Le lieu de travail ne devrait pas procurer un sentiment de malaise aussi grand chez toutes les catégories socio-professionnelles qui se plaignent de plus en plus d’y être en insécurité. Souvent en état de choc après une agression, le besoin de comprendre la situation mais aussi de trouver une voie de dégagement de la peur, motive une prise en charge psychologique. L’agression venant d’une personne extérieure au service concerne une interaction entre deux personnes ou entre une personne et un groupe. Il peut s’agir de menaces, de passage à l’acte avec violences physiques, d’insultes.
Deux situations courantes mettent en présence des caractères individuels : la surprise de l’altercation immédiate avant toute communication, la flambée de colère après un échange tendu. Dans le premier cas, la rapidité de l’agression ne laisse pas le temps d’une organisation de la pensée. L’émotion submerge révélant la personnalité dans un réflexe automatique, riposte ou fuite, le comportement va accentuer l’escalade de la fureur ou la stopper. La victime combien même elle écrase le vis-à-vis en le dominant, ne se sort pas forcément indemne d’un certain mal-être. Quand un belligérant est battu et demande grâce, l’environnement professionnel approuve mais l’intime conviction, la conscience d‘une situation inadaptée à la perception du service rendu bouscule les valeurs professionnelles. Il s’agit de l’échec de la vision que l’on a de l’approche de l’usager. Le sommeil subit des perturbations à cause de la perte de contrôle, dans une image déformée de soi.
Le second cas autorise une perception plus fine d’une communication dysfonctionnelle capable de déboucher sur une explosion. La capacité de jouer le jeu de l’apaisement n’est pas aisé puisque c’est une posture qui s’apprend, mais elle permet de trouver des stratégies de mise à distance par une maîtrise des émotions. Refuser à l’autre de pénétrer dans sa sphère de violence c’est s’abstenir d’être son propre reflet, lui signifier la difficulté d’une négociation dans l’incompréhension en gardant son calme à défaut de posséder les clés de la gestion des conflits. La contention des émotions évite de se laisser submerger par les attaques de l’idéal du moi.
L’observation de la gestuelle corporelle : mâchoires et poings crispés, regards furieux ou fuyants, élévation de la tonalité de la voix, respiration accélérée sont des signes avant-coureurs d’une agression. Les mots aussi doivent alerter sur le probable passage à l’acte : évocation de la notion d’injustice, mise en accusation de la personne ou du système, mépris proféré.
L’agression peut être dirigée vers une personne ou les biens mobiliers : chaise renversée, coups sur la table, tableaux arrachés.
Quelles sont les raisons qui génèrent de vives tensions dans le rapport à l’usager ?
- La constitution de dossiers jugés urgents concernant le social : demande d’aide qui traîne en longueur sans explication logique, de logement, d’ouverture aux droits sociaux.
- Les avis d’imposition difficiles à gérer par le moyen informatique et sa longue file d’attente indispensable pour l’obtention d’un accompagnement vire très rapidement en contrariétés. L’argent est souvent sujet à agressivité, il représente l’ascension sociale vers laquelle on tend. Se sentir dépendant, sans possibilité de comprendre l’établissement des obligations étatiques, ne facilite pas les rapports avec les employés. Ils représentent l’institution dans son ensemble, la colère se trompe d’objet.
- Le sujet sensible est celui de l’enfance même si l’école et la crèche sont perçues comme pourvoyeurs d’apprentissage, de socialisation, d’aide à l’éducation. Les parents auraient préféré ne pas entendre les discours négatifs s’agissant de la conduite de leur progéniture, leur échec à assimiler les connaissances. Il est certes plus simple de mettre l’accent sur les insuffisances de l’enseignement, les préférences de ceux désignés plus conformes aux attentes de l’école.
- Les urgences hospitalières dont le délai de la prise en charge est considéré comme méprisant, chacun se pensant prioritaire.
A noter que les institutions publiques cristallisent des insatisfactions et des frustrations sanitaires et sociales.
L’agression entraîne des répercussions sur la santé, elle peut être reconnue comme accident de travail si elle génère des troubles psychologiques. L’employeur est tenu s’assurer la sécurité, la santé physique et mentale des salariés. En cas d’atteinte portée à ces trois items, il peut voir sa responsabilité engagée. Dès lors, il est nécessaire que les entreprises se dotent d’un véritable projet apportant des réponses satisfaisantes au problème tels : la formation du personnel en matière de gestion des conflits, l’organisation du travail, l’accueil des usagers, la prise en charge des victimes, la sécurisation des lieux. Par exemple s’agissant de la prise en charge des victimes, le syndrome post-traumatique dû à des violences verbales répétées, est rarement pris au titre de la maladie professionnelle et de plus quand il est reconnu, il est soumis à des conditions restrictives, parce qu’il n’est pas visible comme dans les violences physiques.
Les témoins sont également victimes collatérales d’une situation qui ne leur donne pas l’opportunité d’intervenir, figés dans une problématique d’un refoulé qui fait retour, ayant été eux-mêmes agressés à un moment de leur vie, la culpabilité va se transmuer en manifestations somatiques (accélérations cardiaques au moment de pénétrer le lieu de travail, perturbations du sommeil.) La non-reconnaissance de leurs troubles va donner lieu à une rumination mentale altérant leur rapport à autrui.
Le traumatisme des personnes victimes d’agression sur le lieu de travail est d’autant plus perturbant qu’il y a difficulté pour l’employeur de reconnaître une implication dans le phénomène : manque de personnel, tâche difficile à assumer, moyens matériels insuffisants, insécurité des locaux, faiblesse de l’organisation occupationnelle. L’indifférence de la hiérarchie heurte les sensibilités en donnant le sentiment que l’acte d’agression est banalisé, exagéré dans la forme d’expression. Le salarié en ressent une profonde amertume.
Les répercussions sur la santé de ces violences sont immédiates ou à plus long terme. Le stress selon les personnalités donne accordage à une sidération totale ou au contraire à une agitation. Il s’étale sur plusieurs semaines opérant des désagréments somatiques et psychiques. Les violences répétées dans les zones à risque engendrent un stress post traumatique dont les effets s’ancrent dans une perte de confiance en soi, émaillée de moment de déprime, d’une anxiété généralisée. Souvent les sujets s’abiment dans des addictions à l’alcool, aux tranquillisants, à la recherche de l’apaisement d’une peur intense qui les empêchent de s’accomplir sur le plan professionnel, en proie au sentiment d’infériorité et d’échec personnel. Le climat d’insécurité ressenti au travail est corrélatif au taux d’absentéisme.
La prévention axée sur les méthodes d’accueil et la gestion des conflits dans des cycles de formation pour les personnels, a un double bénéfice : la maîtrise des émotions individuelles, l’établissement d’un climat de sécurité favorable à la bonne marche de l’entreprise. Sur le plan juridique, des démarches autorisent le salarié à obtenir une prise en charge psychologique lui permettant d’évacuer les effets nocifs du passage à l’acte.
Fait à Saint-Claude le 02 octobre 2022