Le matricide : du fantasme à la réalité (1ère partie)

Chaque année en France, on recense 30 à 40 parricides. L’âge des auteurs qui tuent leur parent ou les personnes ayant autorité parentale est aussi variable que les mobiles du passage à l’acte. Cette violence agie est qualifiée d’horrible quand il s’agit d’enfant tueurs (certains n’ont que 10ans), d’adolescents meurtriers, mettant à mort toute leur famille ou les élèves de leur école avec une grande détermination.

Le parricide du fils sur le père s’ancre dans une autre représentation que l’acte perpétré sur la mère dont l’image est sacralisée. La transgression de cet interdit suprême : « on ne touche pas à la mère » a des conséquences sociales et psychologiques aggravées parce que la malédiction de la mère à genoux poursuit l’auteur tout au long de sa vie.

Quand survient l’impensable, la fille qui assassine sa mère, la raison a du mal à intégrer le ou les motifs qui poussent à refuser de devoir la vie à celle que l’on tue. Les modalités de ce comportement se constituent dans la prime enfance. Dans le processus de son développement, le jeune enfant est soumis à des expériences de gratifications et de frustrations dans la recherche du sein maternel. L’incapacité à tolérer les frustrations du sein rendu mauvais par son absence ou son retard, va donner lieu à des perturbations qui s’atténueront avec la formation de l’appareil à penser.

Cependant, certains n’arrivent pas à accepter les frustrations et tentent en vain d’évacuer de la psyché les mauvais objets intériorisés. Est amorcée à ce stade une idée du corps propre (lieu de l’excitation et du plaisir) ainsi qu’une idée du corps maternel (agent de la satisfaction.) Des failles s’installent quand il n’y a pas d’apprentissage de gestion des frustrations dans le temps : failles de la constitution de soi, de l’amour de soi, failles du processus de séparation dans une grande dépendance à la mère. A partir de cette période orale l’élaboration du fantasme s’appuie sur l’absence de l’objet d’amour. Il existe un lien entre ce qui se joue dans la petite enfance, la pathologie de l’adolescence et les troubles du comportement.

La relation mère/fille

Cette relation est parfois plus compliquée que sereine. L’amour maternel idéal n’existe que dans l’imaginaire. Il y a un refus à croire qu’il n’est pas irréprochable et même les enfants maltraités s’accrochent à l’idée qu’ils sont seuls responsales de cet état de fait. Ils méritent le mal subi. L’enfant parce qu’il est totalement dépendant ne peut détester sa mère et préserve l’illusion du qualificatif de mère suffisamment bonne.

La relation de la mère à son fils n’est pas du même ordre qu’avec sa fille. Avec la fille le lien s’inscrit dans une continuité filiale sans satisfaction totale, dans une attitude ambivalente. Elle attend que celle-ci se comporte comme on l’a exigé d’elle, ou qu’elle sera ce qu’elle n’a pas réussi à être. Elle se demande rarement ce qui est bon pour l’enfant, elle l’encense si elle répond à ses attentes et la rejette en cas contraire. Elle l’aime en fonction des satisfactions qu’elle lui procure. Moins de liberté accordée, plus d’avis formulés dénotent une anxiété qui ravive ses propres angoisses à elle, contrairement au fils dont la différence est acceptable.

Ainsi le jeu des identifications de génération en génération, s’engouffre dans la répétition. La fille s’identifie à sa mère tout en intégrant d’autres éléments de son entourage indispensables à son processus de développement, mais son avenir féminin, sa construction identitaire, passe par la représentation maternelle. Ce lien fusionnel de l’enfance est coloré de rivalité, pour la place auprès du père, rivalité structurante qui intervient aussi plus tard à la période pubertaire dans un besoin d’indépendance et de démonstration de l’être soi.

S’ouvre alors une situation paradoxale d’un lien très investit et en même temps en butte à une opposition parfois mal vécue par la mère qui se sent trahie. La fille afin de préserver cette attache refoule ses réactions hostiles ou les accentue dans le but de trouver une solution. Pourtant, la séparation est nécessaire, elle permet l’individuation et la différenciation à cette période charnière.

Il est à noter que la qualité de la séparation dépend de l’antan d’enfance. L’enfant qui a vécu une symbiose insatisfaisante connaît l’angoisse de voir sa mère partir et ne plus revenir. L’insécurité s’installe. Quand la mère ne s’adapte pas à ses besoins et exige autre chose, l’enfant n’aura aucune confiance dans ses désirs et s’en remettra toujours à autrui. La construction de la conscience de soi dépend du comportement maternel : bien investi, le petit humain aura un narcissisme à toute épreuve, contrairement à l’enfant en absence dans le désir de sa mère.

L’amour du père est aussi important ; il peut pallier les manques maternels, mais sécurise autrement. Parfois mal supporté, le poids de la toute-puissance maternelle, enferme la petite fille dans une position d’infériorité. Cette relation exclusive écorche son narcissisme ; gomme sa féminité, entache d’échec ses rencontres amoureuses futures. Confrontée à des frustrations répétées, elle nourrit une colère intérieure qui peut se muer en rage : elle en veut à sa mère d’avoir un immense pouvoir. La compréhension de tels sentiments parvient à temporiser la force de l’hostilité à la mettre en berne, à la dépasser, à apprendre à la gérer en arrivant à l’exprimer. Quand les émotions hostiles sont réprimées, elles sont refoulées et peuvent resurgir plus tard à la puberté.

Le temps d’adolescence

La sortie de l’enfance où l’état de dépendance a institué un univers confortable, n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Après le temps de latence (4-11ans), la puberté ravive les conflits car la fille envisage d’accéder au même statut féminin que sa mère et à la même capacité de séduction. La rivalité entre mère et fille s’accentue et s’exacerbe, l’opposition s’exprime dans des accents violents plus ou moins acceptés. Une relation sans accroc doit aller par-delà l’aspect de la complicité, interroger les capacités d’individualisation et les raisons qui empêchent la fille d’affronter la peur de la séparation.

La rivalité de la fille envers la mère est saine. Mais certaines mères ont tendance à rejeter l’idée d’une fille qui grandit, qui leur échappe et qui aussi leur fait prendre conscience d’une avancée en âge, caractéristique du vieillissement. Que révèle cette rivalité ressentie comme un danger par la mère ? C’est la perte d’une place mal assurée dans une incertitude de sa féminité, qu’une autre femme peut lui enlever. L’ombre de la première femme, sa mère, peut réapparaître. C’est-dire l’angoisse réactivée d’en être dépossédé, parce que non exprimée, refoulée, elle craint que l’histoire ne se répète avec sa fille : danger ancien de perdre encore, car auparavant elle avait abdiqué pour conserver l’amour maternel. La femme qui n’a pas pu vivre la compétition avec sa mère, sauvegardant la relation, perçoit toutes les autres femmes comme dangereuses et menaçantes susceptibles de la ravaler à un stade inférieur. La fusion gomme la rébellion qui s’engage dans une impasse culpabilisante, hors du désir propre, plus dans le désir de l’autre.

L’opposition permet d’exister dans un besoin de différenciation, d’acquisition d’indépendance, de séparation du premier objet d’amour. Elle ne signifie pas agressivité ou violence ou irrespect, mais besoin de délimiter son territoire ; de prendre ses marques, d’être confronté à son soi en amorçant une distance nécessaire et indispensable ; être hors champ du désir maternel et parental. Afin que l’opposition soit constructive, la participation des parents est souhaitable ; ils doivent trouver le bon écart, l’attitude adaptée à l’enfant en gardant leur place de parents.

Un énoncé clair basé sur un respect réciproque dans un esprit de négociation mène à des compromis acceptables La sexualité comme espace réservé est importante dans le processus de séparation, parce que la fille a droit à son intimité et à son jardin secret. Il est très compliqué d’avoir une vie sexuelle, d’être indépendante et de conserver une relation fusionnelle avec sa mère. Elle doit aborder le versant de sa sexualité sans avoir à subir les jugements maternels. L’absence d’engagement sexuel peut signifier l’accrochage au lien maternel parce que aucune jouissance n’est possible en dehors d’elle, éternelle petite fille sage, lui évitant toute angoisse anticipée.

Fait à Saint-Claude le 27 août 2020

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