La tempête Fiona : traumas et conséquences psychologiques

La tempête annoncée le 16 septembre avait remis en mémoire le désastre que le cyclone Hugo avait semé dans l’île. A la même date se pourrait-il qu’un phénomène identique puisse causer des dégâts de cette nature chuchotait-on. Les plus superstitieux se signaient, les autres attendaient les évènements. Vendredi midi, la fermeture des écoles et des institutions donnait le départ d’une mise à l’abri cautionnée par la vigilance orange. Ses manifestations étaient attendues dans la nuit. Des personnes maintenaient un état de veille, leurs interventions sur les radios signalaient des pluies abondantes, des éclairs et des orages.

Samedi matin à l’aube des visions apocalyptiques parvenaient à ceux qui étaient au sec. Le sud Basse-Terre était dévasté. L’eau avait charrié de la boue, emporté des maisons, déplacé des véhicules. Une population hagarde, en état de sidération n’avait pas encore réalisé l’étendue du sinistre. Les routes impraticables à quelques endroits complétaient le panorama des ponts cassés, disparus (celui de saint Louis refait récemment dont il ne reste rien). Les rivières sont sorties de leur lit obligeant les humains à fuir les alcôves tièdes et confortables. Elles ont accompagné la boue avaleuse de jardins créoles, de basse-cour, de vérandas. Les maisons ont plié sous la force du phénomène jetant au dehors des habitants apprêtés pour une nuit de sommeil. Il est 01h30 du matin, la tempête Fiona fait rage. Elle pénètre chez les gens par effraction se cognant aux murs, fracassant le mobilier, inondant les pièces. L’envahissement par les eaux dans la région de la Grande-Terre sujette à inondations, avait laissé fuser des plaintes de difficultés d’écoulements pluvieux deux semaines auparavant. Terres de mares, les causes ne sont pas imputables aux crues puisque les rivières coulent toutes dans la région de la Basse-Terre. Cette nuit-là les ruisseaux se sont transformés en torrents destructeurs dans plusieurs communes. L’état de catastrophe naturelle a été décrété.

La nuit la fantasmagorie des ombres imprécises décuple l’angoisse. Les choses sont amplifiées. Le jour le réel est visible, les contours sont plus nets, ils désariment la peur. L’alerte a d’abord été donnée par l’ouïe, la violence de l’effraction, puis la recherche de l’origine du bruit, enfin la vision de l’évidence. Les personnes sont en tenue de nuit, débarrassées du carcan social des vêtements de jour. La situation de sauve qui peut qui s’en est suivi a saturé leur perception de peur, une peur massive : celle de mourir avant que n’arrive les secours. Être incapable de contenir la masse qui augmente sans possibilité de sauvegarder quoi que ce soit, ne penser qu’à sa vie, c’est faire face à sa fragilité d’humain et à la prise de conscience d’être mortel. Les catastrophes naturelles génèrent des formes d’inquiétude selon la sensibilité de chacun. Personne ne saurait augurer d’une absence de cataclysme durant la période cyclonique ; seules les prévisions fournissent des renseignements parfois imparfaits vu la variabilité des intempéries. Cependant les individus espèrent ne pas être au milieu de la tourmente et sortir indemne des conséquences psychologiques à court, moyen ou long terme selon leur vécu de l’évènement. Plusieurs comportements sont à l’œuvre dans les traumas.

La sidération fige le sujet dans une incompréhension le mettant en dehors de toute émotion. En état de choc, il ne comprend pas ce qui arrive, comme si la pensée ne pouvait plus cheminer dans un ordre logique. L’hébétude annihile la sensibilité, convoquant une absence de réaction. Quelques-uns continuent à vaquer à leur occupation comme s’ils n’avaient pas entendu ou compris la situation. L’instinct de survie au dernier moment dans un sursaut autorise une action. Semblable à cette dame réfugiée sur le toit de sa maison.

L’agitation improductive donne l’illusion de sauvegarder les biens auxquels on tient. La désorganisation accentue la perte de contrôle face à la surprenante force des éléments déchaînés, et augmente la détresse. L’impossible lutte se termine dans l’abdication et la résignation.

Le stress s’implante de façon insidieuse et durable. Il s’exprime sous des formes diverses : pleurs non retenus, colère, manifestations physiques et physiologiques, perte d’appétit, accélération du rythme cardiaque, douleurs corporelles, perte de la pilosité, grande lassitude, agressivité. Il peut être suivi du stress post traumatique augmentant les troubles.

La tempête Fiona a pénétré par effraction, faisant fi des portes et des fenêtres, avec une violence destructrice, l’intérieur des maisons assimilé au corps. La maison est une coque sécuritaire, tel un utérus maternel, elle protège et préserve des nuisances extérieures. Vécue comme une attaque de l’intime, l’effraction porte à l’ordre de la conscience le pourquoi moi, révélateur de la culpabilité. Le sujet dès lors, recherche dans sa mémoire la faute commise, retournant contre lui la cause non identifiée justifiant le malheur. Être une cible, accentue dans l’imaginaire la notion de victime doublée d’un sentiment de dépossession, de mise à nu quand on a tout perdu, l’impression d’être un étranger sans papiers dans son propre pays, sans histoire, sans mémoire quand la boue a emporté on ne sait où les justificatifs d’identité, les souvenirs photographiques.

Le dénuement le plus complet procède à une déshumanisation à l’instar du sujet incapable non seulement de parler mais de dire avec exactitude son âge, noyé sous les sanglots de la détresse. Avoir vu partir une vie de labeur dans une totale impuissance, oblige à baisser la tête en signe de faiblesse, à courber l’échine sous le poids de la désespérance. Après l’éloignement de la culpabilité va s’imposer la honte d’être devenu différent aux yeux d’autrui. Tout le monde sait que l’on n’a plus rien. Le sentiment d’infériorité balise le surgissement de la phobie sociale, surtout chez les enfants dont le matériel scolaire a disparu, combien même il serait remplacé. L’investissement affectif dans le choix des outils scolaires, les vêtements neufs à peine portés, leurs pertes, donnent lieu au surgissement d’une complexité de sentiments négatifs où s’inscrit la baisse de performance, l’évitement d’activités sociales dont la mise à distance de la scolarité. L’impression de regards porteurs de jugements, va imprimer de l’humiliation et du rejet ressentis de façon subjective. En guise de prévention, la gestion du mal être, doit organiser un debriefing psychologique et si besoin est un groupe de paroles pour les plus touchés. L’adolescence et l’enfance demandent des prises en charge adaptées leur permettant de récupérer la confiance en soi.

L’abandon et son expression s’entendent dans l’absence d’eau différant le nettoyage des habitations, une souffrance chronique due à la privation de ce liquide plus qu’indispensable dans une telle situation putride d’embourbement. Le refoulé fait retour, et l’accusation éternelle d’irresponsabilité dirigée vers les décideurs de sa distribution se renforce. Les sinistrés ont besoin d’aide. En première instance, alimentation, vêtements, mise à l’abri, relogement, se mettent en place. La solidarité ne cesse d’être à l’œuvre à travers plusieurs actions mobilisatrices spontanées de la population. Sans annonce médiatique, sans images montrées, le collectif de lutte des bik a reziztans, coordonne des sessions de nettoyage des habitations, véritables coups de mains dans la zone sinistrée de Rivière des pères. Une collecte de produits de première nécessité renforce la solidarité de ceux qui privés d’emplois et de salaires, trouve l’énergie de s’occuper des autres, de leur prodiguer du réconfort en ce moment où le lien social et affectif est indispensable. Le lakou santé a pris en charge à goyave les corps meurtris par la situation traumatisante. La présence de personnes bienveillantes est un véritable baume pour le désespoir.

Le sinistre donne à entendre une détresse plus grande cette fois, la région du sud Basse-Terre ayant déjà subi de considérables dégâts lors du cyclone Marie-line (1995) où vents violents, crues des rivières et houle de la mer avaient conjugués leurs méfaits, brisant la résistance des constructions. La plainte est plus lancinante, laissant percer l’acuité de la souffrance qui n’avait pas encore trouvé d’apaisement depuis l’avènement de la pandémie de coronavirus. Une perte de plus après celle des salaires, des vies, de la cohésion familiale, de la santé. Une perte qui vient s’ajouter à tout espoir de croire à un rééquilibrage d’une réalité sociale de plus en plus en déliquescence. Une perte en la foi d’un avenir meilleur.

Les mesures d’urgence pour le relogement seront t’elles capables d’organiser l’installation durable d’une population encore couchée dans des écoles ? Comment pourvoir au manque des plus démunis sur le long terme ? Cette catastrophe devrait servir de test d’une mise à l’épreuve d’une politique qui devra fournir les preuves de son efficacité.

Une dame dans une voix émaillée de sanglots raconte : « Il était 01h30 quand un énorme bruit me fit sursauter. Je ne l’ai pas identifié tout de suite. L’eau boueuse a envahit la maison sous nos yeux incrédules. A ce moment-là, un voisin a frappé à la porte, il est entré avec une grande quantité de liquide qui arrivé à nos épaules nous a obligé à monter à l’étage puis sur le toit. Incapable d’appeler des secours, nous avons attendu. J’ai cru mourir. Depuis je parle sans cesse en pleurant dans l’impossibilité de nettoyer la maison de préparer le repas, je souffre de partout, le sommeil est rare et tourmenté. Une boule là m’oppresse en permanence. C’est la première fois que je me retrouve dans une telle souffrance. D’habitude à l’annonce d’un cyclone, je me réfugie dans un abri de la municipalité, ou chez ma famille. Puis je reviens nettoyer la maison que la mer a noyé. La houle à deux reprises pendant le mauvais temps a occasionné des dégâts toujours en notre absence programmée. Cette fois-ci, nous sommes restés puisque l’absence de vent, de pluies, était rassurante. Nous n’attendions pas la rivière. » Les terrains, dit-elle, ont été donné par la municipalité, chacun y a construit à son gré, un héritage transmis depuis deux générations sur des terres inondables. « Je n’abandonnerai pas ma maison pour un appartement où je paierai des charges et un loyer. Tous mes voisins reviennent dans les lieux. Cependant chaque fois que la pluie est abondante la boule dans ma poitrine est intolérable. »

La prise en charge psychologique de la population fonctionne depuis plus de 16 ans dans les établissements hospitaliers, où la CUMP, la cellule d’urgence médicopsychologique et ses équipes formées au debriefing(déchokage), organise des groupes de paroles. Elle se déplace à la demande, favorisant l’expression orale du ressenti. La Soulagerie dans le même registre reçoit le mardi de 14heures à 17 heures, le mercredi de 09 heure à13 heures les personnes en situation de détresse nécessitant un debriefing. En cas de demande de prise en charge sur le long terme, le centre médicopsychologique de chaque ville, accueille les personnes en situation de souffrance psychique.

La Guadeloupe ne dérogera pas à la règle, elle soignera ses plaies en continuant d’avancer. Un trauma réactivant un autre trauma non traité doit trouver une solution pérenne avec le soutien de spécialistes. L’anxiété jusqu’à la fin de la saison cyclonique au mois de novembre, a la possibilité de trouver une résolution apaisée.

Fait à Saint-Claude le 25 septembre 2022

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