Publié dans Le Progrès social n°2674 du 19/07/2008
Parler de sexualité actuellement n’est pas plus aisé dans les familles qu’il y a 30 ans. Pourtant les établissements scolaires font l’effort de rendre vivace la rubrique d’éducation sexuelle nécessaire à la vie amoureuse future des élèves. Une continuité aurait pu s’établir à la maison. La parole sur le sexe fait l’objet de quolibet dans les groupes de garçons qui se sentent autorisés à en rire. A les observer de loin, aucune gêne ne semble embarrasser leurs échanges. A l’instar de leurs aînés ils évoquent leurs prouesses et leur performance. Rarement abordés avec pères et mères, leur sexualité ne s’évalue qu’entre personnes de la même tranche d’âge. Les filles gloussent en rond, se moquant de l’amoureux transi. Elles sont souvent porteuses de messages d’un désir de rencontre d’un copain timoré à une copine indifférente.
Chaque société, au fil du temps, a construit ses fantasmes amoureux en fonction de l’avancée en modernité qui a transformé les comportements. Le rapt de la bien-aimée, à pied ou à cheval, occupe peu d’espace dans l’inconscient collectif oriental sauf chez les grandes rêveuses adeptes de l’immensité des steppes : du vu à la télé. La donne sexuelle n’est pas figée, elle subit des variations. L’homme a du abandonner des territoires conquis par son anatomie qui lui conférait puissance et supériorité. Le corps de femme a toujours été convoité et cette convoitise était d’autant plus démontrée que l’homosexualité était frappée d’interdit.
L’acte sexuel pour la femme esclave consistait souvent en projection du corps du dominant sur le sien sans qu’elle ait droit au refus ou à la dérobade. La force employée pour l’assujettir donnait à l’acte un caractère violent ; instillant la notion de dangerosité. Le viol subit du maître autorisait le viol de tous les autres hommes et notamment celui du compagnon qui se vengeait d’une femme chosifiée. Il se conduisait comme le premier avec le secret espoir de s’identifier à lui. Haine et dégoût du sexe ont laissé place à la culpabilité inculquée par la religion.
La contradiction de l’instruction religieuse et de la condition d’esclave par rapport au mariage a contribué à une confusion à propos de la sexualité. La pacification des âmes, en suivant à la lettre les préceptes catholiques, bannissait les relations sexuelles adultères, hors union, avec des partenaires différents. Cela s’appelait de la fornication, punie par le châtiment divin. La femme subissant l’assaut du maître ne pouvait sortir indemne d’une telle situation.
L’abolition de l’esclavage a permis l’édification de sa dignité lui donnant la permission de se dérober et d’affronter le machisme de l’homme. Le caractère dangereux de la pratique sexuelle n’avait pas disparu dans la mesure où la rencontre des corps était susceptible d’engendrer une grossesse. Mais le forçage de ses parties intimes n’avait plus cours. Elle pouvait être désirante, mais sans le montrer. La pudeur était partie intégrante de sa condition féminine. Seule la prostituée proposait le plaisir. Le çà ne se parlait pas encore. L’église excommuniait celle qui, célibataire, mettait au monde des enfants, fustigeant encore les rapports hommes / femmes.
A quarante ans la femme non mariée « Ralait kanot » : trop âgée pour le plaisir de chair, elle devait s’abstenir. Après confession et repentance, elle pouvait recevoir l’hostie sans encourir l’excommunication. Les pratiques abortives accroissaient le ressentiment d’avoir à endosser une responsabilité à sens unique, l’utérus étant seul en cause. Le fruit défendu gorgé d’amertume se consommait dans la crainte.
La dissipation des années misère et de privation du « temps sorin » a attendri les mœurs. L’influence européenne a implanté le roucoulement, les sérénades, la négociation de l’oreiller à partager. On contait fleurette. L’homme courtois apparaissait dans toutes les classes sociales ; même si en filigrane persistait l’idée d’une domination à travers l’acte.
« Prendre une femme » consistait d’abord à briser sa résistance, à la rabaisser au niveau de l’endurant ensuite à la larguer en la recouvrant de mépris : l’arrogance payant un tribut au pénis. L’évènement de la pilule contraceptive a bousculé les règles établies. Finie la peur d’être enceinte : la pleine jouissance féminine s’exprime.
Le changement a inversé les rôles. L’homme se drape dans une fragilité à laquelle il n’est pas habitué. Le flirt, la parole galante le dévoilent autre. Le coup de foudre le met genoux en terre, intimidé par cette nouvelle liberté d’une partenaire qui lui échappe. Il est malade d’amour : la chanson française le dit : « Allo maman bobo » comme le zouk « an malad’aw. » Il susurre des mots doux quémandant de l’attention. L’acte sexuel de part et d’autre est vécu à l’identique.
La jalousie des époux s’entend à travers le refus d’une contraception qui pousse au vice les bonnes mères. Le problème se situe au centre de la transgression de l’interdit de la femme amante inondée de bonheur. Les avances aussi désarçonnent les plus hardis engoncés dans les postures conventionnelles. L’inversion des statuts oppresse au point d’inhiber le désir. Le masculin se trouve dans l’effroi d’une situation ingérable : celle de la preuve de sa performance. Il a désormais peur de la femme ; surtout il s’en méfie. « Que veut-elle ? »
Après l’euphorie du désir permis, le retour au sexe danger s’aperçoit avec l’échec de la contraception. Le nombre d’interruption volontaire de grossesse ne cesse d’interpeller les spécialistes. L’offre est immense : pilule, condom, préservatif, implant, injection, pilule du lendemain etc…et mal utilisée. De surcroît les maladies sexuellement transmissibles dont le sida mettent à mal les rapports hommes/femmes. La forme de dialogue usitée par la femme à travers ce double mouvement de fertilité démontrée et son abolition met en jeu la virilité. Le pouvoir lui appartient désormais de faire démonstration de sa capacité à lui fabriquer un enfant. Elle jette un doute sur sa puissance sexuelle : elle le castre.
En toile de fond se constitue un enjeu : celui de la place des corps ajoutée à l’imposition d’une volonté unilatérale de lui permettre d’être père. Et même après concertation et refus d’assumer un enfant par le géniteur, elle seule reste juge de la décision. Elle garde ou enlève selon son gré le fœtus. Le sida a donné une autre connotation à l’acte sexuel.
L’absence de préservatif en cas de contamination connue d’un partenaire fait retour à l’adolescence et à la conduite ordalique : défier Dieu en lui demandant une preuve de son existence mais aussi de sa protection. Jouer avec la mort pour que s’installe un sentiment de toute-puissance.
Chez le déprimé chronique, être entraîné dans la mort à cause d’un partenaire est une preuve d’amour incommensurable. L’autre accomplit à sa place ce qu’il ne saurait faire : supprimer sa vie. L’acte sexuel est devenu à nouveau à haut risque. La période de grande liberté dénuée de danger a été très courte, comme s’il y avait là impossibilité de jouir pleinement.
Plus le sexe entrait en révolution, plus les complications se manifestaient : panne sexuelle, anorgasmie, vaginisme, frigidité impuissance etc…empoisonnant les relations. D’abord parce qu’elles pouvaient se dire, ensuite parce que la souffrance longtemps refoulée empêchait l’accès au bonheur. Cette donnée nouvelle ouvrait le débat dans le sens de la revendication des ayants droits.
Aujourd’hui le bonheur s’entend autrement. Il s’engouffre dans cette spirale de bien-être physique et psychique dispensée par l’avoir financier. Son dialogue secret avec l’immortalité ou l’éternelle jeunesse est une vision individualiste où le sexe n’est pas l’élément marquant. Trop agressif avec les tournantes, les viols en réunion, la rivalité de l’homosexualité qui se montre, le masculin est mis en accusation.
La pornographie a alimenté la thèse de l’homme objet, se pliant aussi à la fantaisie féminine. Il n’y a plus de rôles bien définis, ni même de sexe bien différencié, ce qui explique le retour du machisme. Sur Internet il ne s’agit que de renverser les poulettes, de tirer un coup ou de les prendre.