repère est la précision du lundi parce que la mémoire intègre plus facilement les déplaisirs et les restitue. Le lundi c’est le jour de tristesse de la reprise du travail après un repos mérité. Mais après le lundi, la routine des occupations domestiques les confond. C’est plus simple pour les enfants, ils utilisent des traits sur le calendrier en attendant le retour à l’école.

 

Dans un temps premier, les personnes ne sortiront pas indemnes de ce confinement. Des travaux canadiens démontrent que l’isolement peut participer à l’émergence d’hallucinations ou d’expérience de sortie du corps, sensation de flotter hors son enveloppe corporelle.

Une bienveillance envers soi peut atténuer les effets négatifs de cette privation de liberté et de contacts sociaux. Se vêtir, se coiffer, s’attarder devant le miroir, profiter de cette période troublée pour amorcer une introspection sans indulgence en essayant d’élaborer des plans pour la vie à venir. L’harmonie avec soi passe par l’harmonie avec les autres. On ne peut aimer les autres si on ne s’aime pas soi-même.

Fait à Saint-Claude le 24 avril 2020

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