Le retour du migrant

Publié dans Le Progrès social n°2633 du 29/09/2007

Voyager c’est partir et revenir. Après nombre d’années passées en France des Antillais envisagent de retourner au pays natal 

Quelques-uns font ce choix au moment de la retraite. Les plus prévoyants ont terminé une construction commencée deux, trois ans auparavant, faisant suivre les travaux par des parents bienveillants. D’autres sur place, choisissent et achètent une maison désireux d’éviter les tracasseries de mal façon, de travaux interminables ou inachevés. « L’assurance d’une eau qui coule dans les robinets sans rupture de tuyauterie est confortable. » Les retraités recherchent la tranquillité et le calme après une vie que la rapidité a bousculé. Ils sont ceux qui n’ont aucune alternative. Ils doivent passer le reste des années à vivre ici, ils l’ont décidé, ne serait-ce que six mois par an. L’appartement ou le pavillon conservé pour les plus nantis sert à maintenir les liens avec les petits-enfants. On pourrait croire que cette situation les met à l’abri des inconvénients relationnels, principalement avec la parentèle. Ce serait occulter les différences de comportement. Des choses aussi banales qu’une invitation à manger ou l’heure du lever, posent problèmes. Une table mise pour six de façon intimiste accepte difficilement neuf couverts quand la maison est meublée à l’européenne. Le téléphone/matin à 07 heures le samedi ou le dimanche, n’arrange pas l’humeur pour la journée entière.

Même édicté, le refus de ces pratiques demeure lettre morte. La force de l’habitude installe une mésentente et une suspension des liens. L’esprit de conciliation prolonge d’un répondeur la ligne téléphonique, acquiert des tabourets/dépannage et s’adapte de surcroît au plombier et à l’électricien en retard de quelques jours quand ils daignent venir. La ville n’est plus à horaire continu : elle ferme entre midi et deux. Elle est morte à dix sept heures trente et le samedi après-midi. La région est en zone tropicale et le rythme de vie est autre. A la longue ils finissent par en apprécier le charme et à s’aligner sur la dimension du temps. Petit à petit les souvenirs d’antan, ceux du moment d’enfance, imposent au pas leur cadence. Le soleil et les sourires partagés gomment la tendance à rechigner «  pour des riens. »Au bout de trois ans l’accommodation jette aux orties la ponctualité, la programmation des semaines à l’avance des invitations, l’interdiction de visites spontanées. Mais se ressent encore cette pensée d’un enrichissement dissimulé. Le mythe du départ vers l’Eldorado, le retour du migrant fortuné, sont vivaces.

Les plus jeunes emplis de vivacité et d’expériences à dévoiler, tellement contents d’avoir obtenu un poste  après tant d’attentes hivernales, ont du mal à encaisser les attitudes contrastées ou hostiles dans le monde du travail et de la famille.

Les difficultés liées au travail sont d’abord dues à l’insuffisance ou l’inexistence des équipements. L’utilisation du matériel à usage unique n’est pas généralisée aux services de soins. La pénurie de draps, la vétusté des chariots, l’outil informatique absent, surprennent les soignants dont c’était le quotidien.

La question du rythme

« Nous ne sommes pas à la tâche, mais à la journée » instaure une division et le sentiment de « tout faire » au sein d’une administration engluée dans la torpeur. Les arrêts, le didico de dix heures, le repas coûte que coûte, distillent une atmosphère détestable. La ronde à laquelle ils ont du mal à s’intégrer, fait espérer les jours de repos hebdomadaires. Les congés de maladie compliquent une organisation pensée. Tout est déconstruit, tout le temps. L’ordre instauré pour une stabilité de fonctionnement n’existe plus. Semblable au désordre des pays de misère, la relation au travail ne saurait s’investir. A cela s’ajoutent les rapports de pouvoir, les alliances secrètes avec la hiérarchie, l’apparenté des collègues. Toutes choses ignorées dans un univers où étaient mis en valeur la performance, l’évaluation, l’organisation des tâches et la satisfaction de la personne servie. A l’inverse, les autres se sentent agressées à l’intérieur de leur territoire par ceux qui veulent démontrer qu’ils ont la science infuse, les connaissances supérieures d’un grand pays. Deux camps distincts qui s’observent de près étayant une rivalité basée sur la démonstration d’un savoir unilatéral.

La rencontre avec la famille et son style de vie constitue un fardeau de plus à gérer. Le « qu’en dira t-on » multiplie les mises en garde. La tenue vestimentaire, la fréquence des sorties, la franchise du verbe, mettent des freins au cheminement de l’adulte. L’infantilisation est vécue comme une régression : le coût de la gratuité du logement. S’entendre dicter sa conduite, se faire rappeler la norme en vigueur dans la société, augmentent le malaise causé par l’emploi. Vivre en conformité avec sa famille après une longue période de liberté totale exige beaucoup de concessions et d’abnégation. La souffrance est une donnée qui imprègne petit à petit le revenant. Elle s’installe à bas bruit sans qu’il n’y prête attention. Un seul élément ne saurait la justifier. Le travail, la famille, l’environnement participent aux difficultés de l’adaptation. La dureté des mots, la parole non tenue puisqu’elle n’a pas valeur de contrat, déroutent. La rumeur, les cancans dont les petits pays s’alimentent, désarçonnent l’honnête. Les formes différentes de fonctionnement enferment les revenants dans une bulle d’incompréhension. Eux dont le désir profond était de porter leur pierre à l’édifice commun. Eux qui pensaient partager les acquis en les mettant à disposition. L’amitié qui pourrait être un soutien manque. La venue en solitaire favorise les échanges pour le masculin, moins pour les femmes dont les relations amicales sont plus difficiles d’accès. Le départ a effiloché les fréquentations d’antan. Puis les différences de vue maintiennent la distance. « Les vacances n’avaient pas du tout laissé présager ce vide. L’accueil avait été satisfaisant. »

L’implantation dans un lieu ne requiert pas la même attention. Le vacancier est de passage : il doit être reçu. Conservant cette image et l’espérant pour le retour, on comprend combien le pays rêvé est loin. Ce qui se joue là, c’est l’impossible récupération du paradis perdu. L’imaginaire l’avait édifié à sa manière, à la hauteur du manque. Il est venu tel un  mythe entretenu procurer du bonheur, rien que du bonheur. Le rendez-vous raté de ceux qui ne peuvent plus revenir sur leur pas reprendre la place laissée là-bas met en évidence leur déracinement. La demande de réparation prend allure de revendication : ils exigent, se cabrent, voyant partout des persécuteurs. D’autres sombrent dans la plainte somatique : les chevilles et les genoux ont du mal à porter le corps longtemps, les migraines vrillent la tête ( trop encombrée ?) Le constat du « pas de place assignable » conduit aux actes suicidaires. Le doute identitaire surgit au moment où l’isolement profond génère de la déprime. Le questionnement de la non-reconnaissance est amorcé. Etre étranger parmi les siens : la pire des atrocités après le vécu de la migration. Le mal-être quête chez le psychothérapeute des stratégies de survie psychiques et les réponses adéquates à donner aux attentes des autres. Ils viennent chercher un enseignement et tirer partie de l’expérience de celui ou celle qui a réussi son adaptation en surmontant tous les obstacles.

Le deuil à faire de ce pays rêvé est parfois long et douloureux d’autant plus que le pays quitté est présent dans l’imaginaire. La majoration des déceptions va le maintenir dans une idéalisation optimale. Le travail psychothérapique consiste à relativiser ce qui a été quitté et qui ne peut plus être rejoint, et à accepter la réalité telle quelle est en essayant de se faire une place non négligeable. Proposer sans imposer, suggérer, construire un modèle procèdent d’une volonté d’adaptation.

( Cf Progrès Social du 14/07/07« Le projet de retour » N° 2621.)

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